Transition au Mali : préserver l’aspiration au changement

Transition au Mali : préserver l’aspiration au changement

Que se passe-t-il ? En neuf mois, deux coups d’Etat ont plongé le Mali dans l’instabilité tandis que la violence persiste dans l’intérieur du pays. Ni les acteurs maliens ni les partenaires internationaux n’ont profité de la transition ouverte par la chute du président Keïta pour remettre le pays sur de bons rails.

En quoi est-ce significatif ? Le second coup d’Etat du 24 mai 2021 a conforté la mainmise des militaires sur le pouvoir et marqué le début d’une période qui nourrit plus de craintes que d’espoirs. La nouvelle coalition au pouvoir apparait fragile et peu en mesure de mener à bien des réformes pourtant nécessaires.

Comment agir ? Les dirigeants maliens doivent sauver ce qui peut l’être du projet de transition, notamment en menant une réforme du système électoral qui permettra la tenue d’élections proposant aux citoyens de réelles alternatives. L’incertitude actuelle ne devrait pas empêcher les partenaires étrangers d’œuvrer sur le long terme, afin d’aider l’Etat malien à se reconstruire.
Synthèse

Près de dix ans après le putsch de 2012, le Mali, dont les zones rurales sont toujours en proie aux violences armées, a subi deux coups d’Etat en moins d’un an. Le premier, mené par des officiers le 18 août 2020, a abouti au renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Pendant les neuf premiers mois d’une période de transition qui doit en durer dix-huit, les tensions entre civils et militaires et la fragilité de sa base politique ont paralysé le gouvernement. Un second coup, le 24 mai 2021, a conforté le pouvoir des militaires, mais ouvert une nouvelle période d’incertitudes. Malgré une présence massive, les partenaires internationaux, qui continuent de privilégier la lutte anti-terroriste plutôt que le soutien aux réformes de gouvernance, ont montré les limites de leur action. Pour tirer le meilleur parti de cette transition, les forces politiques peuvent encore entamer des réformes électorales, clôturer cette période par des élections transparentes, rassembler les acteurs politiques et de la société civile et lancer des consultations nationales soucieuses d’identifier et dépasser les facteurs de blocages.

Dans la foulée du coup d’Etat du 18 août 2020, les militaires du Conseil national pour le salut du peuple (CNSP), la junte qui a renversé IBK, ont habilement manœuvré pour conserver des postes clés au sein des nouvelles autorités de transition. Ils ont parallèlement affaibli leurs rivaux, en particulier le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), la principale coalition civile anti-IBK. La transition a, du fait de ces manœuvres politiques, accouché d’un premier gouvernement fragile, sans base politique et sociale solide pour s’atteler aux réformes promises. Malgré une feuille de route ambitieuse adoptée en septembre 2020, aucune action d’envergure n’a été réalisée durant les neuf mois du gouvernement dirigé par Moctar Ouane. Alors que la situation sécuritaire dans le pays ne connaissait pas d’amélioration significative, le gouvernement de transition est rapidement apparu en panne, paralysé par des luttes d’influence avec le CNSP, officiellement dissous mais toujours très actif en coulisses.

Dans ce contexte, un remaniement ministériel opéré en mai 2021 a mis au jour les tensions qui paralysaient l’action gouvernementale et créé les conditions d’un second coup d’Etat opéré par les militaires de l’ex-CNSP. Pendant des mois, le gouvernement Ouane avait cherché à s’affranchir des interférences des militaires et à élargir sa base politique par des consultations avec les forces sociales et politiques. En mai 2021, le remaniement ministériel opéré par le gouvernement, qui écartait plusieurs ministres proches ou membres de l’ex-CNSP, s’est brutalement retourné contre les principales autorités civiles. Les militaires les ont mises aux arrêts.

Quelques jours plus tard, le colonel Assimi Goïta, chef de l’ex-CNSP et jusque-là vice-président, est investi président de la transition. Ne pouvant gouverner seuls, les militaires de l’ex-CNSP, putschistes pour la seconde fois, ont chargé Choguel Maïga, porte-parole du M5-RFP, de former un nouveau gouvernement. Cette nouvelle alliance entre civils et militaires est cependant fragile : le M5-RFP est divisé et a perdu son autorité morale, l’imam Mahmoud Dicko, ancien dirigeant du Haut conseil islamique du Mali. L’alliance avec les militaires semble même contre nature si l’on se souvient que, pendant les mois qui ont suivi le coup d’Etat d’août 2020, Choguel Maïga a dénoncé la militarisation du pouvoir. La composition du gouvernement formé en juin 2021 ne laisse aucun doute sur le fait que les putschistes conservent la réalité du pouvoir. Ils gardent la main sur l’exécutif et les marges d’action des autorités civiles seront limitées. Neuf ans après le renversement du président Touré et un an après celui d’IBK, le pays donne à nouveau le sentiment d’un inquiétant retour à la case départ.

Après le coup d’Etat de mai 2021, les principaux partenaires du Mali, cherchant avant tout à éviter l’effondrement total du pays, ont tenté d’influencer le cours de la transition, mais leurs actions ont montré leurs limites. S’ils ont fait pression, avec un succès relatif, pour éviter la confiscation complète du pouvoir par les militaires, leurs priorités restaient d’accélérer la mise en œuvre de l’accord de paix de 2015 et de pousser vers une transition courte de dix-huit mois. Malgré la présence de milliers de soldats étrangers et la dépendance financière du pays envers les bailleurs, les partenaires internationaux n’ont pas su aider les autorités civiles à poser les bases d’un changement vertueux de la gouvernance au Mali. Beaucoup estimaient que celles-ci n’avaient ni le temps ni la légitimité d’engager de telles réformes de fond.
” Le contexte actuel de forte instabilité politique à Bamako rend la plupart des observateurs pessimistes sur l’évolution de la situation dans les semaines et mois à venir. “

Le contexte actuel de forte instabilité politique à Bamako, conjuguée à la crise sécuritaire, notamment dans les espaces ruraux, rend la plupart des observateurs pessimistes sur l’évolution de la situation dans les semaines et mois à venir. Les tensions au sein de l’appareil sécuritaire ont pour le moment été maitrisées, mais elles représentent un risque réel pour la stabilité du pays. De nouveaux équilibres politiques sont en construction à la tête de l’Etat, mais ils s’annoncent fragiles.

Il reste cependant possible de tirer quelques bénéfices de la période de transition et, avant tout, d’éviter une nouvelle sortie de route. Si les partenaires extérieurs ont leur rôle à jouer, c’est aux forces politiques et sociales maliennes qu’il revient en premier lieu de se ressaisir et de sortir le Mali de la crise sécuritaire et de la dépendance dans lesquelles le pays est enfermé. Lors des évènements de mai 2021, les Maliens se sont peu mobilisés, donnant le sentiment d’une forte lassitude face à ceux qui se disputent les oripeaux du pouvoir. Les nouvelles autorités maliennes devraient œuvrer à clôturer la transition par des élections transparentes et équitables, permettant surtout aux citoyens d’élire ceux qui proposent de réelles solutions de sortie de crise. Les acteurs maliens et les partenaires internationaux devraient inscrire leurs actions sur le long terme pour remettre la démocratie malienne sur de bons rails et assainir la gouvernance.

