Les bataillons d’infanterie de l’armée soudanaise sont en très petit nombre dans les rues de Khartoum au cours des deux mois de conflit qui ont fait rage dans le pays, laissant une grande partie de la capitale sous le contrôle des forces paramilitaires rivales, les Forces de soutien rapide (FSR).
L’armée est pourtant composée d’environ 200 000 soldats, soit à peu près le double des FSR.
Pourtant, l’armée est largement dépassée dans les rues de Khartoum, ainsi que dans les deux villes situées de l’autre côté du Nil, Bahri et Omdurman.
Les combattants des FAR se déplaçaient initialement dans les trois villes à bord de leurs pick-up armés, mais ils utilisent désormais principalement des voitures ordinaires.
Un grand nombre de personnes se sont plaintes sur les médias sociaux du vol de leur voiture par les forces de sécurité. On soupçonne les forces de sécurité de les utiliser pour éviter d’être touchées par les frappes aériennes.
La puissance aérienne étant sa plus grande force, l’armée n’a cessé de mener des frappes pour affaiblir les forces de sécurité. Bien qu’elles aient tué des centaines de civils, elles n’ont pas empêché les paramilitaires d’avancer à Khartoum, Bahri et Omdurman.
Au début du mois, les combattants des FAR ont porté un coup sévère à l’armée en prenant d’assaut al-Yarmouk, l’un des plus grands complexes militaires du Soudan, où des armes étaient fabriquées et stockées.
Alors qu’un incendie a ravagé le complexe pendant plusieurs jours, les forces de sécurité soudanaises ont déclaré en avoir pris le contrôle, ce qui a été confirmé par des habitants de la région. L’armée, en revanche, n’a pas confirmé la perte du complexe.
Elle a lancé une contre-offensive mais n’a réussi qu’à prendre brièvement le contrôle d’un pont d’une importance vitale qui reliait les combattants des FAR à Omdurman à ceux de Khartoum et de Bahri.
Les FSR contrôlent également d’autres sites clés dans et autour des trois villes, notamment :
- le principal terminal pétrolier, que les paramilitaires ont transformé en base ;
- le siège des médias d’État, qui a permis aux FSR de contrôler les ondes radio, bien que l’armée ait réussi à conserver le contrôle de la chaîne de télévision en émettant depuis un autre endroit ;
- une grande partie du complexe présidentiel ;
- une grande partie de l’aéroport international, qui est fermé depuis le début du conflit.
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Le siège de l’agence d’espionnage aurait également été occupé par les forces de sécurité au début du conflit, mais on ne sait pas qui le contrôle actuellement.
On sait que l’armée s’est accrochée à quelques endroits clés, dont les plus importants sont son quartier général et la base aérienne de Wadi Saeedna, d’où ses avions de chasse s’envolent pour frapper les FSR.
Les troupes ont creusé de longues et profondes tranchées pour empêcher les paramilitaires d’envahir ces deux sites.
“Leur tentative de nous attaquer n’a plus aucun effet. Les obus qu’ils tirent tombent sur des arbres ou sont froids lorsqu’ils atterrissent de notre côté”, a déclaré un officier.
Racisme, esclavage et colonialisme
Environ 2 millions d’habitants, sur une dizaine de millions, ont fui les villes, abandonnant leurs maisons, leurs magasins et leurs bureaux. Certaines ont été bombardées, d’autres ont été occupées et saccagées, les climatiseurs et les meubles faisant partie des objets emportés par les forces de sécurité.
Pour certains, l’incapacité des bataillons d’infanterie à réaliser des gains significatifs sur le champ de bataille n’est pas surprenante, car le Soudan n’est pas un État démocratique doté d’une armée professionnelle bien entraînée.
L’armée – comme beaucoup d’autres secteurs de la société – est encore marquée par l’histoire du Soudan, qui est dominée par le racisme, l’esclavage et le colonialisme.
Cette histoire remonte à plus de deux siècles, lorsque les conquérants ottomans et égyptiens ont créé une armée d’esclaves.
Le recrutement au sein des communautés noires africaines, pour la plupart pauvres, s’est poursuivi sous la domination britannique et est resté comme tel depuis l’indépendance. Certains soldats sont en fait des descendants d’esclaves.
Sous le régime de l’ex-président Omar el-Bechir, qui a duré trois décennies, les Africains noirs ont rarement été acceptés à l’École militaire du Soudan, les candidats étant tenus de mentionner leur groupe ethnique.
En conséquence, seuls quelques-uns ont atteint des grades élevés, l’armée étant largement sous le contrôle de généraux issus des élites arabes et nubiennes qui bordent l’Égypte.
Les soldats ne gagnent que 11 à 16 dollars (6 600 à 9 600 francs CFA) par mois, contrairement aux généraux qui se sont enrichis en créant des entreprises et des usines qui leur ont permis de contrôler 80 % de l’économie, selon l’éphémère Premier ministre civil du Soudan, Abdallah Hamdok.
En raison de leur faible rémunération, certains soldats ont même rejoint les forces de sécurité pour combattre – à un moment donné, dans le cadre de la coalition saoudo-émiratie au Yémen, en échange d’importantes sommes d’argent.
Le commandant des FAR, Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedti, est devenu un grand négociant en or lorsque ses forces ont pris le contrôle des mines d’or les plus lucratives du Soudan en 2017, ainsi que de la frontière avec le Tchad et la Libye.
Le chef d’état-major de l’armée soudanaise n’a pas apprécié – il voulait que l’argent du commerce de l’or serve à renforcer les forces régulières, mais el-Bechir faisait confiance aux FSR, donnant à Hemedti le surnom de Himayti, qui signifie “Mon protecteur”.
Des camps d’entraînement sont installés près de Khartoum. Des centaines de pick-up Land Cruiser sont importés et équipés de mitrailleuses.
Avec un effectif estimé entre 80 000 et 100 000 hommes et plus de 10 000 pick-up armés, les FSR sont devenues l’infanterie du Soudan.
Les Arabes du Darfour constituent l’épine dorsale des FSR. Ils semblent croire que c’est maintenant à leur tour de gouverner, surtout après le rôle central qu’ils ont joué en aidant l’armée à combattre les rebelles du Darfour dans les années 2000.
L’une des grandes forces des FAR réside dans le fait que nombre de leurs “bataillons” sont composés de membres d’une même famille ou d’un même groupe ethnique, et qu’ils se battent férocement pour se protéger les uns les autres.
En revanche, le ministre de la Défense a été contraint d’appeler à la mobilisation d’officiers et de soldats à la retraite pour repousser les FAR.
Son appel a été accueilli avec dérision par de nombreux Soudanais, qui y ont vu une nouvelle preuve des faiblesses de l’armée.
En réalité, l’armée soudanaise, plutôt que de mener ses propres guerres, s’est longtemps appuyée sur les milices. C’est ce qu’elle a fait pendant la guerre civile qui a duré des décennies et s’est terminée par l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, et plus récemment au Darfour, où les milices arabes ont été accusées d’avoir commis un génocide.
Aujourd’hui, ces milices lourdement armées par le pouvoir sont revenues le hanter, plongeant le Soudan dans la crise.