Le géant d’Afrique du Nord a renoué avec une stabilité apparente au prix de transactions volatiles entre rivaux d’hier.
La Libye ne défraie plus guère la chronique internationale. Une stabilité apparente, des fractures internes peu lisibles, des crises ailleurs autrement brûlantes : Tripoli et Benghazi n’intéressent plus, voire lassent. Ce n’est pas franchement la paix comme l’illustrent les incidents récents en Tripolitaine (Ouest). Ce n’est pas non plus la guerre. Nulle trace d’un choc frontal entre deux coalitions politico-militaires encouragées de l’étranger comme ce fut le cas lors de la guerre civile de l’été 2014 ou de la « bataille de Tripoli » en 2019-2020.
Ni guerre, ni paix : la Libye vit dans le clair-obscur, l’hybride, l’arrangement précaire et le compromis bancal. Pas assez chaotique pour convoquer urgemment un sommet international. Mais trop fragile pour ne pas inquiéter. Un géant pétro-gazier où s’enkystent des forces armées étrangères (les Turcs dans l’Ouest et les paramilitaires russes de Wagner dans l’Est et le Sud) tandis qu’à ses frontières le Soudan et le Sahel s’embrasent, ce qui n’a rien de rassurant. Le risque de rechute pourrait être neutralisé par un cadre institutionnel perçu comme légitime par la population. Or ce cadre fait – toujours – défaut.
Chacun s’en accommode pourtant, y compris une communauté internationale tentée de voir dans le brouillard actuel un pis-aller au regard des convulsions passées. Après tout, le cessez-le-feu signé en octobre 2020 entre les camps rivaux de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque (Est) tient toujours. Et le pétrole coule de nouveau à flots depuis la réouverture à l’été 2022 des sites d’hydrocarbures, fermés deux ans et demi plus tôt par les forces du maréchal Khalifa Haftar, l’« homme fort » de la Cyrénaïque. Les revenus tirés de l’or noir permettent de diluer bien des tensions, notamment le ressentiment de l’Est libyen face à une redistribution de la manne jugée traditionnellement trop favorable à l’Ouest.
Un double apaisement trompeur
Oubliées ces crispations. L’heure est aux affaires mariant des intérêts hier antagoniques. Les deals scellés entre, d’un côté, Haftar et sa famille à Benghazi et, de l’autre, Abdel Hamid Dbeibah, le chef du gouvernement d’union nationale siégeant à Tripoli, illustrent parfaitement cette concorde par l’affairisme. Autant dire que le clivage Est-Ouest, clé de lecture trop commode du conflit libyen, a perdu de sa pertinence. Il est battu en brèche par la frénésie transactionnelle ambiante. Les tiraillements se déportent désormais plutôt à l’intérieur de chaque camp.
Le front des parrains étrangers offre la même impression d’accalmie. Le schisme antérieur entre le tandem Turquie-Qatar, sponsor de la Tripolitaine, et l’axe Emirats arabes unis-Arabie saoudite-Egypte, mentor de la Cyrénaïque, s’est partiellement résorbé, réduisant d’autant les aliments extérieurs au conflit. Chacun désenclave ses investissements stratégiques. Les Turcs implantés dans l’Ouest libyen commencent à prendre pied économiquement dans l’Est. Et les Emiratis familiers de l’Est s’ouvrent à l’Ouest. Ces nouveaux liens transversaux érodent la logique belligène des blocs.
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