Le monde de 2030 : L’effort multidimensionnel de l’Algérie pour rejoindre les BRICS

Le monde de 2030 : L’effort multidimensionnel de l’Algérie pour rejoindre les BRICS

Résumé

Nous arrivons à la fin d’un cycle dominé par les pays occidentaux qui, pendant cinq siècles à des degrés divers, ont « formaté » le monde. Comme tous les grands ensembles, vient un moment où les empires s’affaissent. L’histoire est pleine de récits grandioses où les pays occidentaux actuels sont des nains juchés sur des épaules de ces géants. Le monde multipolaire est en train d’émerger dans la douleur. Les BRICS seront, d’une certaine façon, le garant d’une multipolarité notamment avec le retour du président brésilien Lula l’un des concepteurs il y a douze ans du concept de BRICS. Dans ce cadre, l’Algérie devra se déterminer, l’approche de s’accrocher à la locomotive des BRICS est assurément porteuse d’espérances. Cela ne sera pas facile, car il nous faudra penser avec les outils du XXIe siècle. Les critères d’admissibilité ne seront pas simples à franchir ; c’est un travail sur plusieurs années avec une mobilisation tous azimuts, sciences, économie et même culture et sociologie pour s’imprégner de la façon de concevoir des futurs partenaires de l’Algérie.

La fin prévisible de la doxa occidentale du magister moral

Pendant près de cinq siècle l’Occident (L’Europe d’abord en ensuite l’Amérique) a imposé par le feu et au nom de la croix un dépeçage du monde L’identité occidentale est indissociable d’une « culture de la suprématie » : « La crainte, écrit Sophie Bessis, de devoir abandonner la position hégémonique, qui a forgé leur relation au monde, est synonyme, dans les consciences occidentales, de la peur de voir se dissoudre leur identité ». La naissance de l’Occident en 1492 est une date qui voit coïncider la « découverte » de l’Amérique et l’expulsion des juifs et des musulmans d’Espagne. C’est alors que se met en place une « formidable machine à expulser les sources orientales, ou non chrétiennes, de la civilisation européenne. Ainsi seront gommées ou « oubliées » les sources arabes concernant la culture, l’importance des « routes de la soie », qui étaient autant de routes du commerce que celles de la culture. La « double appartenance » fondée sur la chrétienté et sur la race qui va légitimer la conquête de l’Amérique »1.

Suivra ensuite l’apparition du discours antinégriste, destiné à légitimer l’esclavage, jusqu’à ce que la rhétorique scientifique, au XVIIIe siècle, prenne le relais du religieux pour nourrir l’argumentaire de l’infériorité de la race noire. La colonisation, « cet arbitraire sanglant à mission civilisatrice », va pouvoir se poursuivre, tant et si bien que lorsque adviendra le nazisme, il sera, affirme Sophie Bessis, « le résultat d’une filiation, et non une rupture ». Ayant confisqué l’universel pour en faire un outil d’hégémonie, l’Occident a perpétué un écart calamiteux entre les discours et les actes. Son respect des principes qu’il avait énoncés, « directement en fonction de ses intérêts géopolitiques et économiques », a toujours été à géométrie variable. Aujourd´hui, il poursuit son « recours sélectif à l’éthique ». Le « droit d’ingérence », le « devoir d’ingérence », qu’il a pratiqué de tout temps sous des appellations différentes, aurait pu s’avérer un progrès pour l’humanité s’il n’avait pas été irréversible. « Les diktats, les silences, les trucages, érigés en autant de stratégies par les diplomaties occidentales, ont contribué à renforcer les tenants des pires replis identitaires dans les pays du Sud, et à affaiblir les explorateurs locaux de modernités endogènes fondées sur la croyance en l’universalité de la liberté »[1].