Pour prévenir une nouvelle sortie de route de la transition, les forces politiques et sociales maliennes et les partenaires internationaux devraient

Poursuivre les efforts entrepris par le précédent président de la transition visant à rassembler davantage les acteurs politiques et de la société civile autour des priorités de la transition. Le choix des réformes à opérer nécessite un large consensus des acteurs maliens pour éviter les blocages préjudiciables à la bonne marche de la transition ;

Continuer de faire pression sur les autorités de transition, et le président Goïta en particulier, qui ont promis une réduction du train de vie de l’Etat et une meilleure gestion des deniers publics, notamment dans les secteurs de la défense et de la sécurité, qui ont été émaillés de scandales financiers ces dernières années ;

Créer les conditions de l’adoption consensuelle d’une nouvelle loi électorale et d’une nouvelle charte des partis – deux objectifs encore réalisables de la feuille de route – afin d’assainir le jeu électoral, notamment en réduisant le contrôle de l’administration territoriale sur l’organisation des élections et en remédiant à la multiplication de partis politiques sans programme réel ;

Encourager les autorités de transition, dans le cadre des réformes plus ambitieuses contenues dans la feuille de route – notamment la révision constitutionnelle – à mettre en place un processus national de consultations soucieux d’identifier les facteurs de blocages et à laisser à des autorités démocratiquement élues le soin de soumettre à référendum un projet de nouvelle constitution ;

Rester vigilants et se montrer fermes en cas d’usage de la violence contre les oppositions politiques, ce dont les putschistes se sont jusqu’ici abstenus.

Par ailleurs, les partenaires internationaux devraient moins se préoccuper de mettre un terme à la transition dans les délais convenus que de chercher à préserver et à concrétiser l’engouement pour la refondation de l’Etat, né après la chute d’IBK. Ils devraient inscrire leurs actions dans le plus long terme et tenter dès aujourd’hui de mieux identifier et soutenir les forces porteuses du changement. Les partenaires internationaux devraient moins imposer un modèle extérieur d’Etat vertueux que faire plus de place aux initiatives locales visant, à l’intérieur de l’administration, à produire des services plus efficaces et adaptés.

Bamako/Dakar/Bruxelles, 21 septembre 2021
I. Introduction

Huit ans après le putsch de mars 2012, l’éviction du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) par un coup d’Etat militaire le 18 août 2020 a replongé le Mali dans une zone de turbulence politique sur fond d’insurrections rurales et de violences persistantes.

Cet évènement a aussi alimenté l’espoir de changement dans un pays qui semblait paralysé par la corruption et la mauvaise gouvernance. Dès son arrivée au pouvoir, le Conseil national pour le salut du peuple (CNSP), la junte militaire dirigée par de jeunes colonels qui a renversé IBK, a promis de lutter contre la corruption et de restaurer l’unité nationale. Neuf mois plus tard, à mi-parcours d’une transition prévue pour durer dix-huit mois, les nouvelles autorités maliennes avaient multiplié les promesses ambitieuses et ouvert une pléthore de chantiers sans en concrétiser aucun.

Les 24 et 25 mai 2021, les colonels du CNSP, organe en théorie dissous depuis janvier, ont organisé un nouveau coup d’Etat militaire, et se sont débarrassés des civils avec lesquels ils étaient contraints de partager le pouvoir depuis septembre 2020.

Bien qu’ils aient ensuite nommé un nouveau Premier ministre civil issu de la coalition qui avait été le fer de lance du mouvement anti-IBK, les nouveaux maitres de Bamako semblent se préoccuper davantage de conforter leur mainmise actuelle sur l’Etat que des réformes à mettre en œuvre.

Ce rapport analyse la première année de la transition malienne et plus particulièrement l’incapacité des dirigeants maliens et de leurs principaux partenaires à remettre le pays sur de bons rails. Dans un contexte marqué par le pessimisme des partenaires et la reconfiguration en cours de la présence militaire internationale au Mali, il identifie les principaux risques qui pèsent sur une transition qui a déjà fait fausse route une première fois. Il formule des recommandations pour tirer le meilleur parti possible de cette période d’exception et de ce qui suivra. Cette analyse repose sur plusieurs dizaines d’entretiens effectués au Mali entre septembre 2020 et juin 2021 lors de trois séjours d’enquête, ainsi que sur de nombreuses communications électroniques au long de l’année 2021.
II. Une transition mal aiguillée

Pour justifier le renversement d’IBK en août 2020, les colonels du CNSP l’ont accusé, ainsi que ses proches, d’être les principaux responsables de l’état de délabrement du pays. Dans un premier temps, ils ont appelé la société civile et les mouvements sociopolitiques à les rejoindre pour constituer une « transition politique civile » et jeter les bases de la reconstruction du pays. Mais en réalité, les militaires du CNSP se sont surtout attelés à écarter la génération de responsables politiques qui accaparaient jusqu’alors le pouvoir afin de consolider leur propre mainmise sur l’Etat. Ils ont négocié leur présence à des postes clés de la transition avec les partenaires internationaux tout en affaiblissant leurs rivaux potentiels, en particulier la coalition civile du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), fer de lance des manifestations anti-IBK entre juin et août 2020. Dans ce contexte, les premiers mois de la transition ont accouché d’un gouvernement fragile et divisé, privé de base politique solide et incapable, malgré son volontarisme, de s’atteler aux réformes promises.
A. Les militaires dans l’ombre du pouvoir

Dès le départ, la mise en place des institutions de transition a généré d’importantes tensions entre, d’une part, le CNSP, qui entendait garder la main sur ces organes et, d’autre part, le M5-RFP, qui suspectait les militaires de vouloir confisquer le pouvoir, et les partenaires internationaux, notamment la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qui faisaient pression pour une transition de courte durée.

Le CNSP a étroitement contrôlé les journées de concertation nationale organisées début septembre, qui ont abouti à la création des organes de transition, à savoir le président et son vice-président, le Conseil national de transition (CNT), composé de 121 membres issus des forces de défense et de sécurité, du M5-RFP, des partis et regroupements politiques et d’un large éventail d’organisations de la société civile, et le Premier ministre, à la tête d’un gouvernement de 25 membres. Le CNSP a notamment mis en place un comité d’une vingtaine d’experts, pour convaincre les forces sociales et politiques de participer à cette concertation et pour légitimer ces organes de transition aux yeux des partenaires internationaux.

La charte de la transition, instaurant des institutions provisoires pour gérer le pays jusqu’au retour à l’ordre constitutionnel, a fait l’objet d’âpres négociations. Adoptée par acclamation le 12 septembre devant une assemblée populaire acquise au CNSP et signée par le colonel Assimi Goïta, alors président du CNSP, la charte a accordé quelques concessions symboliques au M5-RFP.
Des membres du M5-RFP ont protesté en vain lors de la lecture du texte, n’y retrouvant pas une grande partie des amendements qu’ils proposaient. Des concessions plus substantielles ont été faites aux partenaires internationaux qui ont obtenu que la durée de la transition soit de dix-huit mois et non trois ans comme proposé par le CNSP. La Cedeao a aussi obtenu qu’un civil soit nommé à la tête de la transition. Le CNSP a cependant imposé son choix, en l’occurrence Bah N’Daw, un colonel-major retraité, brièvement ministre de la Défense d’IBK en 2014. N’Daw a été nommé président de la transition le 21 septembre par un collège de désignation, réuni par le CNSP et mis devant le fait accompli.

La charte offre suffisamment de marge de manœuvre au CNSP pour maintenir un contrôle important sur le pouvoir sans cependant l’assumer entièrement. Assimi Goïta est nommé vice-président, un poste inédit dans l’histoire du Mali, que les militaires du CNSP ont imposé à l’ensemble des acteurs. En théorie, ses prérogatives se réduisent aux questions de défense et de sécurité.
Dans la pratique, il s’agit d’un président bis, qui part en voyage officiel et reçoit les ambassadeurs. Un décret du 9 novembre 2020, signé par le président N’Daw, lui donne également le pouvoir de sélectionner et nommer les membres du CNT, l’organe législatif qui remplace l’Assemblée nationale, une prérogative sans grand rapport avec les questions de sécurité.

Le 27 septembre 2020, Moctar Ouane, diplomate et ancien ministre des Affaires étrangères de l’ancien président Amadou Toumani Touré, est nommé Premier ministre. Le gouvernement qu’il compose le 5 octobre réserve plusieurs postes importants aux militaires. Quatre officiers, dont trois membres du CNSP, se voient offrir des ministères clés, dont celui de la défense et celui de la réconciliation nationale.
A l’inverse, le M5-RFP semble mis à l’écart. Ses dirigeants dénoncent alors « les tentatives répétées de marginalisation » et rejoignent l’opposition en déclarant ne pas se sentir représentés par le nouveau gouvernement.

La composition du CNT illustre également la forte influence du CNSP sur les nouvelles institutions. D’après la charte de la transition, le CNT est une assemblée inclusive. Mais un décret de Bah N’Daw, signé le 9 novembre, stipule que les candidatures individuelles sont envoyées au vice-président Goïta, qui en nomme les membres.
Le CNSP aurait chargé plusieurs personnes de démarcher individuellement les candidats pour s’assurer qu’ils soient fidèles aux « jeunes colonels » autant qu’à l’organisation dont ils émanaient.

Symbole de cette influence, les membres du CNT élisent le colonel Malick Diaw, premier vice-président du CNSP, comme président de leur assemblée à une très large majorité.

Parallèlement, une série de décrets nomment des militaires membres ou proches du CNSP à des postes d’influence au sein de l’Etat. Dans les premières semaines qui suivent le coup d’Etat du 18 août, Assimi Goïta renouvelle la hiérarchie de l’appareil de défense et de sécurité du pays.
Un mois après la formation du gouvernement, le conseil des ministres approuve la nomination de dix-sept nouveaux gouverneurs (sur dix-neuf), dont onze militaires, souvent membres ou proches du CNSP. Enfin, plusieurs militaires sont nommés à des postes à responsabilités, habituellement détenus par des civils.

” L’octroi de postes à des militaires permet au CNSP de récompenser des alliés pour leur fidélité au moment du coup d’Etat. “

Comme le souligne un observateur malien de la vie politique, « les membres du CNSP ont pris le pouvoir, maintenant ils veulent prendre l’Etat ».
L’octroi de postes à des militaires permet au CNSP de récompenser des alliés pour leur fidélité au moment du coup d’Etat.

Il consolide sa base à l’intérieur d’une armée qui, par le passé, a révélé de graves et violentes divisions. La nomination de militaires à des postes clés permet également au CNSP d’étendre son influence au sein de l’appareil d’Etat et de moins dépendre des civils.

Plus généralement, la présence d’officiers supérieurs ou de personnalités nommées par leur entremise au sein des deux centres névralgiques de l’Etat malien – le palais présidentiel de Koulouba et la cité ministérielle – leur offre une influence décisive sur toutes les décisions qui y sont prises.

Enfin, les militaires, très présents au niveau du ministère de l’Administration territoriale et des gouvernorats, se positionnent pour orienter l’organisation et donc l’issue des élections qui doivent mettre un terme à la transition.

Les militaires du CNSP ont témoigné d’une indéniable habileté politique pour garder une grande influence sur les organes de la transition et affaiblir la coalition du M5-RFP.

Un décret daté du 18 janvier 2021 dissout officiellement le CNSP, une exigence posée par la Cedeao dès le mois d’août 2020. Mais il ne faut pas se méprendre sur la portée de ce décret : cette dissolution survient à l’issue d’un processus qui a permis aux membres du CNSP de s’installer aux commandes de l’Etat malien. Si la pression des acteurs internes et externes a forcé à un minimum de partage des responsabilités, les cinq principaux membres du CNSP apparus dans la nuit du 18 au 19 août sur les écrans de la télévision publique malienne influencent fortement toutes les décisions importantes prises par les autorités de transition.

Cependant, en se préoccupant surtout d’affaiblir leurs rivaux civils et de conserver leur influence, les militaires du CNSP ont empêché la constitution d’un vaste mouvement de soutien à la transition parmi les forces politiques et sociales. Le gouvernement de Moctar Ouane s’en est trouvé affaibli, sans base politique forte.
B. Une transition rapidement en panne d’actions

La mobilisation populaire qui a débouché sur l’éviction du président Ibrahim Boubacar Keïta et de son gouvernement était porteuse d’une vaste aspiration au changement, qui n’a que très peu été entendue. Les autorités de transition avaient promis de répondre à cette aspiration en posant les jalons d’un nouveau Mali, le « Mali Koura » que les manifestations anti-IBK de l’été 2020 appelaient de leurs vœux. La feuille de route de la transition, adoptée en même temps que la charte, comportait six axes ambitieux, eux-mêmes déclinés en sous-objectifs.

Mais le premier gouvernement de transition n’est pas parvenu à concrétiser les grandes propositions de cette feuille de route.
” Les élites dirigeantes ont peu d’intérêt à traduire en actes concrets l’aspiration à une gestion plus vertueuse des fonds publics. “

Ni le président N’Daw ni le Premier ministre Ouane n’ont su ou voulu poser les bases d’un assainissement des finances publiques. N’Daw avait pourtant annoncé, dès le départ, un combat sans concession contre le « fléau de la corruption », une promesse également formulée par le président IBK lors de sa première année de mandat.
En neuf mois de transition, rien de substantiel n’a été réalisé ni même entamé dans ce domaine. Le pays ne manque pourtant pas de mécanismes de lutte contre la grande corruption et le détournement des biens publics.

