La famine s’installe dans les zones de conflit prolongé d’Afrique

La famine s’installe dans les zones de conflit prolongé d’Afrique

Les 163 millions d’Africains—un chiffre record—qui font face à une situation d’insécurité alimentaire aiguë se trouvent, pour 80 % d’entre eux, dans des pays en conflit. Au Soudan, au Soudan du Sud et au Mali, 840 000 de ces personnes feraient potentiellement face à la famine.

Points forts

  • Environ 163 millions d’Africains font face à l’insécurité alimentaire aiguë, maintenant à un niveau record le nombre d’Africains qui subissent un tel niveau de crise alimentaire. Ce chiffre a quasiment triplé depuis cinq ans, soulignant l’escalade rapide de la situation d’urgence alimentaire en Afrique.

Insécurité alimentaire aiguë

L’insécurité alimentaire aiguë se produit quand l’incapacité d’une personne à consommer suffisamment de nourriture met leur vie et leur moyen de subsistance en danger immédiat. Cela équivaut à une catégorie de risque de 3 ou plus (crise, urgence et catastrophe) dans le Cadre intègre de classification de la sécurité alimentaire (IPC) dont l’échelle en compte cinq.

  • Environ 130 millions (soit 80 %) des personnes qui font face à l’insécurité alimentaire aiguë se trouvent dans des pays en conflit, dont plusieurs perdurent depuis des années et ont ainsi miné les capacités nationales et communautaires à y survivre.
  • 13 des 16 pays d’Afrique où le plus grand nombre de personnes subissent une insécurité alimentaire aiguë sont en conflit. Ce schéma souligne que le conflit continue d’être le facteur principal de l’insécurité alimentaire aiguë en Afrique.
  • Les pays en conflit comprennent 18.6 millions des personnes en niveau d’urgence alimentaire (soit 94 % des personnes en Phase 4) et 840 000 personnes en niveau de catastrophe (soit 100 % des personnes en Phase 5, de famine).
  • 13 des 16 pays d’Afrique où le plus grand nombre de personnes subissent une insécurité alimentaire aiguë sont en conflit. Ce schéma souligne que le conflit continue d’être le principal facteur de l’insécurité alimentaire aiguë en Afrique.
  • La famine a aussi été confirmée dans la soudanaise région du Darfour. Certaines parties du Soudan du Sud et du Mali pourraient aussi souffrir de la famine, mais le manque d’accès et les défauts dans la collection et la communication des données empêchent de le confirmer.
  • Cette augmentation globale au niveau continental est un peu réduite par la diminution progressive du conflit dans la région éthiopienne du Tigrai, qui a vu une baisse de 3,9 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire aiguë. La Somalie et l’Ouganda ont aussi vu des diminutions importantes dans l’insécurité alimentaire (de 2,2 millions et de 1,2 million respectivement) avec la fin de la sècheresse de 2020-2023 en Afrique de l’Est.
  • Le Nigeria, le Soudan et la République démocratique du Congo sont les trois pays où le plus grand nombre de personnes se trouvent en situation d’insécurité alimentaire aiguë. Dans chacun de ces pays, plus de 20 millions de personnes se trouvent au moins à un niveau de crise d’insécurité alimentaire. Environ la moitié des personnes qui font face à l’insécurité alimentaire aiguë en Afrique se trouvent dans ces trois pays.
  • Cette année, le Nigeria et le Soudan ont aussi vu la plus grande augmentation globale du nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire aiguë, ajoutant 6,8 millions et 5,3 millions de personnes respectivement à ces chiffres.
  • Dans quatre pays, 40 % au moins de la population fait face à la faim aiguë dont le Soudan du Sud (64%), le Soudan (53%), la Namibie (48 %) et la République centrafricaine (44 %).

Pays où plus de 2 millions se trouvent en Phase 3 ou plus de l’IPC/CH d’insécurité alimentaire

  • La menace de l’insécurité alimentaire en Afrique est tout aussi remarquable du fait de son ampleur. En effet, plus de 10 % de la population fait face à l’insécurité alimentaire aiguë dans 23 des 54 pays du continent, plus que le double de pays par rapport à 2019.
  • Au moins 10 % des populations d’Afrique centrale, orientale, occidentale et australe font face à l’insécurité alimentaire aiguë. 19 % de la population de l’Afrique centrale fait face à l’insécurité alimentaire, la plus grande part de toute région. 5 des 7 pays d’Afrique centrale sont en conflit.
  • Onze pays ont subi une augmentation d’au moins 20 % du nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire aiguë. Ces changements importants sont particulièrement ressentis par les populations en question, même si ces augmentations ne sont pas largement signalées en raison de leurs populations relativement moins importantes.
  • Si le conflit demeure le facteur principal de l’insécurité alimentaire aiguë, les effets de la pandémie sur la production et le commerce agricole perdurent, ainsi que les effets de l’invasion de l’Ukraine par la Russie sur les chaines d’approvisionnement mondiales, les menaces de la piraterie sur le transport maritime, les attaque houthies en mer Rouge et dans l’Océan Indien et les chocs climatiques. Toutes ces dynamiques contribuent à limiter la disponibilité des aliments et à augmenter fortement leurs prix.
  • Le phénomène El Niño a contribué à une sècheresse dévastatrice en Afrique australe cette année. Cependant, en Afrique occidentale et centrale, la transition vers un schéma La Niña a contribué à des pluies particulièrement importantes ces derniers mois. Puisque la plupart de la production agricole en Afrique dépend de la pluie, ces deux phénomènes extrêmes ont eu une incidence négative sur des dizaines de milliers de personnes.