La création de l’Union européenne, un parcours de plus de soixante ans

Pour la période récente, après la Seconde Guerre mondiale le monde occidental s’est organisé pour continuer à dicter na norme du bien et du mal. Dans cet ordre, l’Empire américain naissant a contribué à réorganiser l’Europe en leur intimant l’ordre de s’organiser. Ce sera la CECA ( Communauté européenne du Charbon et de l’Acier avec des ténors « pro-américains » comme Jean Monnet. Ensuite le traité de Rome. Par la suite l’Occident sous la houlette des États-Unis a d’abord déclaré que l’Empire soviétique était le grand satan jusqu’à sa chute. L’Islam sera le Satan de rechange et l’attaque des Tours tombait du ciel pour diaboliser l’Islam et la civilisation musulmane. Tout est fait pour maintenir la situation ancienne, à savoir un post-colonialisme par pays interposés, l’Angleterre, la France, l’Italie. Dans le même temps, un nouveau bloc a émergé au nom des « valeurs de l’Europe ». Aujourd’hui, l’Union européenne se compose de 27 États membres, représentant environ 450 millions d’Européens. Sa superficie est de 4,2 millions de km2.

En 1957, six pays fondent la Communauté économique européenne (CEE), à l’origine de l’Union européenne. De six membres, l’Europe est passée à neuf, à dix, à douze puis à quinze en 1995. En 2004, 10 pays sont entrés dans l’UE. Ils ont été rejoints en 2007 par la Roumanie et la Bulgarie, puis en 2013 par la Croatie. Cela n’a pas été facile de mettre au même niveau un pays comme l’Allemagne, avec 3500 milliards de PIB, et des pays avec moins de 100 milliards de PIB. Malte a moins de 20 milliards de dollars. L’arrivée de pays pauvres dans le club européen a soulevé des inquiétudes avec un PIB équivalant à peine au tiers de la moyenne communautaire. Ce que l’Union européenne a pris en compte, au-delà de l’appartenance géographique et culturelle et même religieuse. Pour chaque cas, on invoque un argument. Pour la Grèce, à défaut de remplir les critères économiques, on invoque les racines grecques de l’Europe. Un argument qui a beaucoup compté est celui d’affaiblir la Russie, pour que même après l’effondrement de l’URSS, les anciennes Républiques satellites ont vu leur adhésion à l’Union européenne comme l’occasion unique d’avoir une politique dure vis-à-vis de la Russie. L’exemple le plus criant est celui de la Pologne, véritable va-t-en-guerre avec les muscles de l’OTAN.

Le refus d’un monde unipolaire et l’avènement des BRICS ?

Cet état de fait d’un monde polaire du fait de ses concepteurs à l’image du Francis Fukuyama, devait durer « mille ans », avec sa fameuse fin de l’histoire et la victoire du néo-libéralisme sans état d’âme et d’une mondialisation laminoir. La doxa occidentale qui, forte du dollar, construit des institutions à sa convenance comme le FMI, la Banque mondiale, l’OMC et même des organismes pour les récalcitrants parmi les pays du Sud. Ce sera la CPI (Cour pénale internationale) ou, pire, l’OTAN, dont on contemple présentement les prouesses.

La chute du mur de Berlin en 1989, puis la mondialisation ont accentué l’émergence de nouvelles puissances du Sud, alors que les pays riches connaissent, à l’exception des États-Unis, une croissance modérée. Il a fallu attendre les premières années du XXIe siècle pour que des pays du tiers-monde décident de s’affranchir du magister dixit occidental. C’est ainsi que quatre pays, la Chine, la Russie, l’Inde et le Brésil ont décidé de s’organiser comme une alternative à un monde unipolaire Au début des années 2000, graduellement, des pays émergents se sont soulevés contre cette vision unipolaire de l’empire et de ses vassaux. Ces pays émergents arrivent à concurrencer les pays occidentaux. Les BRICS se sont développés en suivant un modèle économique fondé sur un État fort et une priorité à l’exportation. Dans leur doctrine maintes fois affirmée, les BRICS n’ont pas pour vocation de s’immiscer dans les affaires des pays. « Les BRICS ne sont pas une alliance « contre » qui que ce soit.