Mais les élites dirigeantes ont peu d’intérêt à traduire en actes concrets l’aspiration à une gestion plus vertueuse des fonds publics. Le faire risquerait d’aller à l’encontre de puissants intérêts politiques et économiques.

De même, le premier gouvernement de transition s’était engagé à rouvrir le chantier des réformes des institutions politiques, en particulier la loi électorale, la loi sur les partis politiques et l’épineuse question de la révision de la Constitution de 1992, mais il n’a pas beaucoup avancé sur ces dossiers. Après des mois d’hésitations, le président N’Daw et son Premier ministre ont réalisé qu’il leur manquait une base politique solide pour soutenir un projet aussi vaste qu’une révision constitutionnelle. La création en avril 2021 d’un Comité d’orientation stratégique, comprenant cinquante membres issus des partis politiques, de la société civile et des autorités coutumières et religieuses, constituait un pas positif vers un processus de consultation visant à établir une telle base de soutien. Mais ce processus s’est avéré très lent et le calendrier fixé par le gouvernement excessivement ambitieux (dépôt d’un nouveau projet de constitution auprès du CNT le 2 juillet 2021 et organisation d’un référendum populaire le 31 octobre 2021).

Sous la pression des partenaires internationaux pour tenir la période d’exception dans un délai de dix-huit mois, les autorités de transition ont, malgré ce temps court, l’ambition de réformer le système électoral. Ce système a en effet été la source d’importantes tensions politiques ces dernières années, dont, notamment, la crise électorale qui a conduit à l’émergence du M5-RFP. Dès 2019, le Dialogue national inclusif avait recommandé la mise en place d’un « organe unique et indépendant chargé de l’organisation des élections », une recommandation relayée ensuite par le M5-RFP.

La question électorale a suscité de nombreuses tensions entre les militaires et les forces politiques, mais aussi de la défiance entre autorités civiles et militaires de la transition. Le dossier avançait très mal malgré un effort de consultation des forces politiques et sociales déployé par le président N’Daw début 2021.

N’Daw s’est pourtant toujours montré soucieux, en public, de respecter ses engagements et de tenir les délais imposés par la charte de la transition. Le 16 avril 2021, le ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation a annoncé le calendrier électoral. Le référendum sur la révision de la Constitution était prévu le 31 octobre 2021. Il devait être suivi des élections présidentielles et législatives dont le premier tour devait se dérouler le 27 février 2022. Même avant le second coup des 24 et 25 mai, de nombreux observateurs jugeaient ce calendrier irréaliste. Les militaires du CNSP, dont beaucoup rappellent qu’ils voulaient une transition de trois ans, semblent moins pressés de se rendre aux urnes et aspirent peut-être à trouver la meilleure manière d’asseoir leur pouvoir dans la durée.

Dans le domaine sécuritaire, en revanche, les autorités de transition ont pris des mesures plus courageuses. Elles ont notamment accéléré l’adoption, le 18 décembre 2020, d’une feuille de route actualisée pour la mise en œuvre de l’accord de paix signé en 2015, puis la tenue à Kidal d’une session ministérielle du Comité de suivi de l’accord (CSA), l’organe chargé de suivre la mise en œuvre de l’accord, le 11 février 2021. Le gouvernement malien y était représenté par le colonel-major Wagué, membre de l’ex-CNSP et ministre de la Réconciliation nationale. L’intégration, dès octobre, de ministres issus des deux coalitions de groupes signataires de l’accord de paix avait constitué un geste remarqué, en rupture avec l’attitude plus timorée des précédents gouvernements.
” Les autorités de transition n’ont pas su améliorer de façon substantielle la situation sécuritaire ni rétablir la présence de l’Etat dans les territoires affectés par les insurrections armées. “

Pour autant, les autorités de transition n’ont pas su améliorer de façon substantielle la situation sécuritaire ni rétablir la présence de l’Etat dans les territoires affectés par les insurrections armées.

La tenue de la session du CSA à Kidal n’a pas débouché sur des décisions majeures susceptibles d’accélérer réellement la mise en œuvre de l’accord de paix de 2015. En avril 2021, l’assassinat dans des conditions non élucidées de Sidi Brahim Ould Sidat, président de la principale coalition rebelle, la Coordination des mouvements de l’Azawad, a d’ailleurs jeté le trouble sur la mise en œuvre de l’accord.

Enfin, même au niveau de la réforme de l’outil sécuritaire, des gestes forts restent attendus, comme la mise en place d’une base de données permettant la gestion informatisée des ressources humaines au sein des forces de défense et de sécurité que les partenaires internationaux réclament depuis des années. Des épisodes de violences armées dans des zones jusque-là plutôt épargnées, comme la région de Bougouni, au sud-est de Bamako, ont même suscité des interrogations sur la capacité réelle des militaires de l’ex-CNSP à endiguer l’expansion des jihadistes.

Neuf mois après le coup d’Etat d’août 2020, la transition semblait faire du sur place alors que la situation sécuritaire ne connaissait pas d’amélioration significative. C’est dans ce contexte qu’en mai, un remaniement ministériel révèle les tensions qui paralysent l’action gouvernementale et donne aux militaires de l’ex-CNSP l’occasion d’une nouvelle intervention brutale sur la scène politique.
III. Le coup dans le coup

L’action du gouvernement Ouane a été paralysée par la rivalité, au sein des autorités de transition, entre les civils – essentiellement l’équipe directement nommée par Ouane – et les militaires de l’ex-CNSP. La méfiance s’est progressivement installée entre ces deux camps.

Les jeunes colonels ont soupçonné le président N’Daw et Moctar Ouane de chercher à les marginaliser. Dès le départ, ils leur ont reproché de ne pas tenir suffisamment tête à la Cedeao sur plusieurs points majeurs, stipulés dans la charte lue et adoptée le 12 septembre, mais finalement retirés de la version écrite publiée au journal officiel après les négociations avec l’organisation régionale. Le vice-président Assimi Goïta se serait également plaint que le président N’Daw ne le conviait pas systématiquement aux conseils des ministres où se décidaient les nominations aux hautes fonctions administratives.
De leur côté, les membres du gouvernement proches d’Ouane s’agaçaient que des ministres choisis, selon eux, non pour leurs compétences, mais pour leur proximité avec le CNSP, témoignent d’une faible solidarité gouvernementale ou entravent par leur inertie la conception puis la mise en œuvre du Plan d’action du gouvernement.

A. Du coup de force politique au coup d’Etat militaire

Alors que son action patinait, le gouvernement Ouane a cherché à s’affranchir progressivement des interférences des militaires sur son action et à élargir, par des consultations avec les forces sociales et politiques du pays, la base politique sur laquelle il pouvait s’appuyer. Le président N’Daw, pourtant choisi par les militaires, est alors devenu un allié de circonstance. Visiblement peu favorable à la militarisation du pouvoir politique, N’Daw était désireux de tenir son engagement d’une transition de dix-huit mois. Il a, pour cette raison, soutenu les efforts visant à débloquer l’action du gouvernement et à respecter les délais fixés, en particulier les échéances électorales.

