Après avoir tenté un temps de dissimuler ses opérations d’influence en Afrique, la Russie joue désormais carte sur table. Au Sahel, véritable laboratoire des opérations de désinformation russes, les agents d’influence de Moscou ne lésinent pas sur les moyens pour manipuler les opinions publiques locales et instrumentaliser les médias. Les journalistes sont les premières victimes de ces opérations.
- La Russie est à l’offensive sur le plan informationnel en Afrique. Une opération d’influence massive et en profondeur, qui pousse les journalistes des pays où Moscou s’est affirmé à s’autocensurer face aux risques de représailles.
- Des voyages en Russie et en Ukraine ont été organisés pour les journalistes maliens en juin 2024. De retour au Mali, ils ont commencé à organiser des évènements pro-russes.
- Forbidden Stories révèle les cours dispensés dans une toute nouvelle école de journalisme au Mali. Une école sponsorisée par African Initiative, une structure qui a remplacé les équipes d’Evgueni Prigojine.
Ils ont germé comme des fleurs du désert après la pluie. Dans les manifestations, sur les ronds-points, accrochés aux motos ou fièrement cousus sur les boubous, les drapeaux russes sont tout simplement partout. Apparus dès 2018 sur les rives de l’Oubangui en République centrafricaine, ces petits fanions sont remontés vers le nord, dans le sillage des putschs qui ont secoué le Sahel ces dernières années.
Au Mali en 2021, puis au Burkina Faso et au Niger en 2023, comme autant de pions avancés par la Russie sur la carte du continent. Systématiquement, l’apparition de ces bannières coïncide avec la signature de traités de coopération militaire entre Moscou et ces nouvelles juntes. Mais pas seulement : le Kremlin en profite aussi pour déployer son industrie d’influence médiatique.
Depuis les coups d’État qui ont renversé les gouvernements élus du Mali, du Burkina Faso et du Niger, la situation des médias s’est fortement dégradée. « Être journaliste au Niger c’est chanter les louanges de la junte, se taire ou s’exiler pour ne pas connaître les geôles », témoigne un journaliste sous couvert d’anonymat. Une fois les voix critiques muselées, le paysage médiatique de ces pays du Sahel s’est subitement métamorphosé : les contenus pro-russes et « anti-impérialistes » trônent dorénavant en une des journaux, inondent les ondes des radios et saturent les réseaux sociaux.
« On ne sait plus qui est vraiment qui désormais »
« Les mesures de suspension de médias internationaux et d’expulsion de journalistes étrangers sont symptomatiques d’une volonté de silencier les voix critiques », décrypte Sadibou Marong, Directeur du bureau Afrique subsaharienne de Reporter sans frontières (RSF). Dans un rapport intitulé « Dans la peau d’un journaliste au Sahel » et publié par l’organisation en avril 2023, RSF soulignait que ces décisions « laissent le champ libre aux médias favorables au narratif pro-russe défendant la présence des mercenaires de Wagner dans la région, et contribuent à l’explosion de la désinformation ». Une situation qui ne s’est pas améliorée depuis. Seuls quelques rares journalistes ont accepté de nous parler, à la condition expresse de rester anonymes.
Un journaliste burkinabè
Journaliste
« J’évite maintenant de traiter les sujets qui peuvent me faire disparaître du jour au lendemain »
« La présence russe a changé notre façon de traiter l’information. Les journalistes ont été achetés par des agents de Moscou via la junte pour faire de la désinformation » raconte un reporter nigérien. Un constat partagé par un confrère malien, spécialisé dans la lutte contre la désinformation : « On ne sait plus qui est vraiment qui désormais dans ce pays » déplore-t-il. Au Burkina Faso, un autre journaliste craint pour sa vie : « J’évite maintenant de traiter les sujets qui peuvent me faire disparaître du jour au lendemain ».
Alors que les journalistes sont réduits au silence, de nombreux « proxys » (relais locaux) ont vu le jour. Leur mission : peser sur l’opinion publique pour faire avancer les intérêts russes dans le pays. « Ils ont commencé à passer des contrats avec des artistes, des activistes, leaders d’association, […] qui, du jour au lendemain, ont changé de discours », détaille un journaliste souhaitant rester anonyme. « Coopter des figures locales pour pouvoir s’en servir comme des relais » est une tactique qui a fait ses preuves, estime Maxime Audinet, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) au micro de notre partenaire RFI.
