RDC : dans le Masisi, les rebelles du M23 laissent derrière eux un territoire ravagé par des décennies de conflits

RDC : dans le Masisi, les rebelles du M23 laissent derrière eux un territoire ravagé par des décennies de conflits

Le Mouvement du 23-Mars a annoncé le retrait de certaines de ses positions dans l’est du pays. Mais dans le territoire du Masisi, la guerre est loin d’être terminée.

Après deux mois et demi d’attente, Tsegihumva a retrouvé une raison de sourire. Demain, sauf imprévu, il se saisira de son baluchon et regagnera son domicile et son champ sur la colline qui fait face à celle de Busihe, bourgade où il est venu s’entasser avec sa femme, ses sept enfants et quatre autres familles dans une même maisonnette.

Les rebelles du Mouvement du 23-Mars (M23) qui avaient en février conquis son village, laissant à cet agriculteur que quelques kilos de haricots rouges récupérés « en catimini », semblent avoir disparu d’une partie des pâturages vallonnés du territoire de Masisi, à l’est de la République démocratique du Congo (RDC).

« On nous a dit que la guerre est finie, explique-t-il. Nous allons d’abord rentrer avec ma femme et nos enfants les plus âgés. Nous reviendrons chercher les autres plus jeunes et nos biens dans quelques jours. Si tout va bien. »

Le passé incite à la prudence. Tsegihumva a déjà quitté son village « au moins quatre fois, pendant plusieurs mois » depuis qu’il est adulte. Aujourd’hui, il n’est plus question pour lui de croire à la paix, ni même de comprendre pourquoi ceux qui l’ont poussé une nouvelle fois à l’exode ont déserté certaines leurs positions du Masisi.

Après plusieurs offensives lancées fin 2021, les insurgés étaient plutôt en position de force. Les éléments du M23, soutenus par le Rwanda selon plusieurs rapports du Conseil de sécurité de l’ONU, avaient mis en déroute l’armée congolaise et soustrait pendant plus d’un an une partie des territoires du Rutshuru et du Masisi à l’autorité du gouvernement de Kinshasa.

Un millefeuille de milices

« Les rebelles se sont-ils vraiment retirés ? Ou se sont-ils dissimulés en tenue civile parmi la population ? », s’interroge, perplexe, Télésphore Mithombeke, le secrétaire de la société civile du Masisi, l’un des regroupements d’associations citoyennes de la zone. D’autant que dans le Rutshuru voisin, les éléments du M23 sont toujours visibles malgré leurs promesses de retrait.

Dans le Masisi, leur occupation semblait prête à durer. Plusieurs autorités locales avaient été remplacées par de nouveaux administrateurs fidèles, des taxes étaient prélevées. « Entre 400 et 500 dollars environ par camion et entre 5 et 10 dollars par moto sur l’axe qui relie Masisi à Goma [la capitale régionale] », assure Télésphore Mithombeke. Selon le militant, les rebelles ont même pendant un temps délivré à chaque véhicule un reçu estampillé « République démocratique du Congo – Département des finances » au niveau de Mushaki.

Dans cette localité, l’arrivée mi-mars de bérets rouges burundais, déployés sous l’égide de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC, selon le sigle en anglais), n’a jamais effrayé le M23. L’impôt informel a continué à être collecté après le déploiement du contingent de la force est-africaine, censée occuper les zones libérées par les rebelles jusqu’au retour de l’Etat.

Aujourd’hui, la barrière de Mushaki paraît avoir été levée, mais les « tracasseries », expliquent les locaux, sont loin d’être terminées. Des myriades de miliciens ont fait leur apparition sur le bord des routes, levant des taxes aussi illégales que celles du M23. Selon Emmanuel Tommy Tambwe Ushindi, le coordonnateur du programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (P-DDRCS), les provinces de l’Ituri, du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, du Maniema et du Tanganyika abritent désormais 252 groupes armés locaux et 14 étrangers. Un millefeuille de milices héritières des rébellions qui se succèdent dans l’est de la RDC depuis le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994.