Il s’agit d’un élément important de la diplomatie en réseau, d’une alliance pour promouvoir les intérêts communs des participants, y compris la formation d’un ordre mondial plus juste et démocratique », disait le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov en 2011, à l’aube de la formation de cette alliance. De manière générale, les BRICS plaident pour une refondation des organisations internationales comme le Conseil de sécurité de l’ONU et les organisations de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale) dans un sens qui reflète mieux l’émergence des nouvelles puissances et le caractère multipolaire du monde au XXIe siècle.

Il y a certains points communs comme l’équilibre des relations internationales et la multipolarité. Ainsi, réunis à Pékin, fin juin 2022, les BRICS refusent un monde unipolaire. « Le 14ème sommet des BRICS consolide l’expérience des pays émergents et consacre la coopération comme accélérateur de la reprise économique mondiale et du développement durable. Les BRICS s’ouvrent aux nouveaux membres et revendiquent d’avoir leur mot à dire dans la gouvernance mondiale. Les quatre pays des BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine – initiaux ont des points communs : une population nombreuse et une vaste superficie, les plus peuplés du monde, d’importantes ressources naturelles (minerais, énergie, forêts, agriculture, pêche), une croissance élevée et une insertion récente et rapide dans les circuits économiques mondiaux. L’Afrique a rejoint le groupe en 2011 »2.

« Le groupe que forment ces cinq pays fait en quelque sorte contrepoids aux économies développées, promeut la construction d’un monde multipolaire plus juste et plus équitable, et attire de nouveaux États. Ce n’est qu’en se basant sur une coopération honnête et mutuellement avantageuse que l’on peut chercher des issues de la situation de crise frappant l’économie mondiale à cause des actions égoïstes et irréfléchies de certains pays », a déclaré le président Vladimir Poutine, lors du dernier sommet virtuel du groupe en juin 2022[2].

Capacités économiques des BRICS

Les BRICS occupent une place unique dans l’économie mondiale. Ensemble, ils représentent environ 25% du PIB mondial. Ils constituent un marché international gigantesque, représentant environ 3,21 milliards de personnes, soit 42% de la population mondiale et 16% du commerce mondial. Leur credo : « Favoriser un partenariat de qualité entre les BRICS, ouvrir une nouvelle ère pour le développement mondial ». Trois des cinq BRICS font partie des dix premières puissances économiques mondiales en termes de PIB. « Aujourd’hui, elles totalisent un PIB de près de 24 000 milliards d’euros. Par ailleurs, la faiblesse des coûts de production de la Chine, de l’Inde et du Brésil a exercé une véritable force d’attraction pour les investissements directs étrangers (IDE) en provenance des autres pays du monde. La pérennisation de la croissance des BRICS repose aussi sur le développement de la consommation domestique, ainsi que sur la prise en compte de facteurs sociaux et environnementaux »3.

La création d’une banque pour booster les investissements

Un événement important a eu lieu pour accompagner les ambitions des BRICS, il s’agit de la décision de la mise en place d’une banque d’investissement. Lors du sommet de Fortaleza, au Brésil en juillet 2014, les BRICS ont décidé la création d’une banque de développement basée à Shanghai et d’un fonds de réserve. La banque est dotée d’un capital de 50 milliards de dollars qui doit être porté à 100 milliards de dollars. Elle peut accorder des prêts pour financer des projets d’infrastructures, de santé, d’éducation, etc., dans les pays concernés et, à terme, dans d’autres émergents. Point notable, elle n’assortit pas ses prêts de conditions contraignantes, comme c’est le cas du FMI. Les pays des BRICS commencent à échanger dans leurs monnaies. Ils misent de façon accrue sur le yuan comme leur monnaie alternative. Les besoins en infrastructures sont « considérables, environ 4500 milliards de dollars [3500 milliards d’euros] au cours des cinq prochaines années ». L’Inde en est le plus grand bénéficiaire. « Sur les 30 milliards de dollars consacrés à 80 projets, 21 sont basés en Inde et concernent la mise en place d’infrastructures dans les domaines de la distribution de l’eau, des transports et de l’énergie, pour un montant total de 7,1 milliards de dollars ».

