Plusieurs dizaines de militaires ont été tués dans des combats depuis vendredi 17 février. Le pays subit l’expansion djihadiste sur son territoire et les autorités burkinabées dressent un parallèle avec l’attaque d’Inata fin 2021, qui avait fait 57 morts.
Le bilan est encore provisoire, mais c’est l’un des plus inquiétants qu’ait connu le Burkina Faso ces dernières années. Vendredi 17 février, cinquante et un militaires ont été tués lors d’« intenses combats » avec un « groupe armé terroriste » entre Oursi et Déou, deux localités situées dans le nord du pays, à une cinquantaine de kilomètres de la frontière malienne, selon un communiqué de la direction de la communication et des relations publiques des armées (DCRPA), diffusé lundi 20 février.
« Plusieurs militaires sont toujours recherchés », a souligné l’armée avant d’inviter « les populations à s’abstenir [de relayer] des bilans qui ne sont corroborés par aucune constatation sur le terrain ». Les pages Facebook et profils Twitter de spécialistes des groupes djihadistes au Burkina Faso comme les sources humanitaires et sécuritaires contactées par Le Monde, évoquent eux plus de soixante-dix soldats burkinabés tués.
Tous attribuent cette attaque, qui n’avait pas encore été revendiquée mardi soir, à l’organisation Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), un groupe djihadiste affilié à l’organisation Etat islamique, qui progresse dans le nord et l’est du Burkina Faso depuis sa création, en 2015. La province de l’Oudalan, où se situent Déou et Oursi, a été la première zone du pays à subir ces attaques, en 2016. Sept ans plus tard, l’EIGS, coutumier des embuscades d’envergure contre les positions des Forces de défense et de sécurité (FDS) et ses massacres de civils, a continué d’étendre son influence. Au point de contrôler, avec son rival, le Groupe de soutien de l’islam et des musulmans (affilié à Al-Qaida), près de 40 % du territoire.
« La lutte est âpre »
Signal supplémentaire de l’offensive amorcée par les djihadistes au Burkina Faso, une position de l’armée a de nouveau été lourdement attaquée, dans la nuit du 20 février, à Tin-Akoff, à 70 kilomètres au nord de Déou, le long de la frontière malienne. Là encore, les bilans divergent selon les sources sécuritaires, certaines évoquant quinze morts, d’autres plusieurs dizaines de soldats tués et de nombreux portés disparus. L’état-major n’avait pas encore publié de bilan officiel, mardi 21 février.
A Ouagadougou, la capitale, diplomates, humanitaires et analystes dressent un parallèle entre ces attaques et celle d’Inata, qui avait endeuillé l’armée burkinabée et choqué tout le pays, à la mi-novembre 2021. Selon les autorités, cinquante-sept personnes avaient été tuées lors de l’assaut lancé par un groupe terroriste sur un poste de gendarmerie, tandis que de nombreux militaires étaient portés disparus. Il s’agissait de l’attaque la plus meurtrière jamais recensée contre les FDS burkinabées, depuis le début de l’expansion djihadiste dans le pays, en 2015. Jusqu’aux offensives opérées ces derniers jours à Tin-Akoff et entre Déou et Oursi.
Fin 2021, l’attaque d’Inata avait précipité la chute du président Roch Marc Christian Kaboré. Jugé incapable de faire face à la menace sécuritaire, il a été démis de ses fonctions, en janvier 2022, par le coup d’Etat du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Huit mois plus tard, le 30 septembre 2022, ce dernier était à son tour renversé par un putsch fomenté par le capitaine Ibrahim Traoré, après avoir été accusé, comme son prédécesseur, de ne pas avoir su faire face à l’ennemi.
Devenu président, le capitaine Traoré a promis au peuple de venir à bout de cette menace terroriste qui a fait entre 10 000 et 12 000 morts en sept ans. « La lutte est âpre » et « le combat parsemé d’embûches », a-t-il reconnu, lors d’un message publié sur la page Facebook de la présidence, dans la nuit de lundi à mardi. Depuis, les opérations terrestres et aériennes de l’armée se poursuivent. Selon la DCRPA, cent soixante « terroristes » ont déjà été « neutralisés ». Des extraits de vidéos de drone montrant des frappes ont par la suite été diffusés par l’état-major, tandis que la DCRPA a appelé l’ensemble des FDS à rester mobilisées, soulignant avoir engrangé des « victoires importantes ces dernières semaines ».
« La fin de l’état de grâce »
Engagée sous la direction du capitaine Traoré dans une stratégie antiterroriste offensive et basée sur l’armement des civils, l’armée a réussi à reprendre des villes comme Solenzo et Falagountou entre décembre 2022 et mi-janvier 2023. Mais, face à ces troupes, les djihadistes sont eux aussi passés à la vitesse supérieure. Le rythme des attaques s’est accéléré : entre trente et quarante par semaine en moyenne actuellement, contre vingt à trente il y a un an, selon le consultant en sécurité et ancien gendarme Mahamoudou Savadogo.
Présentées par certains spécialistes du Sahel comme des opérations de représailles à la stratégie du tout-sécuritaire revendiquée par Ouagadougou, les dernières attaques « montrent la capacité tactique croissante des terroristes et remettent en cause le narratif des autorités selon lequel les groupes terroristes sont en débandade », analyse Fahiraman Rodrigue Koné. Ce chercheur à l’Institut d’études de sécurité de Dakar craint que ces événements « sonnent la fin de l’état de grâce » pour la junte : « Jusqu’à présent, une large partie de l’opinion lui avait donné son blanc-seing et attendait de voir si sa nouvelle stratégie allait donner des résultats, avant de juger. Les dernières attaques ont semé le doute. »
Depuis une dizaine de jours, des images circulant sur les réseaux sociaux montrent de violentes arrestations et des exécutions sommaires présumées, attribuées par des défenseurs des droits de l’homme et des sources sécuritaires aux soldats burkinabés. Certaines vidéos visionnées par Le Monde montrent des civils, dont des enfants, les yeux et les mains bandés, face contre terre, au milieu d’hommes en tenue militaire ou civile. Sur une autre, un Burkinabé filme des enfants, gisant dans leur sang, certains à moitié nus, à côté de véhicules militaires. « On attend celui qui va bouger et on le tue », lâche-t-il. Quelques secondes plus tard, un autre homme en tenue militaire jette une pierre sur la tête d’un enfant. Contactée, la DCRPA n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde.