Port-Soudan, l’avant-poste militaire de la Russie en Afrique

STRATÉGIE. Moscou va construire une base militaire sur la mer Rouge, une première depuis l’effondrement de l’Union soviétique.

L’affaire a été rondement menée, avant d’être officiellement confirmée. La Russie prévoit la création au Soudan d’une base navale sur la mer Rouge pour le ravitaillement de sa flotte, selon un projet d’accord avec ce pays de la corne de l’Afrique présenté par le Premier ministre russe, Mikhaïl Michoustine, et approuvé par le président Vladimir Poutine. Une première pour Moscou sur le continent africain depuis la chute de l’Union soviétique. Auparavant, la Russie possédait une installation en Somalie. Depuis, le pays a développé dix autres bases militaires à l’étranger, notamment dans les pays de l’ex-URSS et en Syrie.

Mais pour les experts, cet ancrage africain par la Russie vise surtout à protéger ses intérêts en tant que producteurs d’hydrocarbures. Cette base permettrait alors de contrôler cet important marché – menacé par la piraterie – et situé sur l’une des routes les plus sensibles du commerce mondial, car près de 10 % des marchandises du monde entier passent par elle.

L’ouverture du centre soudanais montre que « la Russie est de retour dans l’océan mondial », a écrit le chroniqueur spécialiste des sujets de défense Dmitri Litovkin, dans un texte publié par l’agence de presse d’État russe Tass. « Les marins des flottes du Nord et de la Baltique n’auront pas à faire des transitions épuisantes pour passer plusieurs mois dans l’océan Indien », écrit-il.

Des installations modestes

Dans un document préliminaire, publié mercredi sur le site du gouvernement russe, on apprend que le projet concerne en premier lieu l’établissement à Port-Soudan d’« un centre de support logistique » où pourront être assurés « des réparations, des opérations de ravitaillement et le repos des membres d’équipage » de la marine russe.

Cette base pourra accueillir au maximum 300 militaires et personnel civil, ainsi que quatre navires, dont des engins à propulsion nucléaire, selon le projet d’accord. Elle sera localisée dans la banlieue nord de Port-Soudan, d’après les coordonnées géographiques mentionnées dans ce document détaillé d’une trentaine de pages.

Le texte prévoit également que la Russie possédera le droit de transporter via les ports et aéroports du Soudan « des armes, des munitions et des équipements » nécessaires pour le fonctionnement de cette base navale.

Il est précisé que cet accord sera en vigueur pour 25 ans, après un renouvellement automatique de 10 ans si aucune des parties ne demande sa cessation au préalable. Pour l’heure, les autorités russes n’ont pas évoqué de date possible de signature de cet accord avec Khartoum.
Une position stratégique pour l’avenir

Ces dernières années, la Russie, qui amorce un retour géopolitique en Afrique, s’est approchée du Soudan dans la sphère militaire, mais également à travers des projets de nucléaire civil. Depuis mai 2019, les deux pays sont liés par un accord de coopération militaire d’une durée de sept ans.

Fin janvier 2019, en pleine crise politique au Soudan, le Kremlin avait reconnu que des instructeurs russes se trouvaient « déjà depuis un certain temps » aux côtés des forces gouvernementales soudanaises.

Lors d’une visite en Russie fin 2017, l’ex-président Omar el-Béchir avait, lui, demandé au président Vladimir Poutine de « protéger » le Soudan des États-Unis et avait appelé à renforcer la coopération militaire avec Moscou en vue de « rééquiper ses forces armées ». Une rencontre qui s’était alors déroulée au mépris des deux mandats d’arrêt contre Béchir émis par la Cour pénale internationale (CPI). Aujourd’hui, cette demande devrait faire l’objet d’un futur protocole sur l’aide militaire qui sera apportée par Moscou en contrepartie à Khartoum.

Reste à connaître la position américaine. Pour l’instant, Washington n’a pas encore réagi. Il faut se souvenir qu’il y a quelques années, la Russie avait cherché des moyens d’établir une base permanente à Djibouti, qui héberge déjà des bases navales chinoises et américaines. Mais les négociations avaient échoué.