Les BRICS et la force de frappe scientifique et technologique

La force des BRICS, c’est aussi la puissance scientifique et technologique. Plus de 9 millions d’étudiants devraient obtenir leur diplôme en 2021 et plus de 10 millions en 2022. Les secteurs de la science et de la technologie continueront d’attirer des diplômés. Plus de 77% des diplômés universitaires chinois trouvent leur premier emploi avant l’obtention de leur diplôme. La Chine produit 1,3 million d’ingénieurs par an.

« Des BRICS, la Russie est probablement la plus développée avec un taux d’alphabétisation de près de 99,5%, soit plus que la Chine (95%), le Brésil (90%), l’Afrique du Sud (88%) et l’Inde (77%). Elle est devant l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis. L’enseignement russe en chiffres, c’est 4 161 700 étudiants, 741 établissements d’enseignement supérieur, 278 000 étudiants étrangers, 29 universités de recherche nationales, 10 universités fédérales, 236 100 professeurs, 24 800 professeurs titulaires, 88 500 professeurs adjoints, 37 100 docteurs ès sciences, 136 500 candidats des sciences. Le grand potentiel économique de la Russie intervient dans les sphères telles que les nanotechnologies, l’espace, l’énergie, la médecine et d’autres ; l’Inde 1,5 million, la Russie 450 000, les États-Unis 250 000.

« Au Brésil, l’enseignement supérieur comprend 12 000 formations, actuellement et près de 6 millions d’étudiants, dont 4,5 millions dans les établissements privés et 1,5 million dans les universités publiques. Il y a au Brésil autour de 176 universités et plus de 700 autres institutions d’enseignement supérieur. Ces universités, ainsi que certaines universités privées détiennent, cependant, un haut degré d’autonomie administrative et de leurs études (système fédéral). Les facultés et les universités du Brésil, aussi bien publiques que privées, imposent un examen d’entrée très sélectif appelé « vestibular ». 5 universités sont particulièrement cotées au Brésil »4.

« En Inde, les prouesses nationales sont réalisées dans plusieurs secteurs-phares comme l’informatique ou le biomédical. Partout dans le monde, on observe que les formations d’ingénieurs s’internationalisent et les standards s’harmonisent pour correspondre aux attentes des entreprises ».

Selon des chiffres cités par le magazine India Today, 525 000 ingénieurs, 250 000 docteurs, 1,7 million de diplômés en matière scientifique et 1,5 million diplômés en commerce et management sortent chaque année des universités ou grandes écoles indiennes.

Ouvert à la mondialisation, le pays parie beaucoup sur les niches technologiques. Il se positionne progressivement sur les créneaux dynamiques, à forte intensité en capital humain (l’informatique, l’industrie pharmaceutique, bio et nano-technologies). Les services qui ont tiré la croissance indienne des années 1990 constituent actuellement la moitié du PIB du pays.

« L’Afrique du Sud possède une dizaine d’universités de top niveau, l’université du Cap étant la plus ancienne du pays. Elle est classée 19ème dans le classement BRICS et 191ème dans le classement mondial. Elle se classe 26ème dans le classement BRICS pour ses citations par faculté, une mesure de l’impact de la recherche. Il existe une vingtaine d’universités de grande qualité. Les études sont payantes.

Le classement 2016 des meilleures universités des pays émergents, établi par le Times Higher Education, consacre les « BRICS » (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), et en premier lieu la Chine. Le top 10 du classement est ainsi composé de cinq universités chinoises, deux sud-africaines, une russe, une brésilienne et, seule exception, une taïwanaise. Parmi ces cinq pays, la Chine tire tout particulièrement son épingle du jeu ».

