Moscou diffuse en Afrique une propagande anticolonialiste dont la première cible est la France. Pourtant, dans les faits et sur le terrain, sa mainmise sur les États faillis africains et leurs richesses n’a rien à envier à la logique coloniale la plus prédatrice, analyse le “Financial Times”.
À la cathédrale orthodoxe Saint-André de Bangui, la capitale de la République centrafricaine (RCA), Mgr Régis Saint Clair Voyémawa [évêque orthodoxe byzantin] ne fait plus allégeance au patriarcat de Constantinople mais à celui de Moscou.
La Russie a financé la restauration des fresques et de la façade de sa cathédrale décrépite et offert à Voyémawa un séjour de trois mois à Moscou l’année dernière.
Ces largesses en faveur de l’édifice ne relèvent pas seulement d’une opération visant à étendre le rayonnement culturel de la Russie mais témoignent également de l’influence grandissante que Moscou exerce désormais sur la vie politique et économique de la RCA, l’un des États les plus pauvres et les moins puissants du globe.
Le rapprochement entre les deux pays est l’une des illustrations les plus manifestes de l’efficacité de la stratégie à bas coût de Moscou en Afrique, mêlant propagande, ventes d’armes, activités minières et déploiements de mercenaires.
La présence de la Russie dans le pays prend la forme d’un contingent de quelque 1 500 paramilitaires masqués appartenant au désormais célèbre Groupe Wagner, mais aussi d’activités d’extraction d’or et de diamants, et même d’une petite distillerie produisant des sachets de vodka Wa Na Wa à 15 cents, frappés d’un rhinocéros pour logo et du slogan : “Fabriquée en République centrafricaine grâce à une technologie russe.”
Un “deuxième front”
Un haut diplomate occidental en poste en RCA qualifie le pays de “boîte de Petri” [utilisée en microbiologie pour la mise en culture de micro-organismes] des ambitions africaines de Moscou.
“Il y a une guerre hybride en cours. Et on est dedans.”
Si, en Europe, l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine s’est soldée par un fiasco humiliant et coûteux pour l’État russe, en Afrique la Russie fait une percée réussie.
Épaulé par un mélange explosif de terrorisme djihadiste, de francophobie et de coups d’État, le Kremlin est parvenu à faire reculer l’influence occidentale et à dessiner ce qu’un haut conseiller d’Emmanuel Macron qualifie de “deuxième front” en Afrique. “L’objectif est d’affaiblir l’Europe et d’ouvrir un front là où l’Europe et la France passent pour fragiles”, commente-t-il.
Associé du groupe de réflexion Rusi [Royal United Services Institution, un think tank britannique spécialisé dans la défense et la sécurité] et auteur d’un ouvrage à paraître sur la Russie en Afrique [“La Russie en Afrique : puissance résurgente ou prétendante belliqueuse ?”], Samuel Ramani précise que Moscou se focalise sur un chapelet de pays qui s’étire du Mali au Soudan. Il poursuit :
“Le Kremlin pense qu’il peut créer une ‘région des coups d’État’ pour asseoir son influence et évincer l’Ouest.”
Combler un vide sécuritaire
Pour parvenir à ce que Samuel Ramani qualifie de “point d’orgue” d’une vieille histoire qui a commencé à l’époque soviétique – mais qui s’est accélérée depuis que Poutine a repris les rênes du Kremlin en 2012 –, Moscou aurait employé une “kyrielle d’instruments de projection insidieux” afin de lancer des “opérations hybrides”.
Ces instruments, poursuit Samuel Ramani, englobent des “opérations contre-insurrectionnelles, des ventes d’armes, des campagnes de promotion de l’autocratie et un renforcement du pouvoir d’influence”. Ce faisant, conclut-il, la Russie est devenue “une grande puissance à l’échelle du continent”.
Les succès russes, qui se concentrent dans l’Afrique francophone, ont surtout lésé l’Hexagone. La francophobie atteint des niveaux record dans plusieurs anciennes colonies françaises, où les interventions militaires de Paris ont eu l’effet inverse à celui escompté et où diplomates et entreprises se voient accusés d’ingérence néocoloniale. Les propagandistes russes sont passés maîtres dans l’art de changer la francophobie ambiante en russophilie (du moins apparente) au sein de l’opinion.
Ministre des Affaires étrangères de la RCA formée en France, Sylvie Baïpo-Temon voit un lien entre les ratés réels ou supposés de l’Hexagone et les succès de la Russie. Elle accuse la France de n’être pas parvenue à pacifier le pays lors de l’opération Sangaris [opération militaire de l’armée française conduite en République centrafricaine, commencée en décembre 2013], qui a brutalement pris fin en 2016.
La Russie a “proposé de mettre gracieusement des armes à disposition”, dit-elle au sujet des négociations qui ont suivi [le départ de la France]. Le dernier contingent de soldats français a quitté le pays le mois dernier [en janvier 2023] : “Comme la nature a horreur du vide, la Russie est arrivée.”
Le Sahel, zone d’expansion russe
Poutine a levé le voile sur ses ambitions africaines en fanfare en octobre 2019, lorsqu’il a accueilli 43 chefs d’État africains au premier sommet Russie-Afrique à Sotchi. Depuis lors, un certain nombre de pays, de la RCA au Mali en passant par le Burkina Faso et le Soudan, se sont rapprochés de l’orbite de Moscou.
“La Russie engrange des succès spectaculaires, observe Peter Pham, envoyé spécial des États-Unis au Sahel sous le gouvernement Trump et aujourd’hui membre de l’Atlantic Council.
“Sa stratégie diplomatique dans la région consiste à guetter la moindre occasion de mettre des bâtons dans les roues de l’Occident à peu de frais.”
Moscou s’y emploie tout particulièrement au Sahel, une région semi-désertique politiquement instable qui s’étire sous le Sahara. Dans plusieurs pays qui luttent