Forbidden Stories et dix médias partenaires ont enquêté sur les techniques mises en œuvre par les nouveaux acteurs de l’influence russe au Sahel. Malgré la mort du cerveau de ces opérations, Evgueni Prigojine en août 2023, ces opérations n’ont jamais cessé sur le terrain. Des actions calquées sur les méthodes éprouvées en République centrafricaine dès 2018 – lire ici notre article à ce sujet. Voyages en Russie, formations de journalistes africains, maisons culturelles russes, cette enquête révèle l’ampleur de l’offensive informationnelle de Moscou en Afrique. Un mode d’action hybride, entre soft power et propagande, politique culturelle assumée et opérations d’influence clandestines.
De Bangui à Saint-Pétersbourg, de Bamako à Marioupol
Dès 2018, à l’arrivée des mercenaires du groupe Wagner à Bangui, Moscou a déployé tout un écosystème informationnel, jusqu’à envoyer les relais locaux les plus prometteurs en voyage en Russie, comme le centrafricain Héritier Doneng.
Celui qui est depuis devenu ministre de la Jeunesse, des Sports et de l’Éducation civique s’est rendu à plusieurs reprises en Russie. Sur une photo publiée en mars 2022 sur le réseau social Facebook, il pose tout sourire, emmitouflé dans sa parka, les pieds dans la neige et accompagné de la légende « Russie… », « J’étais là ! ». Une visite à Saint-Pétersbourg, la ville des Tsars, célèbre pour ses merveilles architecturales et ses « usines à trolls ».
À son retour, Héritier Doneng prend justement les rênes d’une discrète « usine à trolls » située… en Centrafrique : le Bureau de l’Information et de la Communication. Pendant plusieurs années, l’agence a enrôlé des dizaines de jeunes chargés de surveiller les opposants politiques et de distiller la propagande pro-russe sur les réseaux sociaux, d’après Ludovic Ledo, un ancien employé interrogé par France 5 en 2022.
Un mode opératoire similaire a depuis été répliqué au Burkina Faso. Les actions de ces armées numériques ont des conséquences directes sur le terrain. En avril 2023, deux journalistes français ont été expulsés à la suite d’une campagne de dénigrement, visant aussi trois de leurs confrères burkinabè. Au Mali, un journaliste nous confie désormais craindre ces mercenaires numériques, « des gens payés par les autorités et qui te présentent sur les réseaux sociaux comme l’homme à abattre ».
Héritier Doneng, qui n’a pas répondu aux questions du consortium, semble aujourd’hui avoir arrêté de travailler pour cette officine. Mais il n’est pas le seul à s’être rendu en Russie : ces derniers mois, plusieurs journalistes et blogueurs ont bénéficié de voyages de presse, parfois jusque dans les territoires occupés en Ukraine. C’est ce que nous confirme le journal de bord du journaliste malien Robert Dissa, publié sur Facebook en juillet 2024, racontant son périple effectué un mois plus tôt. « Nous quittons Moscou pour Marioupol. Environ 1 240 km de route », écrit-il, ajoutant que la ville ukrainienne, actuellement sous occupation russe, « respire le calme ».
L’offensive russe menée entre février et mai 2022 a fait des milliers de victimes et a dévasté la ville. « Des ruines de Marioupol, aujourd’hui, deux ans après, poussent partout des bâtiments flambant neufs. Marioupol est aujourd’hui une ville totalement reconstruite et même de nouveaux quartiers entiers sortent de la terre et embellissent et rajeunissent la ville » affirme Robert Dissa. Une déclaration qui fait écho à la propagande de l’État russe. Il poursuit : « Ici les jeunes se plaisent d’être en Russie, d’être de la Russie, la grande Russie ».
De retour au Mali, il change sa photo de profil pour mettre le logo de son agence de communication, nommée « Youri Communication ». Clin d’œil russophile à ses nouvelles amitiés ? Impossible à dire. Contacté par Forbidden Stories, Robert Dissa explique que cette agence fondée en 2018, n’a rien à voir avec son excursion slave. Mais ce nouveau logo est une coïncidence que n’ont pas manqué de relever les nombreux auteurs des messages de félicitations qui pleuvent sous le post Facebook. « Youri, c’est comme Oleg ou Ivan » réagit un internaute sous sa publication.
Une école de journalisme russe au Mali
Robert Dissa affirme avoir lui-même pris contact avec les Russes présents sur le territoire malien « pour aller voir la guerre en Ukraine » par lui-même, et sans contrepartie. « On m’a seulement remboursé mes frais de voyages », assure le communicant. Ce voyage est tout du moins l’acte fondateur d’une collaboration toujours plus étroite avec les agents d’influence russes au Mali.