Face aux difficultés rencontrées par le gouvernement, les autorités de transition se sont entendues pour procéder à un remaniement ministériel. Pour poursuivre les efforts d’ouverture aux forces politiques, le président N’Daw a reconduit son Premier ministre tout juste démissionnaire et lui a demandé de reformer un gouvernement le 14 mai 2021. Cette décision a d’emblée créé des tensions avec les militaires de l’ex-CNSP, dont une partie espérait se débarrasser de Moctar Ouane et de son équipe, avec lesquels ils n’entretenaient pas de bonnes relations.

A cette occasion, Ouane et N’Daw tentent leur va-tout en utilisant la part de prérogatives qui échappe encore aux militaires : le pouvoir de nommer officiellement les ministres et de les défaire.

Le second gouvernement de Moctar Ouane est nommé le 24 mai. Comme attendu, les représentants des grands partis politiques font leur entrée. En revanche, deux des trois membres du CNSP, les colonels Sadio Camara (ministre de la Défense du premier gouvernement Ouane) et Modibo Koné (ministre de la Sécurité intérieure), tous deux membres de la garde nationale, sont absents et remplacés par deux généraux, l’un de l’armée de l’air et l’autre de l’armée de terre. Par ailleurs, les ministres de l’Economie et celui des Mines, deux postes stratégiques dont les titulaires sont réputés très proches de l’ex-CNSP, sortent également du gouvernement.

A la manœuvre politique du président N’Daw, les militaires de l’ex-CNSP répondent par un second coup d’Etat.

Dans les heures qui suivent l’annonce du gouvernement, le président N’Daw et son Premier ministre sont mis aux arrêts avec d’autres personnalités dont les nouveaux ministres de la Défense et de la Sécurité intérieure, le secrétaire général de la présidence, le chef de la sécurité d’Etat et son prédécesseur, exilé depuis la chute d’IBK et de retour à Bamako pour une affaire privée.

Dans un discours télévisé lu le 25 mai, le vice-président Goïta assume la responsabilité de ces arrestations et annonce avoir placé le président et son Premier ministre « hors de leurs prérogatives ».

Leur démission, sans nul doute obtenue sous la contrainte, est rendue publique dans les heures qui suivent. Le 28 mai, la Cour constitutionnelle, constatant la vacance du pouvoir, déclare Assimi Goïta chef de l’Etat et président de la transition. L’arrêt de la cour, qui feint d’ignorer les conditions de la démission du président, décrédibilise un peu plus des institutions maliennes soumises aux coups de force des militaires.

Quelques zones d’ombre entourent ces évènements et laissent planer des doutes sur l’état des forces en présence. Le président Bah N’Daw aurait reçu plusieurs avertissements des chancelleries occidentales comme de ses pairs ouest-africains, l’informant que les jeunes colonels, à la tête de la junte ayant renversé le président IBK en août 2020, étaient mécontents du remaniement à venir.

Beaucoup l’invitaient à ménager de jeunes militaires qui ne s’étaient jusqu’alors pas montrés brutaux.

Bah N’Daw, convaincu selon certaines sources d’avoir le soutien d’une partie de l’armée, a néanmoins décidé de procéder à ce remaniement controversé.
Anticipant que l’éviction de ministres de l’ex-CNSP allait créer de fortes tensions, Ouane aurait proposé, sans succès, aux ministres Koné et Camara de reprendre d’autres fonctions (Camara devait passer à la Sécurité intérieure et Koné aux Transports). Plusieurs sources mentionnent également des divisions au sein des forces de sécurité et en particulier au sein de l’ex-CNSP autour de ce remaniement. Le 24 mai, pendant quelques heures, des rumeurs jamais confirmées ont couru, laissant entendre que des éléments de la garde nationale auraient également tenté d’arrêter le vice-président Goïta.

B. Retour à la case départ
” Les coups d’Etat d’août 2020 et de mai 2021 ont en effet en commun d’avoir fait un nombre très limité de victimes. “

A l’exception de petites manifestations peu spontanées en soutien à l’action des militaires, la rue malienne ne s’est pas mobilisée face aux évènements des 24 et 25 mai. Ces derniers ont été abondamment commentés sur les réseaux sociaux, mais aucun mouvement populaire d’envergure ne s’est formé pour soutenir ni les autorités civiles déchues ni les jeunes colonels. L’absence de mobilisation profite finalement aux acteurs qui emploient la force. Ces acteurs se sont cependant gardés, jusqu’ici, d’en faire un usage excessif à l’égard des civils. Les coups d’Etat d’août 2020 et de mai 2021 ont en effet en commun d’avoir fait un nombre très limité de victimes.

Les militaires ne peuvent cependant pas gouverner seuls le pays. Non seulement les acteurs internationaux exigent le retour d’un civil à la primature (voir section suivante) mais les forces politiques maliennes, sans imposer le retour de N’Daw et Ouane, ne sont pas disposées à laisser l’exercice entier du pouvoir aux « jeunes colonels ».

Investi président le 7 juin, Assimi Goïta n’a donc guère eu d’autres choix que de nommer un civil, Choguel Maïga, vieux routier de la politique malienne et membre du comité directeur du M5-RFP, au poste de Premier ministre. L’alliance apparait fragile, presque contre nature. Après le 18 août 2020, Choguel Maïga avait dénoncé la « militarisation » du régime de transition. Mais Maïga et les jeunes colonels ont un adversaire en commun : la génération des responsables politiques de 1991, qui a longtemps tenu sans partage les rênes du pouvoir. Il est difficile de savoir si cela suffira à maintenir uni cet attelage politico-militaire.

Les militaires de l’ex-CNSP ont désormais publiquement démontré qu’ils étaient les véritables maitres du jeu politique. Ils aspirent probablement à consolider durablement leur présence même si, officiellement, ils se réfèrent toujours à la transition de dix-huit mois se terminant, en principe, fin février 2022. Dans ce contexte, la marge de manœuvre du Premier ministre civil est limitée. La composante civile de la transition sert principalement de bouclier permettant aux militaires d’éviter les sanctions et de ne pas s’exposer en assumant directement la gestion des affaires publiques. Le M5-RFP ne semble pas faire bloc derrière le nouveau Premier ministre, et l’ancienne autorité morale du mouvement, l’imam Dicko, sans avoir perdu toute son influence, n’est plus aussi central dans le jeu politique qu’il l’a été entre juin et août 2020.

Le cabinet formé par Choguel Maïga témoigne de l’influence des militaires sur l’exécutif malien. S’il intègre des membres issus du M5-RFP, il reconduit surtout dans leurs fonctions les principaux membres et alliés de l’ex-CNSP qui avaient été évincés du second gouvernement Ouane.
Le 30 juillet 2021, le Premier ministre a présenté un nouveau Plan d’action gouvernemental (PAG) devant les membres du CNT, dont il dénonçait le manque de légitimité jusqu’à sa nomination. Organisé autour de quatre axes au lieu des six du précédent gouvernement, ce plan apparait cependant bien ambitieux pour les sept mois qui restent avant la tenue d’élections présidentielles dont Choguel Maiga assure qu’il veut respecter le calendrier.

