Alors que Wagner a annoncé son départ du Mali vendredi 6 juin, la Russie ne cesse de renforcer sa présence militaire dans le pays. Pour acheminer discrètement du matériel militaire à son « Corps Africain », le Kremlin utilise le port de Conakry, en Guinée voisine. En 2025, la cellule Info Vérif de RFI a documenté l’arrivée d’au moins trois convois militaires à Bamako, en provenance de ce nouveau hub logistique. Une enquête à retrouver en deux épisodes.
Nous sommes le 31 mai 2025, en plein après-midi, au cœur de Bamako. Sous un soleil de plomb, les automobilistes tentent de se frayer un chemin sur la route Nationale, au nord du fleuve Niger. Au cœur du trafic, un imposant convoi militaire composé de plusieurs dizaines de camions de transport est escorté par la police malienne. La scène est filmée et diffusée le lendemain, dans le journal du soir de la télévision nationale. À en croire la présentatrice de l’ORTM, « l’armée malienne viendrait de renforcer ses capacités opérationnelles à travers l’acquisition de nouveaux équipements ». La provenance de ce matériel n’est pas mentionnée dans le reportage.
Sur leurs différents canaux de diffusion officiels, les Forces armées maliennes (Fama) n’ont pas communiqué sur l’arrivée de ce nouveau convoi, le troisième en 2025. Dans les faits, l’analyse de ces équipements militaires ne laisse guère de doute sur leur origine.
La Russie à la manœuvre
Une chose est sûre, une telle quantité de véhicules d’origine russe n’a pas pu arriver par voie aérienne. Le Mali n’ayant pas d’accès direct à la mer, notre attention s’est une nouvelle fois portée sur le port commercial de Conakry. En janvier dernier, nous avions en effet déjà documenté l’arrivée d’une importante quantité de matériels militaires terrestres d’origine russe à Bamako. Ce convoi avait été acheminé de Russie par la mer, jusqu’au port de Conakry, avant de rejoindre le Mali par la route.
Selon des données récoltées en sources ouvertes, nous sommes en mesure de confirmer que cette nouvelle livraison a suivi le même itinéraire. Grâce à des outils de tracking de navires, nous avons identifié deux cargos russes, sous sanctions internationales, qui ont mouillé dans la capitale guinéenne entre le 25 et le 28 mai.
Le Baltic Leader (IMO 9220639) et le Patria (IMO 9159921) font partie de la flotte fantôme russe transportant discrètement de l’armement aux différents partenaires du Kremlin. Le Baltic Leader faisait notamment partie du « Syrian Express », nom donné aux bâtiments russes assurant la liaison navale entre la Syrie et la Russie. Pour cette raison, les deux rouliers figurent sur la liste des navires sanctionnés par les États-Unis.
Après sa livraison à Conakry, le Patria a rejoint l’enclave russe de Kaliningrad. Le Baltic Leader est, quant à lui, apparu en Méditerranée centrale, proche du port égyptien de Port-Saïd. Il a été survolé par un ATR P-72 de l’armée italienne. Cet avion est destiné à des missions de renseignement et de reconnaissance, particulièrement dans le domaine de la surveillance du trafic maritime.
Parmi les nombreux bateaux russes qui défilent dans le golfe de Guinée, plusieurs « ont été utilisés par l’armée russe depuis le début du conflit en Ukraine pour acheminer des armes depuis l’Iran, la Corée du Nord et la Syrie, vers la Russie », rappelle Lou Osborn, membre du collectif All Eyes On Wagner. « Ce dispositif de l’armée russe a été réorienté en partie sur l’Afrique, probablement pour pallier le déficit logistique causé par le changement brutal de régime en Syrie ».
Conakry, pierre angulaire du dispositif logistique russe
Ces deux cargos, battant pavillon russe, ne sont pas les premiers à acheminer du matériel militaire à Conakry. Le Siyanie Severa et l’Adler, deux autres navires russes sous sanctions occidentales, avaient suivi le même trajet quelques mois plus tôt. Il faut dire que le port de la capitale guinéenne offre plusieurs avantages non négligeables pour le Kremlin.
D’un point de vue géographique, Conakry est un point d’entrée parfait pour accéder au Sahel. Les navires russes peuvent rejoindre le port sans éveiller trop de soupçons, le tout dans un délai relativement réduit. Une fois déchargé, le matériel peut gagner le Mali en moins de deux jours par la route. Les autorités locales sont également peu regardantes sur les marchandises qui y transitent.
« C’est un pays qui est moins regardant en termes de surveillance comparée à d’autres endroits, comme la Côte d’Ivoire ou le Cameroun qui ne seraient pas forcément d’accord avec l’arrivée de deux bateaux sous sanctions acheminant des armes dans la région. La Russie a aussi mis un pied-à-terre en Guinée équatoriale et essaye de grignoter cette zone », explique Lou Osborn.
De Conakry à Bamako
Pour s’assurer que le convoi filmé à Bamako le 31 mai a bien traversé la Guinée, la rédaction de RFI à Dakar s’est procurée des images et des témoignages exclusifs. Plusieurs témoins affirment avoir observé cette colonne de véhicules militaires le mercredi 28 mai 2025, aux alentours de 18 h (heure locale), entre Kindia et Mamou, sur la route Nationale 1, à destination du Mali. Les photos transmises à RFI l’attestent.
Près de 990 km séparent le port de Conakry et Bamako. En véhicule léger, il faut au minimum seize heures pour rallier les deux capitales. La chronologie des faits correspond avec les différentes données récoltées en sources ouvertes.
La rareté des images amateurs filmées en Guinée concernant ce convoi s’explique en partie par les risques encourus. « En Guinée, filmer ou photographier tout ce qui est lié à l’armée peut coûter très cher », raconte une source locale interrogée par RFI.
Nouveaux matériels de guerre électronique
S’il est à ce stade impossible de savoir si ce convoi est destiné à renforcer les forces armées maliennes et/ou les soldats russes d’Africa Corps, certains véhicules n’avaient jusqu’ici jamais été observés sur le sol malien. Yann Boivin, expert des blindés et animateur du blog Blablachars, à qui nous avons montré ces images, note notamment la présence « d’un blindé de transport BTR de guerre électronique, ainsi qu’un blindé multirôles Vystrel équipé d’un canon automatique Chipounov 2A42 ».
Dans ce convoi, on retrouve également des véhicules blindés Spartak, plusieurs camions-citernes, des camions de transport, au moins un bateau pneumatique, ainsi que plusieurs pièces d’artillerie 122 D30 et 152 D20. « Ces équipements correspondent aux différents besoins sur le théâtre malien », analyse Yann Boivin.
Renforcement des capacités russes
Ce nouveau convoi montre que, malgré la communication sur le départ des paramilitaires de Wagner, la Russie renforce considérablement sa présence militaire au Mali à travers son « Corps Africain ». Il y a quelques jours, le vendredi 13 juin, l’armée malienne et ses supplétifs russes sont tombés dans une embuscade tendue par les rebelles indépendantistes du FLA (Front de libération de l’Azawad) entre Anefis et Aguelhoc. Les morts se compteraient par dizaines, même si aucun bilan fiable n’a pu être établi pour le moment. Cette défaite constitue un premier coup dur pour les successeurs de Wagner.