L’été 2024 est particulièrement chargé pour Robert Dissa. Quelques semaines après être revenu d’Ukraine, le 24 août 2024, il est le maître d’œuvre de la première journée culturelle russo-malienne, placée sous le thème de « l’amour de la patrie ». Ce jour-là, le foulard flamboyant aux couleurs de la Russie est de rigueur pour les hôtesses d’accueil.
Dans la salle, des ministres maliens, le consul de la fédération de Russie Dmitry Vlasov ou encore des leaders politiques et associatifs écoutent attentivement le discours d’ouverture. Les hymnes nationaux russes et maliens retentissent, avant de laisser place à une démonstration de danse folklorique russe. Dans une interview donnée à Forbidden Stories, Robert Dissa assure qu’il profite de ces évènements « pour faire parler davantage de [son] agence pour que d’autres clients [le] sollicitent ».
Pour lui, hors de question d’être uniquement considéré comme un relais de Moscou. « Toute entreprise, tout État qui d’une manière ou d’une autre veut intervenir au Mali, contribuer au développement socio-économique de mon pays, si je n’y vois rien de mal et si j’y trouve mon compte. Je ne vois pas ce que je peux trouver de plus noble ? », explique-t-il.
Forbidden Stories a pourtant pu constater le tropisme de Robert Dissa pour le pays de Vladimir Poutine. Trois semaines avant la première journée culturelle russo-malienne, le 30 juillet, il inaugure l’école russe de journalisme à Bamako, une école sans existence physique ni site internet. Selon lui, ses partenaires russes lui ont demandé de trouver des jeunes journalistes qui pourraient être intéressés. « J’en ai parlé autour de moi et j’en ai mobilisé quelques-uns » explique l’homme qui affirme, là encore, ne pas avoir reçu d’argent pour cette mission.
Forbidden Stories et ses partenaires ont récupéré les cours de cette école, où l’intégralité de l’enseignement se déroule en ligne. Huit vidéos d’une vingtaine de minutes sont hébergées sur le site russe Yandex Disk et partagées à des dizaines de jeunes maliens. Un homme blond en chemise à fleurs ou marinière, inculque les bases du journalisme, en français, mâtiné d’un léger accent slave. Au programme : valeurs journalistiques, vérification des faits, datajournalisme… En apparence, des cours conformes à l’enseignement des techniques de base du métier.
Mais en regardant de plus près, le journalisme y est présenté comme un combat, et les journalistes comme des soldats de l’information. « L’espace Internet s’est transformé en un champ de bataille alternatif où la guerre est menée non pas par des armées régulières, mais par des journalistes, des spécialistes de campagnes d’information, des technologues politiques et des leaders d’opinion » affirme l’intervenant dans l’une de ces vidéos.
À l’aide de cours de fact-checking, l’enseignement apprend à bien connaître son adversaire, et à le démasquer. « Au lieu de citer simplement un média qui parle de la politique étrangère des États-Unis, vous pouvez indiquer que ce média est financé par le Département d’État américain », l’enseignant de la vidéo se gardant bien de préciser que le Département d’État américain n’intervient évidemment pas dans le contenu éditorial des médias. L’apprentissage des techniques rédactionnelles est à l’avenant. Pour faire un bon titre, il est conseillé « d’inclure une citation frappante et provocante ». Et l’exemple cité ne doit rien au hasard : « Macron, Dégage : Les résultats des visites de Lavrov et Yevkurov [Ministre des affaires étrangères et Vice-ministre de la Défense russes] en Françafrique ».
Selon nos informations, trois des meilleurs élèves de cette école iront ensuite se former en Russie. À leur retour au Mali, ils pourront alors intégrer l’agence de presse African Initiative en tant que correspondant.
African Initiative, une nouvelle arme de propagande
Fondée en septembre 2023, African Initiative s’impose comme la nouvelle tête de pont de la propagande russe en Afrique. Son objectif : permettre à Moscou, à travers ses services de renseignement et leurs agents d’influence, de reprendre le contrôle de l’appareil de propagande construit par Evgueni Prigojine. Si l’offensive russe sur le continent africain avait débuté par des activités clandestines, les opérations sont désormais assumées et centralisées. C’est African Initiative qui a entièrement sponsorisé la journée culturelle russo-malienne organisée par Robert Dissa.