Malgré la bonne volonté affichée, cette nouvelle version du PAG apparait peu réaliste dans un délai aussi court et nourrit le sentiment que la transition fait toujours du sur place.

Dans une réunion avec le corps diplomatique le 9 septembre 2021, le Premier ministre a souligné « la nécessité d’organiser, tout d’abord, les Assises nationales de la refondation, afin de se mettre d’accord sur un large consensus national, assorti d’un chronogramme précis et détaillé devant conduire aux élections générales dans les plus brefs délais ».
Alors que ces assises, qui devaient se tenir entre juillet et août 2021 d’après le chronogramme du gouvernement, ont pris du retard, cette déclaration revient à justifier le report de facto des élections générales. Dans la foulée, une partie de la classe politique a exprimé son refus de participer aux assises et a exigé la tenue des élections en février 2022.

La question du report des élections divise la classe politique et la société civile. Elle va sans doute constituer l’un des principaux enjeux de la fin de l’année 2021 même si au moment de la publication de ce rapport, aucun camp ne semblait désireux ou même capable de mobiliser la rue malienne pour faire peser la balance en son sens.
IV. Les ambitions à la baisse des partenaires régionaux et internationaux
A. Les partenaires internationaux et le coup d’Etat d’août 2020

Au moment du renversement du président IBK, les principaux partenaires engagés au Mali ont fait preuve d’une certaine ambivalence à l’égard des autorités de transition et des militaires du CNSP en particulier. D’un côté, la plupart ont, dès le départ, condamné le renversement du président IBK et fait pression, plus ou moins selon les acteurs, pour un retour à l’ordre constitutionnel à l’issue d’une transition que tous souhaitaient courte.
D’un autre côté, des Etats ou des organisations partenaires comme la France se sont voulus pragmatiques, estimant, sans le dire publiquement, que les militaires offraient une alternative possible à une classe politique corrompue.

Ils espéraient que la nouvelle configuration serait porteuse de changement sur les dossiers qu’ils jugeaient prioritaires, comme la sécurité.

La Cedeao a d’abord incarné la fermeté à l’égard des militaires et de la transition.
Les sanctions qu’elle a imposées dès le mois d’août 2020 ont réellement pesé sur les négociations avec le CNSP, permettant d’arracher plusieurs concessions aux militaires. L’organisation a obtenu la nomination d’un civil comme président de la transition et l’engagement que celle-ci ne dure pas plus de dix-huit mois, tandis que le CNSP voulait la prolonger sur trois ans. Néanmoins, le CNSP a également su manœuvrer pour préserver une influence centrale sur la transition. Pour contrebalancer l’influence des militaires, la Cedeao aurait pu s’appuyer plus solidement sur des forces internes comme le M5-RFP, mais les relations avec celui-ci s’étaient trop dégradées depuis le mois de juillet.

En octobre, après l’adoption de la charte de la transition et la nomination des autorités civiles de transition, la Cedeao a levé ses sanctions.

Un Groupe de suivi et de soutien à la transition (GST) au Mali, présidé par l’Union africaine, la Cedeao et la mission des Nations unies au Mali (Minusma), a été créé pour maintenir une forme de pression sur les autorités et s’assurer du respect de leurs engagements. Ce groupe continue de donner la priorité à l’accélération de la mise en œuvre de l’accord de paix issu du processus d’Alger et au retour à l’ordre constitutionnel, à l’issue d’une transition de dix-huit mois. Mais le rôle du GST dans l’accompagnement des autorités de transition vers un changement vertueux de la gouvernance au Mali, par exemple à travers un meilleur contrôle des finances publiques, reste minime.

D’autres partenaires, essentiellement parmi les Européens, voulaient voir dans la transition une occasion de rompre avec l’inertie de l’ère IBK et ont adopté une attitude plus ouverte à l’égard des nouvelles autorités.

Alors que le partenariat était souvent difficile avec les précédents gouvernements, les autorités de transition – et plus précisément les militaires issus du CNSP – ont d’abord été considérées comme des acteurs proactifs, notamment sur les dossiers prioritaires aux yeux des partenaires comme la sécurité et l’application de l’accord de paix.

La France, par exemple, a évalué dans une large mesure les progrès de la transition à l’aune des critères qui lui importaient, le premier étant une meilleure coopération sur les dossiers sécuritaires.
Lors du sommet de N’Djaména en février 2021, le président français Emmanuel Macron a ainsi déclaré : « En quelques mois, je dois bien dire que ces autorités de transition ont donné plus de gages que les autorités précédentes en trois ans. Ce réalignement avec les nouvelles autorités de transition maliennes […] ouvre une fenêtre d’opportunité pour effectuer des percées militaires, civiles et politiques ».

Les autorités françaises ont félicité des autorités de transition qui n’avaient pourtant pas beaucoup avancé sur les dossiers liés à la gouvernance ou à la lutte contre la corruption.
” Les dirigeants maliens de la transition préfèrent risquer de perdre une partie de l’aide, parfois plusieurs dizaines de millions d’euros, que d’entreprendre certaines ré-formes. “

Des partenaires comme l’Union européenne ou la Banque mondiale ont poursuivi leurs efforts pour développer à l’égard des autorités maliennes une approche dite « transactionnelle » qui, de l’aveu même de ses promoteurs, n’a guère porté ses fruits jusqu’ici.
Ce terme récent correspond en réalité à une pratique ancienne : il s’agit de conditionner le soutien financier au respect d’un certain nombre de critères censés mesurer les progrès accomplis notamment dans le domaine de la gouvernance. Mais les dirigeants maliens de la transition préfèrent risquer de perdre une partie de l’aide, parfois plusieurs dizaines de millions d’euros, que d’entreprendre certaines réformes. Cette attitude est difficile à comprendre pour les bailleurs. Aux yeux des autorités maliennes, le risque est modéré, car les partenaires finissent généralement par décaisser l’essentiel de l’aide pour soutenir un Etat dont ils craignent l’effondrement préjudiciable à la stabilité régionale et également porteur de lourdes conséquences pour la population malienne.

Lors du coup d’Etat d’août 2020, la grande majorité des partenaires semblaient se résoudre à baisser leurs ambitions à l’égard de la transition et à se concentrer sur le soutien à l’organisation d’élections dans un délai de dix-huit mois.

