A quelques semaines d’une échéance en vue d’organiser des élections en Libye, la mise à l’écart du chef du gouvernement parallèle de l’Est reflète un
début de rapprochement en coulisses entre l’homme fort de cette région et le camp de l’Ouest, reconnu par l’ONU, selon des analystes.
La Libye, pays riche en pétrole, est en proie au chaos et à de profondes divisions depuis le soulèvement de 2011 qui a renversé la dictature de Mouammar Kadhafi.
Deux gouvernements s’y disputent le pouvoir depuis un an : l’un installé à Tripoli (ouest), dirigé par Abdelhamid Dbeibah, l’autre dans l’Est, soutenu par le très puissant maréchal Khalifa Haftar.
Désigné “Premier ministre” en mars 2022 par le Parlement siégeant dans l’Est en vue de déloger le gouvernement de Tripoli, Fathi Bachagha a été “suspendu” le 16 mai, après avoir échoué à évincer son rival.
Cette suspension a été votée lors d’une séance à huis-clos du Parlement dans des conditions opaques et en l’absence du président de cette instance Aguila Saleh.
“Le départ humiliant de Bachagha traduit des divergences au sein du camp de l’Est, notamment entre le clan Haftar” et Aguila Saleh, l’autre grande figure de l’Est, analyse pour l’AFP Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève.
Dans l’intervalle, “Dbeibah a profité de la paralysie du gouvernement de l’Est pour consolider son emprise sur la vie politique et économique en Libye”, ajoute-t-il.
En mai 2022, M. Bachagha avait tenté un coup de force pour entrer à Tripoli, mais après des affrontements violents, ses partisans avaient été repoussés.
Installé depuis avec son gouvernement à Syrte (centre), il s’est progressivement effacé et semble avoir perdu l’indispensable soutien du maréchal Haftar.
Originaire de Misrata, grand port de l’ouest, Fathi Bachagha s’était rapproché de Haftar fin 2021 au nom de la “réconciliation nationale” après le report d’élections devant mettre fin aux affrontements ayant suivi la chute et la mort de Kadhafi.
Ancien ministre de l’Intérieur, M. Bachagha s’était aussi allié avec Aguila Saleh.
Pour le clan Haftar, “Bachagha a toujours eu une date de péremption et son utilité a pris fin le jour où il a perdu la possibilité de s’installer à Tripoli”, estime Emadeddin Badi, du centre de réflexion Global Initiative.
La suspension de M. Bachagha a été décidée un mois avant la mi-juin, échéance fixée par l’ONU pour amener les rivaux libyens à s’accorder sur une base juridique permettant la tenue fin 2023 d’élections présidentielle et législatives reportées depuis deux ans et censées pacifier le pays.
Elle survient surtout sur fond de rapprochement entre les entourages de MM. Haftar et Dbeibah, selon les médias et les experts.
“Ibrahim Dbeibah, neveu du Premier ministre de Tripoli, et Saddam Haftar, le fils le plus actif du maréchal, sont depuis des mois en pourparlers quasi continuels”, explique à l’AFP le chercheur Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye. Leur volonté de s’entendre “constitue l’une des raisons de la chute de Bachagha”, selon lui.
Mais il souligne aussi que si M. Bachagha a été écarté c’est “en grande partie” parce qu’il aurait refusé d’octroyer “de manière irrégulière” des fonds publics au maréchal Haftar.
Les deux clans ont noué “un dialogue qui a maintenant suffisamment mûri pour que les Haftar offrent la suspension de Bachagha” comme cadeau aux autorités de Tripoli, renchérit M. Badi de la Global Initiative.
Et ce avec la “bénédiction” de l’Egypte, alliée du camp de l’Est et jusque-là farouchement opposée à M. Dbeibah.
L’analyste politique libyen Abdallah al-Rayes fait lui aussi état de “négociations discrètes au Caire” entre les représentants de Haftar et Dbeibah en vue de “former un nouveau gouvernement de coalition” ou un exécutif remanié. Une étape indispensable avant tout éventuel accord pour organiser des élections, selon lui.
Mais pour M. Harchaoui, “les élites déjà bien en place aujourd’hui (…) n’ont absolument aucune intention de quitter le pouvoir de façon à permettre des élections crédibles et authentiques”.