Filip Bryjka et Jedrzej Czerep
Chercheurs à l’Institut polonais des affaires internationales
« African Initiative agirait désormais comme la principale courroie de transmission des activités de désinformation de la Russie en Afrique. »
Sur son site internet, l’organisation explique « permettre aux Russes et aux Africains de mieux se connaître » en informant « objectivement et rapidement (ses) lecteurs et collègues de ce qui se passe sur le continent ». Selon Filip Bryjka et Jedrzej Czerep, chercheurs à l’Institut polonais des affaires internationales, African Initiative agirait désormais comme « la principale courroie de transmission des activités de désinformation de la Russie en Afrique. »
Au-delà de l’aspect informationnel, l’agence est la première à avoir annoncé sur sa chaîne Telegram l’arrivée de « spécialistes militaires russes » d’Africa Corps, successeur de Wagner, au Burkina Faso. Comme un air de déjà-vu, alors que les équipes de Prigojine avaient préparé le terrain avant l’arrivée des mercenaires de Wagner en Centrafrique.
Selon le chercheur Maxime Audinet interviewé par nos confrères du Monde en mars 2024, « African Initiative est chargée de capter les entrepreneurs et les initiatives de désinformation qui étaient en place, tandis qu’Africa Corps tente d’absorber les mercenaires de Wagner ».
Mais la stratégie russe en Afrique a légèrement évolué. D’un côté, les équipes d’Evgueni Prigojine en Centrafrique, le « Projet Lakhta », regroupant « usine à trolls » et relais médiatiques à l’origine de dizaines de d’opérations d’influence russes à travers le monde opèrent toujours clandestinement. De l’autre, les responsables d’African Initiative apparaissent aujourd’hui à visage découvert sur des dizaines de photos publiées sur la chaîne Telegram de l’organisation.
À commencer par Mikhail Pozdniakov. Il est décrit sur le site d’African Initiative comme « le chef de la rédaction française de l’agence ». Souvent vêtu d’une marinière ou d’une chemise à fleurs, c’est lui qui enseigne le journalisme dans l’école en ligne de Robert Dissa au Mali. Depuis quatre mois, il anime également la première émission de télévision russo-malienne de l’histoire du pays, « Face à Mikhaïl » selon un article publié sur le site d’African Initiative. Au programme : des discussions autour du sommet des BRICS en Russie ou des actualités « Russie-Iran ». Cette émission est co-présentée avec l’analyste politique Issa Diawara et diffusée sur la Webtv Gandhi Malien TV. Accompagnés du patron de la chaîne, Mamadou Sidibé, les deux hommes se sont rendus en Russie. Un voyage relayé par le site d’African Initiative.
Dans une réponse envoyée au consortium, Mikhail Pozdniakov explique avoir quitté la chaîne de télévision russe RT pour rejoindre les équipes d’African Initiative qu’il qualifie de « grand projet mené par des spécialistes exceptionnels ».
D’autres visages plus connus ont aussi rejoint les rangs de cette nouvelle organisation. C’est le cas d’anciens membres de la galaxie Prigojine. À commencer par Anna Zamaraeva, ex-porte parole de Wagner. Elle figure sur une photo aux côtés des jeunes apprentis lors de l’inauguration de l’école russe de journalisme au Mali. Ou encore dans les bureaux moscovites d’African Initiative, lors du voyage de Robert Dissa. Et plus récemment en Guinée équatoriale lors d’une visite d’orphelinat.
Au Burkina Faso, se trouvait encore il y a quelques mois Viktor Lukovenko, ancien membre, lui aussi, de la nébuleuse Wagner. Sur sa chaîne Telegram, il prétend alors avoir fondé la succursale locale d’African Initiative. Il aurait depuis pris ses distances avec l’organisation. Ce que confirme Mikhail Pozdniakov dans un échange avec le consortium : « Viktor, pour autant que je sache, a travaillé comme notre représentant, puis nous a quittés pour rejoindre un autre projet ». La présence de ces vétérans de la désinformation « en dit beaucoup sur ces acteurs qui sont en fait des entrepreneurs d’influence se vendant probablement aux plus offrants » analyse Maxime Audinet auprès de RFI.