Beaucoup avaient accepté que les autorités de transition, dominées par les militaires, n’avaient ni la marge de manœuvre ni la légitimité suffisante pour engager des réformes de fond en matière de gouvernance. Le coup d’Etat de mai 2021 a dégradé à nouveau les relations avec les partenaires et douché les espoirs de ceux qui souhaitaient une transition courte.
B. Les partenaires internationaux et le coup d’Etat de mai 2021

Comparé à celui d’août 2021, le coup d’Etat de mai 2021 a donné lieu à des sanctions plus modérées de la part des partenaires internationaux et en particulier de la Cedeao.
Certes, ils ont unanimement condamné les évènements des 24 et 25 mai. Mais ils se sont contentés de réclamer la nomination d’un Premier ministre civil et de réitérer l’exigence d’une transition de dix-huit mois maximum à compter du premier coup d’Etat de 2020, une perspective pourtant de plus en plus improbable. Dès le 27 mai, la mission de l’Union européenne consacrée à la formation des forces armées maliennes annonçait qu’elle maintenait ses activités en dépit du coup d’Etat, faisant une distinction peu convaincante entre les évènements politiques et la formation des forces de défense au moment où celles-ci renversaient pour la deuxième fois en neuf mois des autorités civiles. Des partenaires comme la France ou les Etats-Unis ont provisoirement suspendu tout ou partie de leur coopération militaire. Dès le 2 juillet, la France a néanmoins annoncé qu’elle reprenait la coopération militaire avec le Mali suspendue depuis le 3 juin.

Il était à l’évidence difficile de maintenir des troupes françaises au Mali sans relation avec les troupes du pays hôte.
” Au niveau des sanctions économiques, peu de décisions fermes ont été prises jusqu’ici. “

Au niveau des sanctions économiques, peu de décisions fermes ont été prises jusqu’ici. Dès le 4 juin, la Banque mondiale a annoncé que, conformément à ses procédures, elle suspendait provisoirement les décaissements sur ses programmes au Mali, le temps de procéder à un examen de la situation comme elle l’avait déjà fait après le coup d’Etat d’août 2020, avant de reprendre ses activités.

L’Union européenne avait annoncé le déboursement d’une nouvelle tranche d’aide budgétaire dont le devenir reste aujourd’hui bien incertain, bien qu’elle ne soit pas encore officiellement suspendue.

La position de la Russie a suscité de nombreux commentaires.
Fin mai, des soutiens du CNSP ont organisé de petites manifestations prorusses pour demander au président Poutine de déployer des troupes et de remplacer la France. De telles manifestations ne sont pas nouvelles, mais elles ont une résonnance particulière alors qu’Emmanuel Macron a annoncé l’allégement du dispositif Barkhane. La diplomatie russe s’est activée et a organisé une visite ministérielle en juin à Bamako. Des négociations seraient en cours entre le gouvernement de transition et la société Wagner, une société de mercenariat russe proche du Kremlin, pour la venue d’instructeurs militaires dont les missions pourraient inclure la protection de sites ou de personnes sensibles et la formation des militaires. Si une telle relation se concrétise, elle inaugurerait un changement majeur d’alliances pour le Mali.

Cette annonce, faite au moment où les autorités maliennes essayent de faire accepter un prolongement de la transition, constitue peut-être une manière de forcer la main des partenaires occidentaux.

Côté français, le président Macron semble avoir saisi le second coup d’Etat comme une opportunité de justifier la reconfiguration de la présence militaire française préparée depuis des mois. Cet évènement a en effet permis à la France de rejeter en partie la responsabilité de l’échec de la communauté internationale à stabiliser le Mali sur les autorités de ce pays, qui seraient plus occupées à se disputer le pouvoir qu’à résoudre la crise sécuritaire.

Dans les faits, les acteurs internationaux ont renoncé à exercer la même pression qu’en août-septembre dernier. Ils semblent avoir accepté la mainmise de Goïta et du CNSP sur le pouvoir. Si les partenaires reconnaissent par là qu’ils ont finalement des capacités limitées pour contraindre des acteurs comme le CNSP à quitter le pouvoir, ils se posent aujourd’hui beaucoup plus de questions sur le niveau d’engagement qu’ils doivent maintenir dans un pays en proie à une grave crise sécuritaire à la portée régionale.

Alors que les pressions et sanctions internationales s’amenuisent avec le temps, les partenaires internationaux ont, sans le vouloir, envoyé un mauvais signal aux autorités militaires. En dépit de leurs déclarations, les partenaires du Mali n’ont guère de levier pour empêcher les militaires de s’inscrire durablement au pouvoir s’ils tentent de le faire. Quelques jours après l’arrestation de Bah N’Daw et de Moctar Ouane, un proche conseiller du colonel Goïta faisait déjà savoir à mots voilés que la crise de mai 2020 rendrait sans doute difficile le respect scrupuleux du calendrier électoral tel qu’il avait été décidé quelques mois auparavant.

V. Agir dans une période de doute

Beaucoup de partenaires étrangers du Mali confient leur désarroi face à une élite politique et militaire qui n’apparait toujours pas en mesure d’apporter une réponse efficace à la crise que traverse le Mali. Après le second coup d’Etat, cette élite semble s’enfermer un peu plus dans des querelles intestines autour des privilèges que confère le contrôle de l’Etat central.

Les partenaires internationaux portent également une part de responsabilité dans les errements qu’a connus la transition jusqu’ici. Ils ont trop longtemps maintenu leur assistance malgré les hauts niveaux de corruption. Ces dernières années, ils ont toujours privilégié les approches sécuritaires qui, selon eux, auraient dû permettre de stabiliser le pays, plutôt qu’investir dans des actions qui auraient pu contribuer à l’assainissement de la gestion des affaires publiques.

Dans ce contexte, beaucoup sont tentés d’assurer le service minimum, à savoir pour l’essentiel de continuer à décaisser les fonds d’aide pour éviter l’effondrement complet de l’Etat malien. Il existe cependant encore des leviers pour tirer quelques bénéfices de la période de transition et, avant tout, pour éviter une nouvelle sortie de route brutale.

Le gouvernement de transition devrait laisser aux autorités élues de manière démocratique le soin de soumettre à référendum un projet de nouvelle constitution et se concentrer sur le lancement d’un processus de consultations nationales sur la Constitution. Les nouvelles autorités maliennes devraient reconnaitre qu’elles n’ont ni la capacité ni la légitimité suffisante pour mener à bien de telles réformes. Les assises nationales de la refondation, annoncées par le Premier ministre en juillet 2021, sont en ce sens un pas dans la bonne direction, à condition que ces rencontres ne se bornent pas à énumérer une série de vœux pieux. Elles devraient se donner pour objectif d’identifier les obstacles qui ont jusqu’ici anéanti les initiatives de réformes d’envergure et discuter des moyens de les contourner.

Comme l’a laissé entendre le Premier ministre, ces assises vont entrainer le report des élections. Plutôt que de s’y opposer, les forces politiques comme les partenaires du Mali devraient demander en contrepartie que l’actuel président de la transition prenne l’engagement solennel que ce report ne dépassera pas quelques mois et confirmer qu’il ne s’y présentera pas, comme le veut la charte de la transition. Cela n’exclut en revanche pas une candidature d’un ancien militaire aux élections présidentielles, à condition que ce dernier ait quitté ses fonctions six mois avant le début de la campagne, conformément à la loi électorale de 2016.

