Le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme a dénoncé mardi “l’aggravation de la répression” en Tunisie, après que la police tunisienne a arrêté lundi Noureddine Bhiri, un dirigeant du parti islamo-conservateur Ennahda, ainsi que Noureddine Boutar, le directeur général de la radio privée Mosaïque FM, qui donne souvent la parole à l’opposition.
En Tunisie, un chef du parti islamo-conservateur Ennahda et le directeur d’une radio privée ont été arrêtés dans la soirée de lundi 13 février. Ces arrestations surviennent dans le cadre d’un coup de filet lancé ce week-end par les services de sécurité tunisiens et au cours duquel des militants politiques, d’anciens magistrats et un influent homme d’affaires ont été interpellés.
Le dirigeant d’Ennahda Noureddine Bhiri, 64 ans, a été arrêté et “emmené vers un lieu inconnu” lors d’une descente de police à laquelle ont participé une centaine d’agents à son domicile à Tunis, a indiqué à l’AFP un porte-parole d’Ennahda, Abdelfattah Taghouti.
Cet ancien ministre de la Justice avait déjà été détenu pendant plus de deux mois début 2022, cinq mois après le coup de force du président Kaïs Saïed qui avait suspendu le Parlement contrôlé par Ennahda, sa bête noire, et s’efforce depuis de le marginaliser.
Dès son arrestation, il avait cessé de s’alimenter et de prendre ses médicaments avant d’accepter d’être perfusé dans un hôpital où il avait été transféré en état de détention. Malgré sa remise en liberté, Noureddine Bhiri faisait toujours l’objet d’une enquête pour des soupçons de “terrorisme”, selon les autorités.
“Complot contre la sûreté de l’État”
La police a en outre arrêté lundi soir Noureddine Boutar, le directeur général de la radio privée Mosaïque FM, très écoutée en Tunisie, a annoncé ce média. Selon le site Internet de la radio, qui donne souvent la parole à l’opposition, une perquisition a été conduite à son domicile et sa famille n’a pas été informée des motifs qui ont conduit à son arrestation.
Samedi, la police tunisienne avait arrêté l’homme d’affaires Kamel Eltaïef, très influent dans les milieux politiques et longtemps l’éminence grise du président déchu Zine el-Abidine Ben Ali, ainsi que deux opposants, Abdelhamid Jelassi, ex-dirigeant d’Ennahda, et un militant politique, Khayam Turki, ainsi que deux anciens magistrats.
Homme de l’ombre, Kamel Eltaïef, 68 ans, est vu par de nombreux Tunisiens comme l’un des symboles de la corruption depuis les années de Ben Ali. Lobbyiste avec de solides connexions diplomatiques, Kamel Eltaïef a fait et défait des carrières dans la police et sur la scène politique.
Selon des médias locaux, les personnes arrêtées ce week-end sont soupçonnées de “complot contre la sûreté de l’État”.
“Préoccupation” de l’ONU
Mardi, le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Volker Türk, a dénoncé “l’aggravation de la répression” en Tunisie en référence à la série d’interpellations.
Lors d’un point-presse à Genève, son porte-parole, Jeremy Laurence, a indiqué que Volker Türk exprimait “sa préoccupation face à l’aggravation de la répression contre ceux qui sont perçus comme des opposants politiques et de la société civile en Tunisie, notamment par l’intermédiaire de mesures prises par les autorités qui continuent de saper l’indépendance du pouvoir judiciaire”.
“Depuis samedi, au moins neuf personnes, dont d’anciens fonctionnaires, auraient été arrêtées et certaines détenues pour des accusations liées à la sécurité ou de corruption”, a-t-il indiqué.
“Le Bureau des droits de l’Homme des Nations unies a observé que le procureur général a de plus en plus engagé des poursuites pénales contre des opposants présumés, les accusant de ‘complot contre la sécurité de l’État’, d’offense au chef de l’État ou de violation du décret-loi de lutte contre la cybercriminalité”, a souligné Jeremy Laurence.
“Nous sommes en outre préoccupés par le fait que certaines des personnes détenues pour avoir critiqué le gouvernement ont été jugées par des tribunaux militaires. Nous appelons les autorités à cesser immédiatement les pratiques consistant à juger des civils devant des tribunaux militaires”, a-t-il poursuivi.
Le Haut-commissariat appelle les autorités tunisiennes à respecter les normes d’une procédure régulière et d’un procès équitable et à “libérer immédiatement” toutes les personnes détenues arbitrairement, y compris toute personne détenue en relation avec l’exercice de ses droits à la liberté d’opinion ou d’expression.
L’ONU a aussi dénoncé la “série de mesures” prises depuis juillet 2021 par les autorités tunisiennes “qui ont porté atteinte à l’indépendance de la justice, notamment la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature et la révocation sans préavis de 57 juges”.
Depuis le coup de force du président Saïed, plusieurs hommes politiques font l’objet de poursuites judiciaires dénoncées par l’opposition comme des règlements de comptes.
L’opposition accuse Kaïs Saïed d’instaurer un régime autoritaire réprimant les libertés et menaçant la démocratie en Tunisie, où la première révolte du Printemps arabe avait renversé en 2011 la dictature de Ben Ali.