*Deux établissements chinois situés à Pékin occupent ainsi les deux premières places du podium : la Peking University et la Tsinghua University. L’University of Science and Technology of China, la Zhejiang University et la Shanghai Jiao Tong University sont, quant à elles, respectivement classées septième, huitième et dixième. Sur les 200 universités présentes dans ce palmarès, la Chine compte en tout 39 établissements avec 5 universités dans le top 105.

Le développement technologique de l’industrie

Les pays des BRICS constituent une force majeure pour le développement scientifique et technologique dans les pays en développement. Selon un rapport sur la compétitivité dans le domaine de l’innovation des BRICS 2017, les investissements annuels dans la recherche et le développement des pays des BRICS ont représenté 17% du total mondial. Les exportations des technologies de pointe de ces pays ont atteint environ 6000 milliards de dollars, soit environ 28% du total mondial, et les publications de documents scientifiques des pays des BRICS se sont élevées à 590 000, selon le rapport. La compétitivité dans le domaine de l’innovation des pays des BRICS devrait augmenter au cours des cinq prochaines années, avec la Chine et la Russie en tête6.

La Chine va intensifier ses efforts pour coopérer avec d’autres partenaires du bloc des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) afin de stabiliser les chaînes d’approvisionnement et industrielles mondiales, en mettant l’accent sur l’utilisation de l’internet industriel et de la fabrication intelligente pour autonomiser les secteurs traditionnels, accélérer la transformation numérique, accélérer l’intégration et l’application des technologies émergentes telles que l’internet industriel et la 5G. Lors de la cérémonie d’ouverture du Forum des BRICS sur le développement de l’internet industriel qui a débuté à Xiamen, Li Dong Sheng, fondateur et président du géant chinois de l’électronique grand public TCL Technology Group Corp, a déclaré que l’internet industriel était comme un pont reliant la fabrication industrielle traditionnelle, d’un côté, aux technologies de l’information de nouvelle génération, de l’autre. L’internet industriel offre des opportunités de développement commun aux pays du monde entier afin de parvenir à une reprise économique verte et à un développement durable dans la nouvelle ère7.

L’Algérie de Boumediene et l’appel à un nouvel ordre en 1974

De l’examen rapide des performances des pays du BRICS, on mesure la somme d’efforts multidimensionnels sur les plans économique, scientifique, technologique et même culturel. C’est une nouvelle vision du futur pour rejoindre le club des pays émergents. Il faut savoir que ce challenge nous permettra de nous projeter enfin dans la réalité des pays qui comptent. L’histoire retiendra qu’auréolée de la glorieuse Révolution de Novembre, l’Algérie était profondément préoccupée par le sort des ‘Damnés de la Terre’ et avait appelé en vain à l’avènement d’une justice dans le cadre d’un nouvel ordre plus juste. 

Ce sera le combat d’un homme Houari Boumediene, dont nous commémorons le 44ème anniversaire de la disparition. Comme l’écrit Claudine Rulleau : « Le nom de l’Algérie est lié, pour beaucoup, au nouvel ordre économique international. Elle en a été sans conteste le catalyseur pendant de nombreuses années. L’instauration d’un nouvel ordre économique international — que l’on peut, très schématiquement, résumer comme étant la mise en place de structures de production et de commercialisation à l’échelle mondiale, moins injustes que l’ordre antérieur pour les pays du tiers-monde et mieux adaptées à leurs besoins — suppose, en effet, la solution de nombreux problèmes qui le sous-tendent : nouveau droit international, nouveaux circuits financiers et bancaires, accroissement et dévolution des investissements, transfert de technologie, voire réforme des enseignements »8.

Houari Boumediene a appelé, en avril 1974, devant l’Assemblée générale extraordinaire de l’ONU, à un nouvel ordre économique international en déclarant « (…) Tous les leviers de commande de l’économie mondiale sont entre les mains d’une minorité constituée par des pays hautement développés. (…) En détenant l’essentiel des marchés de consommation des matières de base ainsi que le quasi-monopole de la fabrication des produits manufacturés, les pays développés ont pu fixer, à leur guise, tant les prix des matières de base qu’ils prennent aux pays en voie de développement que ceux des biens et services qu’ils fournissent à ces derniers. Tel est le fondement de l’ordre économique mondial que nous vivons aujourd’hui […], un ordre qui est injuste et qu’il faut réformer (…) »9.

