Cette visite s’est tenue alors que la Russie a mis son veto à un projet de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU appelant à un cessez-le-feu et à la protection des civils.
Tom Perriello, l’émissaire américain pour le Soudan, a rencontré le général Abdel Fattah Al-Bourhane, chef de l’armée soudanaise, lundi 18 novembre à Port-Soudan (Nord-Est), sur la mer Rouge, à l’occasion de sa première visite dans le pays en guerre. Les discussions, « franches et longues », ont porté sur l’aide humanitaire et les moyens de mettre fin à la guerre, selon le bureau du général Bourhane.
Le Soudan est ravagé depuis avril 2023 par une guerre qui oppose l’armée régulière aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), du général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti ». Le conflit a déjà fait des dizaines de milliers de morts et déplacé plus de 11 millions de personnes, dont 3,1 millions à l’extérieur du pays, selon l’Organisation des Nations unies (ONU).
D’après un communiqué du département d’Etat, Tom Perriello a « eu un dialogue franc avec les responsables soudanais » à Port-Soudan, devenue le siège de facto du gouvernement après que les autorités ont été chassées de Khartoum. Les discussions ont porté « sur la nécessité de cesser les combats, de permettre un accès humanitaire sans entrave, notamment par des pauses localisées pour permettre l’acheminement des secours, et de s’engager en faveur d’un gouvernement civil », précise le communiqué.
Les efforts de paix, notamment ceux des Etats-Unis, de l’Arabie saoudite et de l’Union africaine, n’ont réussi qu’à augmenter marginalement l’accès à l’aide humanitaire, que l’armée et les FSR sont accusées de bloquer. La pression internationale a permis au gouvernement d’autoriser l’acheminement de l’aide par Adré, un poste-frontière-clé avec le Tchad et le seul point d’accès au Darfour (Ouest), frappé par la famine. Cependant, le général Bourhane a dit lundi à l’émissaire américain que son gouvernement rejetait « l’utilisation du poste-frontière d’Adré pour livrer des armes aux rebelles », une allusion à son utilisation présumée par les FSR pour s’approvisionner en armes.
Une résolution « au parfum postcolonial »
La visite de l’émissaire américain s’est tenue le jour où la Russie a empêché le Conseil de sécurité de l’ONU d’appeler à un cessez-le-feu et à la protection des civils au Soudan – un veto fustigé par plusieurs Etats membres qui espéraient mettre la pression sur les deux généraux rivaux. Le projet de résolution vu par l’Agence France-Presse (AFP) appelait les parties « à cesser immédiatement les hostilités et à s’engager de bonne foi dans un dialogue pour permettre des étapes vers une désescalade, dans le but de se mettre d’accord de façon urgente sur un cessez-le-feu national ».
Le texte, préparé par le Royaume-Uni et la Sierra Leone, a recueilli quatorze voix pour et une contre. « Un pays a empêché le Conseil de parler d’une seule voix […] Un pays est l’ennemi de la paix. Ce veto russe est une honte, la Russie montre une nouvelle fois au monde quel est son vrai visage », a fustigé David Lammy, le ministre des affaires étrangères britannique, qui présidait la réunion. « Honte à Poutine de prétendre être un partenaire des pays du Sud tout en condamnant des Africains noirs à subir plus de meurtres, de viols, de famine dans une guerre civile brutale ! », a-t-il ajouté.
« La Russie affirme être pour et avec les Africains mais vote contre une résolution soutenue par les Africains pour les Africains », a renchéri l’ambassadrice américaine, Linda Thomas-Greenfield, jugeant « inadmissible » que la Russie s’oppose à des mesures « pour sauver des vies ».
L’ambassadeur russe adjoint, Dmitry Polyanskiy, assurant que Moscou souhaitait un cessez-le-feu décidé par les parties elles-mêmes, a justifié son veto en dénonçant un projet de résolution « au parfum postcolonial ». Il a également accusé les Britanniques d’avoir empêché « toute mention des autorités légitimes du Soudan » pendant les négociations.
Si lors des précédentes résolutions sur cette guerre, la Russie s’était abstenue, elle s’est montrée récemment de plus en plus clairement « alignée » avec le camp du général Bourhane, avait commenté un diplomate avant le vote. Dans un communiqué, le ministère des affaires étrangères soudanais a d’ailleurs « salué » le veto russe, expression d’un « soutien à l’indépendance et l’unité du Soudan et de ses institutions nationales ».
Des violences sexuelles généralisées
Le pays connaît ces dernières semaines une nouvelle flambée de violences, chacun des deux camps semblant « persuadé de pouvoir l’emporter sur le champ de bataille », a déploré il y a quelques jours Rosemary DiCarlo, la sous-secrétaire générale de l’ONU pour les affaires politiques. Les civils en paient le prix fort, avec environ 26 millions de personnes confrontées à une insécurité alimentaire sévère et des accusations de violences sexuelles généralisées.
Dans ce contexte, le projet de résolution appelait les deux parties à « respecter les engagements » pris en 2023 pour protéger les civils, à ne pas utiliser les violences sexuelles comme « tactique de guerre » et à permettre un accès « rapide, sûr et sans entrave » à l’aide humanitaire. Sans nommer personne, le projet de texte appelait les Etats membres à s’abstenir d’« ingérences extérieures qui alimentent le conflit » et réclamait le respect de l’embargo sur les armes vers le Darfour. Le Soudan accuse régulièrement les Emirats arabes unis de soutenir les FSR, notamment en leur livrant des armes ; accusation rejetée par Abou Dhabi et les FSR.
Même si la résolution avait été adoptée, reste à savoir si elle aurait pu avoir un impact sur la guerre. En mars, la résolution du Conseil de sécurité appelant à un cessez-le-feu « immédiat » pendant le mois du ramadan n’avait pas été suivie d’effet. En juillet, le Conseil avait exigé la fin du « siège » d’El-Fasher par les FSR et la fin des combats autour de cette grande ville du Darfour, où sont piégés des centaines de milliers de civils. En vain, également.