Mais depuis la mort d’Evgueni Prigojine, difficile de dire qui a pris les rênes de ces opérations de désinformation. Selon une enquête publiée par The Insider, un média d’investigation russe indépendant, Artyom Kureev, le rédacteur en chef d’African Initiative, appartiendrait au cinquième service du FSB, le renseignement russe, chargé des opérations internationales. Contactée par l’intermédiaire de Mikhail Pozdniakov, African Initiative nous a d’abord proposé une interview avec Artyom Kureev, avant de ne plus donner suite à nos messages.
Les Maisons russes à l’avant-garde de la bataille culturelle
S’il est difficile de confirmer la mainmise d’un service en particulier sur African Initiative, ou encore qui commande désormais les anciens proches de Prigojine, la politique culturelle extérieure russe en Afrique est plus limpide. Le Kremlin pilote officiellement ses propres organisations.
Par exemple, les Maisons russes, « Russkyi Dom » en version originale. Celles-ci sont coordonnées par l’agence fédérale de coopération russe Rossotrudnichestvo, qui dépend du ministère des Affaires étrangères russe. Elle a été placée sous sanction de l’Union européenne pour son rôle d’outil d’influence après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Selon son site internet, l’agence compte 87 succursales officielles à l’étranger. Sans compter les antennes « non étatiques », autrement dit créées en partenariat avec des ONG locales.
Des Maisons russes ont vu le jour au Mali en juin 2022, au Burkina Faso en janvier 2024, au Niger en octobre 2024, et d’ici la fin de l’année en République de Guinée. D’après les chercheurs polonais Filip Bryjka et Jedrzej Czerep, en Afrique, le processus d’expansion du réseau se serait accéléré depuis la mort de l’ancien boss de Wagner.
D’après un article publié par l’agence de presse officielle russe Sputnik daté du 15 novembre, Rossotrudnichestvo envisagerait même d’ouvrir des Maisons russes partenaires en Côte d’Ivoire. « Cela traduit une volonté de renforcer la diplomatie publique et culturelle. Ça symbolise une idée de s’ancrer », confirme Maxime Audinet, lors d’un échange avec Forbidden Stories.
Une journaliste nigérienne
Journaliste
« Juste après la dissolution de la maison de la presse dans le pays, en janvier 2024, la Maison russe a vu le jour. Selon certaines informations, elle travaille depuis avec des reporters proches du pouvoir »
À première vue, la fonction des maisons russes est similaire à celle des Alliances françaises à l’étranger ou des Goethe-Institut allemands. A Bangui, depuis l’ouverture de la maison russe en 2021, de nombreuses conférences, soirées ou événements liés à la promotion de la culture Russe ont eu lieu. Créée hors de tout cadre officiel, la Maison russe de Bangui est dorénavant partenaire de la Rossotrudnichestvo. Mais à y regarder de plus près, c’est un pionnier du groupe Wagner, Dmitry Sytyi, qui pilote la Maison russe. Et les activités vont au-delà de la promotion culturelle classique.
Dernièrement, des enfants centrafricains formant le drapeau de la Russie avec leurs tee-shirts blanc, bleu et rouge, ont été filmés devant l’esplanade de la Maison russe de Bangui. En chœur, ils souhaitent un joyeux anniversaire à Vladimir Poutine.
Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les Maisons russes sont un précieux outil d’infiltration des médias locaux. Ainsi, à Bamako, les jeunes apprentis journalistes vont y apprendre le russe chaque mercredi. Au Niger, « juste après la dissolution de la maison de la presse dans le pays, en janvier 2024, la Maison russe a vu le jour. Selon certaines informations, elle travaille depuis avec des reporters proches du pouvoir », affirme une journaliste. Être journaliste au Sahel aujourd’hui, c’est soit collaborer, soit se taire.
Comme souvent, les premières cibles de cette guerre d’influence sont les journalistes locaux. « On vit les heures les plus sombres du journalisme au Burkina Faso » explique un reporter burkinabè.
Interrogé par notre partenaire du Monde, un autre journaliste burkinabè résume la situation au pays des hommes intègres. « Les Russes ont réussi à transformer le paysage médiatique chez nous, en infiltrant les groupes sur les réseaux sociaux et en ciblant les personnalités critiques du régime, tout le monde a peur et n’ose plus parler même au téléphone ».
Grâce à une multitude d’acteurs et d’entités publiques et privées, la Russie étend sa toile et son influence sur les populations locales africaines, ou du moins sur leurs dirigeants. Des anciens lieutenants fidèles d’Evgueni Prigojine à la plus récente African Initiative, en passant par les Maisons russes, l’emprise du Kremlin s’accentue chaque jour un peu plus sur le continent africain.