La terre reste une source de friction

De longue date, le vol, le viol, le racket et la peur sont le lot de centaines de milliers de familles, victimes des exactions des groupes armés. Mais, aujourd’hui, la donne a changé. Face aux rebelles du M23, les miliciens et l’armée congolaise, qui se sont souvent affrontés, font désormais front commun. « Le gouvernement va-t-il réussir à gérer ces milices ? Ne vont-elles pas réclamer des zones lorsque le M23 se sera entièrement retiré ? », s’interroge Voltaire Batundi Sadiki, président de la société civile du Masisi.

Dans plusieurs localités, l’armée congolaise leur a déjà laissé le champ libre. Le leader de l’Alliance pour un Congo libre et souverain (APCLS), Janvier Kairiri, a ainsi installé son état-major à Nyabiondo, à l’est du Masisi, dans une caserne désertée par les militaires. L’Etat n’a pas totalement disparu sur place. Mais les quelques policiers assistent passivement au rançonnage de la population par les combattants de l’APCLS, accusés de crimes sur des civils par plusieurs associations de défense des droits humains. Ici, personne n’ose contredire les porteurs d’armes et l’accalmie sécuritaire est même saluée par les habitants.

« Il y a souvent eu des tensions dans la zone. Les premiers conflits meurtriers ont éclaté en 1993 entre les deux ethnies majoritaires – les Hutu et les Hunde – auxquelles s’ajoute une ethnie minoritaire – les Tutsi », rappelle Zachee Misati Muhindo, président de la société civile de Nyabiondo. Leur rivalité remonte en fait à la colonisation belge. Les Hunde se présentent comme les autochtones, les Hutu et les Tutsi sont perçus comme les héritiers des vagues de migrations successives en provenance du Rwanda. Les premiers accusant certains de spoliation de terre, les seconds répliquant être dans leur bon droit.

Le conflit, à l’origine foncier et communautaire, est devenu politique, régional, économique. Mais la terre reste une source de friction et une denrée rare dans le Masisi. D’innombrables agriculteurs louent leur lopin aux grandes fermes et des parcelles ont été accaparées par de riches propriétaires.

Plus de 72 000 déplacés dans le territoire

Les minerais suscitent aussi des convoitises. Le territoire est riche en coltan, indispensable à la fabrication de téléphones portables ou d’ordinateurs. « Autour de la mine de Rubaya, la criminalité, liée aux rivalités, a augmenté. En une semaine, il y a eu plus de dix blessés par balle », rapporte Télésphore Mithombeke.

La majorité d’entre eux sont admis à l’hôpital à Masisi-Centre, le chef-lieu du territoire. En ce début du mois d’avril, le service de chirurgie est saturé. Comme les autres. Des tentes ont été installées dans la cour de l’établissement pour accueillir les nouveaux patients. « Le Masisi vit dans l’insécurité depuis plusieurs décennies. Les besoins humanitaires sont les mêmes, voire s’accroissent. On l’observe sur le nombre de consultations, de cas de traumas, de violences sexuelles, d’enfants malnutris. A cela s’ajoute une population en augmentation et donc plus d’épidémies potentielles », décrit Pierre Bru, coordinateur de terrain pour Médecins sans frontières (MSF), l’une des rares ONG présentes dans le Masisi.

Plusieurs maladies contagieuses, comme le choléra et la rougeole, sont réapparues ces dernières semaines. « La propagation est aussi liée aux conditions de vie misérables liées au déplacement et à la promiscuité dans les camps », ajoute John Mastaki, responsable des soins à l’hôpital.

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) recensait en mars plus de 72 000 déplacés dans le territoire. Des nouveaux qui ont fui l’arrivée des rebelles du M23 et des anciens victimes des précédentes crises. Rares sont désormais les centres urbains où l’on n’aperçoit pas d’abris recouverts de bâches en plastique, signalant la présence d’un camp de personnes déplacées. Une modification du paysage comme la marque de la tragédie que la région vit depuis près de trente ans.