Les atouts de l’Algérie candidate à rejoindre les BRICS

L’Algérie ambitionne d’intégrer les BRICS, un groupe économique réunissant les grandes puissances émergentes. Cette inclusion est porteuse d’immenses possibilités. À nous d’être entreprenants. L’histoire des peuples a montré que les plus grands dirigeants d’exception sont ceux qui, mus par une utopie, ont laissé des traces durables. En novembre, l’Algérie a déposé sa demande d’adhésion : « Une chance de décoller économiquement, scientifiquement et technologiquement ». Comment traduire dans les faits cette ambition d’ici à 2030 ?

Examinons nos atouts : le PIB de l’Algérie pour l’année 2022 devrait s’établir à 193 milliards de dollars. L’Algérie occupe le 58ème rang mondial avec un PIB du même ordre de pays de l’Union européenne qui ont profité du formidable levier de l’Union européenne comme la Grèce, le Portugal, la Hongrie, la Bulgarie, la Slovaquie, la Croatie, Malte, Chypre. Le moment est venu pour l’Algérie de sortir des sentiers battus et d’oser une rupture qui la placerait sur la trajectoire du développement. Elle a beaucoup d’atouts qu’elle devrait mettre en valeur. Les atouts sont connus : l’Algérie est un pays continent, le premier d’Afrique, avec 7000 km de frontières, 1200 km de côtes avec un port en eau profonde qui sera un hub pour les navires sur les 1200 km pour leur ravitaillement. C’est aussi la porte de l’Afrique.

Des matières premières en qualité du futur (fer, lithium, phosphate). Ce qui fait le développement du pays, c’est son réseau routier, ses ports, ses aéroports. Parmi les autres atouts, un réseau ferré parmi les plus importants : 4500 km en 2020, 6500 km en 2023, 12 500 km en 2030. 35 aéroports sur tout le territoire, dont 13 internationaux, 52 ports sur 14 wilayas côtières, dont 11 ports de commerce international, 118 306 km de routes, un réseau autoroutier d’environ 2500 km en 2019. La Transsaharanienne, atout de la pénétration commerciale de l’Afrique, c’est 4800 km d’Alger à Lagos avec 2000 km en Algérie.

La route de la soie africaine a toutes les chances d’exister, l’Algérie en sera le maillon fort, elle qui est sa porte sur la Méditerranée. Du point de vue industriel, le développement du fer, du phosphate et du gaz, notamment avec le Galsi et le NigAl, qui sont en bonne voie de réalisation. Ses atouts énergétiques et sa détermination dans la transition énergétique avec notamment le plan hydrogène vert la projetteront dans le réel développement durable.

Ériger le campus de Sidi-Abdallah comme campus de l’Algérie pour les BRICS

Forts de l’expertise, des pays des BRICS « produisent » 1,5 million d’ingénieurs de qualité par an ; l’Algérie est très en retard dans la formation d’ingénieurs. Il nous faut former 100 000 ingénieurs par an, soit 30% des sortants. Elle devra relever le défi de la formation aussi en qualité et de la recherche. Quelles que soient nos contraintes, deux ambitions devraient avoir la priorité et être les chantiers du président. Le campus de Sidi-Abdallah devrait être intronisé campus des BRICS avec de grandes écoles et l’aide graduelle des pays du BRICS. De même, au vu des grands enjeux du monde, la transition énergétique paraît inéluctable. La mise en place d’un institut de l’hydrogène et la révolution de l’électricité verte de l’hydrogène vert devraient continuer à avoir la sollicitude du président.