” La période de la transition ne doit pas se résumer à l’organisation de nouvelles élections, elle peut servir à poser les jalons d’un changement plus durable dans la gestion des affaires politiques et publiques. “

La période de la transition ne doit pas se résumer à l’organisation de nouvelles élections, elle peut servir à poser les jalons d’un changement plus durable dans la gestion des affaires politiques et publiques. De ce point de vue, les autorités actuelles devraient poursuivre les efforts entrepris par Bah N’Daw, le précédent président de la transition, visant à rassembler davantage les acteurs politiques et de la société civile autour des priorités de la transition. Le choix des réformes à opérer nécessite en effet un large consensus des acteurs maliens pour éviter les blocages préjudiciables à la bonne marche de la transition.

Parmi ces priorités, deux chantiers restent possibles et réalisables dans les délais impartis. En premier lieu, les forces politiques et sociales maliennes devraient prendre au mot les autorités de transition, et en particulier le président Goïta, qui a promis une meilleure gestion des deniers publics qui passerait par une réduction du train de vie de l’Etat.

Certes, cette promesse a été faite maintes fois sans grand résultat par le passé, mais la multiplication d’organisations de lutte contre la corruption au sein de la société civile – comme la Plateforme contre la corruption et le chômage de Clément Dembélé – est une dynamique qu’il convient d’encourager. Les partenaires bilatéraux, mais aussi les partis politiques maliens, devraient soutenir ces organisations et s’appuyer sur leurs travaux pour faire de nouvelles propositions aux citoyens.

En second lieu, alors que des élections doivent théoriquement être organisées fin février 2022, l’adoption d’une nouvelle loi électorale et une révision consensuelle de la charte des partis pourraient aider à assainir le jeu électoral. D’une part, la réforme électorale, qui passe notamment par la création d’un organe unique de gestion des élections, fait partie des priorités de l’actuel plan d’action gouvernemental. L’indépendance de cet organe unique doit être garantie afin de réduire la mainmise trop forte de l’administration territoriale malienne sur l’organisation des élections.

D’autre part, une révision de la charte des partis, que le gouvernement envisage mais sur laquelle il ne s’est pas encore clairement engagé, pourrait remédier à l’inflation et l’éparpillement des formations politiques dans un pays qui compte plus de 200 partis officiels. Sur ce point, les autorités devraient d’abord exiger une application plus stricte de l’article 30 de la charte des partis politiques, qui définit les obligations imposées aux partis en échange du financement public.

Elles pourraient également réviser cette charte, en accordant par exemple une aide substantielle aux formations politiques qui consacrent une part réelle de leurs activités à la formation des citoyens, et augmenter l’aide aux formations qui comptent non seulement des femmes élues (comme le prévoit l’article 29) mais également de jeunes élus.

Dans les mois à venir, les forces politiques et sociales maliennes et les partenaires internationaux doivent rappeler aux autorités de transition qu’elles ne disposent pas d’un blanc-seing pour gouverner seules le Mali. Les partenaires internationaux peuvent poursuivre leur pression sur les autorités, en particulier en continuant d’insister sur le calendrier électoral – en conditionnant un éventuel report à un engagement ferme du président de la transition – et sur le respect des règles de droit à l’égard des forces d’opposition. La société civile et les partenaires internationaux devront dénoncer les cas de dérapage et d’usage de la violence à l’égard des oppositions politiques, ce dont les putschistes se sont jusqu’ici abstenus. L’action des partenaires internationaux restera cependant limitée si, en premier lieu, les forces politiques et sociales maliennes ne se mobilisent pas elles-mêmes pour exercer un minimum de contrôle sur le pouvoir actuel, notamment à travers la prise de parole dans l’espace public, comme le font des organisations telles que l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH).
” Les partenaires internationaux devraient aider à réduire la politisation de l’armée et garder un œil sur les tensions internes aux forces de sécurité maliennes. “

Les partenaires internationaux devraient aider à réduire la politisation de l’armée et garder un œil sur les tensions internes aux forces de sécurité maliennes pour contribuer à les prévenir et tenter, le cas échéant, de les désamorcer par le jeu des pressions diplomatiques.
Jusqu’à présent les membres de l’ex-CNSP, issus des rangs intermédiaires des officiers de l’armée, ont su s’attacher la fidélité de l’appareil sécuritaire, en partie par la distribution de postes d’influence à d’autres militaires. Mais tous n’en profitent pas, et certains généraux ont perdu l’influence qu’ils avaient sous la présidence d’IBK. Les coups d’Etat d’août 2020 et de mai 2021 accentuent dangereusement la politisation de l’appareil sécuritaire. L’exemple de la Guinée ou du Burkina Faso voisins montre qu’un coup d’Etat ouvre souvent la voie à des dissensions violentes au sein des appareils sécuritaires. Dans ce contexte, la tentative d’assassinat dont a été victime le nouveau président de la transition le 20 juillet reste difficile à expliquer mais est un signal inquiétant.

Enfin, si la grande majorité des acteurs politiques maliens et des partenaires étrangers gardent actuellement les yeux rivés sur le temps court de la transition, ils ne doivent pas oublier que le système politique malien nécessite des réformes profondes qui prendront du temps à se mettre en place. Les autorités maliennes de transition se doivent de préparer le terrain pour le prochain gouvernement qui sera issu des élections à venir. De leur côté, les partenaires internationaux, qui ne pourront pas être les principaux acteurs du changement dont le Mali à besoin, devraient consacrer plus d’énergie à mieux identifier et soutenir les forces susceptibles de nourrir le changement, y compris lorsqu’une partie de ces forces sont issues de l’islam politique, ce qu’ils rechignent à faire jusqu’ici.
VI. Conclusion

Le Mali souffre de graves problèmes structurels dont l’insécurité qui touche principalement les territoires ruraux n’est que l’une des conséquences les plus visibles. La transition ouverte pour une durée de dix-huit mois après le coup d’Etat du 18 août 2020 ne pouvait certes pas résoudre à elle seule l’ensemble des problèmes que rencontre le pays. Cependant, beaucoup de Maliens et de partenaires extérieurs espéraient sans doute qu’elle poserait les bases de véritables changements. En ce sens, les nouvelles autorités maliennes ont jusqu’ici déçu et la transition s’annonce comme une nouvelle occasion manquée.

Cependant, tout n’est pas perdu. Les nouvelles autorités maliennes peuvent encore œuvrer à clôturer la transition par des élections transparentes et équitables, qui permettent surtout aux citoyens de choisir les candidats qui leur proposent de réelles solutions de sortie de crise. Par ailleurs, la chute du président IBK a coïncidé avec un fort engouement populaire pour la refondation de l’Etat. Il appartient aux forces politiques et sociales maliennes de veiller à ce que cet élan ne retombe pas et de le maintenir au-delà des élections de février 2022 en appliquant les programmes sur lesquels ils se présentent. De leur côté, les partenaires internationaux, souvent désabusés devant les blocages du système politique, ne peuvent cependant pas être les principales forces motrices de la réforme de l’Etat. Ils devraient mieux identifier et soutenir les acteurs maliens en mesure de répondre à l’aspiration populaire pour un Etat plus vertueux et capables de mettre un terme à la crise.