En Afrique de l’Ouest, les pays du golfe de Guinée redoutent une contagion jihadiste. La présence de cellules terroristes au sud du Burkina Faso inquiète les États frontaliers : Bénin, Côte d’Ivoire, Togo et Ghana. Dans ce contexte, le Ghana, pays anglophone entouré de voisins francophones, approfondit sa coopération militaire avec Paris. Une quarantaine de soldats issus des unités d’élite du pays viennent de suivre une formation au combat urbain, dispensée par les Éléments français stationnés au Sénégal (EFS).
Il fait nuit noire. Un petit groupe de soldats avance discrètement entre les bâtiments d’un complexe hôtelier. Tout est silencieux, les commandos ghanéens communiquent uniquement par gestes. Ce soir se déroule l’exercice final de « combat en localité ». Le stage de deux semaines s’est déroulé à Asutsuare, à une centaine de kilomètres d’Accra, la capitale ghanéenne. Les formateurs proviennent des Éléments français au Sénégal (EFS), qui sillonnent la région avec pour mission de faire partager leur savoir-faire opérationnel. Le capitaine Jean-François détaille la manœuvre : « Cette nuit, le but est de s’emparer d’un objectif dans lequel un ennemi aurait été décelé. Une dizaine de personnels ghanéens vont se mettre en appui, pour qu’un deuxième groupe parvienne ensuite à s’emparer de la position et détruire l’ennemi. » Un exercice assez simple mais très réaliste, auquel participent des commandos ghanéens.
Certains ont déjà été engagés sur la frontière Nord de leur pays ou dans des opérations de maintien de paix de l’ONU, au Mali ou au Liban. Ils savent que demain leur Ghana pourrait être confronté à une attaque jihadiste. « La montée du terrorisme est une menace qu’il faut anticiper. On aimerait ne jamais y être confronté, mais en tant que militaire, il faut s’entraîner dur pour être prêts, et si cela arrivait ici, être capable de défendre notre nation et notre peuple », explique le sergent-chef Delali des forces armées ghanéennes. Dans l’exercice, sous les tirs de balles à blanc, un soldat maquillé avec du faux sang simule une blessure. Garrot tourniquet, pansement compressif. Chaque seconde compte pour les premiers secours au combat. « C’est du concret, comme sur le terrain », affirme le caporal-chef Abdul Karim, « ces réflexes-là, on ne les oubliera pas ».
Surveillance de la frontière Nord
Le Ghana n’a jamais été visé sur son sol, mais le risque est réel et les autorités en sont conscientes, estime Levinia Addae Mensah, directrice des programmes du Wanep, le Réseau ouest-africain pour l’édification de la paix, à Accra : « Ces deux dernières années, on voit que la menace de l’extrémisme violent se rapproche, avec des attaques qui se déroulent parfois à moins de 10 km de notre frontière avec le Burkina Faso. Il y a eu aussi récemment des événements en Côte d’Ivoire. Au Ghana, les agences de l’État ont fait de la question de l’extrémisme une priorité, en recherchant des solutions pour mettre en place des mécanismes afin d’en atténuer les effets. »
La coopération en matière de défense est récente entre le Ghana et la France. C’est une demande des autorités ghanéennes, explique Anne-Sophie Avé, ambassadeur de France à Accra : « Le Ghana était l’un des derniers pays d’Afrique de l’Ouest avec lequel la France n’avait pas de coopération de défense. En 2019, après la visite du président Nana Akufo-Addo à Paris, une lettre d’intention a été signée pour démarrer une coopération dans ce domaine avec la France. Les Ghanéens avaient été particulièrement impressionnés par la façon dont nous avions procédé à la libération des otages du parc de la Pendjari (dans le nord du Bénin, en mai 2019, NDLR), souligne-t-elle. Cela a servi de déclic, à la fois sur la prise en compte d’un risque terroriste qui pouvait se rapprocher de leur zone, mais aussi du besoin de bénéficier de cette expertise et cette qualité d’intervention française, de cette « french touch » en matière de défense. Nous considérons que la coopération doit avoir pour base le renseignement, et se développer ensuite sur les capacités d’intervention opérationnelles, que cela soit en milieu urbain ou dans diverses spécialités comme le tir, le secourisme ou le déminage. »
Renseignement
Dès 2017, le Ghana et ses voisins francophones – Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire et Togo – avaient lancé l’Initiative d’Accra, un mécanisme destiné à renforcer la coopération. « Les terroristes sont à nos portes et ne nous ne sommes pas confrontés à la menace d’une guerre conventionnelle. La priorité doit être le partage de renseignements avec nos voisins. Nous sommes tous concernés, nous devons échanger les informations. Cela fonctionne, mais cela pourrait être amélioré », estime le lieutenant-colonel Luri, adjoint du conseiller Forces spéciales à l’état-major des armées ghanéennes.
Toutefois, l’expérience sahélienne prouve que pour prévenir la contagion jihadiste, la réponse ne peut pas être uniquement sécuritaire. « Les organisations communautaires doivent être incluses dans la prévention et la sensibilisation, mais il faudra aussi consolider certaines capacités et renforcer la résilience, pour éviter les recrutements, pour que les populations ne soutiennent pas les jihadistes. L’État doit trouver les moyens d’être en partenariat avec la société civile pour porter une stratégie de prévention. Dans le cadre d’un système d’alerte précoce, des indicateurs peuvent aider à signaler les menaces de l’extrémisme violent. Parfois les gens sentent qu’il se passe des choses, mais ils ne savent que faire de l’information. Il faudra mettre en place des cadres de concertation et de dialogue au niveau communautaire où les individus se sentent suffisamment en sécurité, pour pouvoir partager des informations sensibles liées à des actes ou des menaces. Cela permettra aux agences de sécurité de recueillir le renseignement », conclut Levinia Addae-Mensah du Wanep.
Remise de diplômes
Retour à Asutsuare. Fin de la formation dispensée par les Éléments français au Sénégal. Le commandant Damien est satisfait. L’exercice s’est déroulé dans de bonnes conditions. À Dakar, il est l’adjoint de l’Unité de coopération régionale des EFS. Pour lui, l’approche française vient compléter les formations d’autres partenaires étrangers. Israël, États-Unis et Grande-Bretagne sont également présents au Ghana à travers des formations dans la sécurité ou dans la défense. « Nous construisons un mur et chacun y pose sa brique », reconnaît l’officier français. « Dans le camp occidental, nous avons à peu près les mêmes façons de travailler, les mêmes objectifs, et nous suivons tous des standards de l’Otan, mais bien sûr chacun a sa patte, et c’est donc complémentaire. Nous présentons aux militaires ghanéens la méthode française et ensuite ils verront comment ils peuvent adapter nos procédés. Les militaires ghanéens sont dans la phase de rédaction de leur concept de forces spéciales, donc ils cherchent à prendre ce qu’il y a de mieux dans les différentes unités – étrangères –, pour pouvoir ensuite construire leur doctrine. » D’autres stages sont prévus jusqu’à la fin de l’année. Le but : que les éléments formés deviennent à leur tour des formateurs.