Nous serons d’une façon ou d’une autre impactés par les mesures de rétorsion européenne avec les politiques actuelles entre l’Espagne, la France et l’Union européenne concernant un gazoduc de gaz et, à terme, qui pourra servir pour l’hydrogène vert. Il arrivera un moment où notre avantage conjoncturel sera minoré par les pays disposant de gisements solaires et ayant une politique déterminée pour produire rapidement de l’hydrogène vert (Égypte, Maroc, Tunisie), qui pourront être des pourvoyeurs d’électricité solaire ou d’hydrogène vert, comme l’accord signé par l’Union européenne avec l’Égypte pour l’accompagnement dans la production d’électricité verte et la production d’hydrogène à destination de l’Europe.

Conclusion

Nous sommes dans la situation de pays européens qui ont été transfigurés du fait qu’ils se sont arrimés à la locomotive européenne. Sans renier les relations avec l’Europe, notamment l’Allemagne et l’Italie, nous sommes bien placés pour prétendre à ce challenge. À ce niveau, la force de frappe multidimensionnelle qui compte, c’est la capacité scientifique et technologique. On ne nous fera pas de cadeau. La politique ne suffit pas. Seule une mobilisation du pays nous donnera une chance d’intégrer les BRICS dans un délai raisonnable. Cela devrait être un chantier de tout le pays. Si on veut basculer dans le nouveau monde sans être marginalisés, il y a un train à prendre, il faut le prendre. Nous avons quelques années de dur labeur pour y arriver.

Je propose la mise en place d’une task force multidimensionnelle, qui aura à traiter de la mise en place d’un programme d’adhésion sur au moins une mandature, qui aura à expliquer les enjeux en termes simples aux citoyens et aux citoyennes afin de les mobiliser. Nos ambassades dans ces pays devraient faire une veille technologique. Nous avons une occasion unique de décupler notre effort et de nous frotter à des pays ayant des capacités technologiques qui peuvent nous aider à aller plus vite en développant le pays grâce à l’expertise dans le cadre de partenariat win-win de l’égale dignité des peuples. L’intelligensia devrait faire preuve d’imagination à travers des colloques, des conférences où l’on commencera à inviter les compétences des différents pays des BRICS10.

Il est nécessaire que des experts algériens dans différentes branches aillent s’imprégner dans les institutions des BRICS. De même, il est important d’intégrer la connaissance des différents pays et leur parcours, leurs échecs et leur réussite. L’Algérie gagnerait du temps en développant avec chaque pays des BRICS un partenariat scientifique dans une branche différente. Nous sommes dans une phase transitoire et avons besoin de transfert de technologie. C’est comme cela que je vois l’adhésion aux BRICS.

On ne peut pas, en définitive, prétendre s’arrimer à la locomotive des BRICS sans effort. C’est le bilan de nos prouesses au bout des années qui nous séparent de 2030 qui sera notre meilleur argument. Il faut pour cela un effort surhumain économique comment arriver à 250 milliards de dollars de PIB. Une transition énergétique assumée nous permettra de rationaliser la consommation d’énergie. À titre d’exemple, nous consommons 1 milliard de m3 de gaz par semaine. Si seulement nous faisions 10% d’économie d’énergie, c’est 100 millions de m3 de gaz par semaine économisés ! Mais il faut, pour cela, mobiliser cette jeunesse qui sera là en 2030.

On ne peut pas rentrer dans le développement par effraction. C’est un long chemin escarpé fait de détermination, de mobilisation du peuple dans sa totalité pour réussir les différents challenges : transition énergétique, sécurité économique, hydrique, formation de qualité, lutte contre la corruption. C’est aussi le cap vers le travail bien fait et la nécessité de rendre compte et de respecter un timing au bout duquel nous serons éligibles à faire partie du train qui, sans doute aucun, nous mettra enfin sur les rails du développement. L’adhésion aux BRICS est, à non point douter, un accélérateur de cette ambition. Nul doute qu’un monde multipolaire de l’égale dignité de chacun est le plus sûr moyen de ramener la paix dans le monde.