Il suit un examen plus approfondi des pays d’Afrique où la population faisant face à l’insécurité alimentaire aiguë est la plus importante.

Nigeria

Environ 31,7 millions de Nigérians font face à au moins un niveau de crise d’insécurité alimentaire, y compris presque un million en Phase 4 (urgence). Cela représente une augmentation de 27 % par rapport à l’année dernière et continue une tendance à la hausse depuis 2019.

La violence a déplacé les agriculteurs et les éleveurs et détruit les récoltes et le bétail. Les groupes islamistes militants tels que Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWA), les groupes armés criminels dans le Nord-Ouest et les conflits entre agriculteurs et éleveurs dans la Middle Belt sont les moteurs de cette violence. La perturbation des chaines d’approvisionnement et des marchés ont provoqué une forte augmentation des prix des denrées alimentaires dans tout le pays. De plus, l’inflation s’élève aujourd’hui à 34 %.

Le gouvernement a déployé 10 000 “gardes agricoles” (agro-rangers) dans 19 États pour pallier l’insécurité des fermes et des régions rurales. Cependant, des pluies exceptionnellement importantes ont fait des ravages dans les communautés, les fermes et les marchés de la ceinture agricole du Nigeria (y compris la rupture d’un barrage près de Maiduguri, la capitale de l’État de Borno dans le Nord-Est). Toutes sont des communautés par ailleurs déjà affectées par les conflits.

Soudan

Alors même que le Soudan est historiquement le plus grand producteur agricole d’Afrique, il fait aujourd’hui face au deuxième niveau global le plus élevé d’insécurité alimentaire sur le continent. Cette crise alimentaire est entièrement auto-infligée puisqu’elle est due au conflit qui a éclaté en avril 2023 entre les Forces armées soudanaises et les milices des Forces de soutien rapide rivales. Environ 25,6 millions de personnes (soit la moitié de la population) font face à l’insécurité alimentaire aiguë, y compris 8,5 millions de personnes en situation d’urgence et plus de 756 000 personnes en situation de crise alimentaire catastrophique ou de famine. La situation est particulièrement critique pour les populations bloquées dans les États du Darfour, Kordofan, Khartoum et Al-Jazirah.

L’ONU accuse les parties en guerre de se servir de l’accès à la nourriture comme d’une arme car l’aide internationale n’est pas en mesure d’atteindre des millions de personnes qui en ont besoin.

Les combattants ont détruit des installations pétrolières, des écosystèmes cruciaux, l’approvisionnement en eau et l’infrastructure d’eaux usées, condamnant le pays à des empêchements à long terme du développement économique. Avec le début de la saison des pluies, les inondations ont touché de nombreuses parties du pays. Les cas de choléra augmentent. C’est au Soudan que se produit aujourd’hui la plus importante crise de déplacement au monde. L’ONU accuse les parties en guerre de se servir de l’accès à la nourriture comme d’une arme car l’aide internationale n’est pas en mesure d’atteindre des millions de personnes qui en ont besoin.

Le conflit au Soudan fragilise aussi les stratégies d’adaptation des pays voisins, provoquant des pressions sur la sécurité alimentaire de leurs populations et des déplacés qu’ils accueillent (voir les sections sur l’Éthiopie, le Soudan du Sud, le Tchad et la République centrafricaine ci-dessous).

République démocratique du Congo

Le conflit multidimensionnel qui sevit dans les provinces orientales du pays est le facteur principal de l’insécurité alimentaire en République démocratique du Congo (RDC). Environ 23, 4 millions de personnes (soit presque un quart de la population) fait face à l’insécurité alimentaire aiguë. Cela comprend 2,9 millions de personnes en situation d’urgence (phase 4). Avec l’élargissement du conflit dans l’Est, où plus de 6,5 millions de personnes déplacées internes peinent déjà à survivre, ces projections en matière d’insécurité alimentaire aiguë pourraient bien être sous estimées.

Comme dans d’autre pays en conflit, le déplacement et la menace de la violence empêchent les agriculteurs de s’occuper de leurs cultures et de leur bétail, diminuant l’approvisionnement alimentaire des marchés. Plus de 6 millions de personnes sont déplacées en RDC.

Éthiopie

Les désastres liés au changement climatique (la sècheresse dans certaines régions et les inondations dans d’autres), le déplacement restant causé par le conflit au Tigrai et les combats entres les milices ethniques dans les régions d’Amhara et d’Oromia font qu’environ 15,8 millions d’Éthiopiens ont besoin d’aide alimentaire d’urgence.

Soudan du Sud

Le retour rapide de plus de 630 000 citoyens Sud-Soudanais et l’arrivée de 200 000 réfugiés fuyant le conflit au Soudan ont exacerbé la crise humanitaire au Soudan du Sud..

Le conflit, les catastrophes naturelles (les inondations graves et les sècheresses) et le coût élevé des denrées alimentaires qui en résultent font que le Soudan du Sud fait face à des niveaux soutenus d’insécurité alimentaire aiguë. Cette année, 7,1 millions de personnes (soit plus de la moitié de la population) font face à un niveau de crise d’insécurité alimentaire, y compris 2,3 millions en niveau d’urgence (Phase 4) et environ 80 000 en niveau de catastrophe (Phase 5).

Le retour rapide de plus de 630 000 citoyens Sud-Soudanais et l’arrivée de 200 000 réfugiés fuyant le conflit au Soudan ont exacerbé la crise humanitaire au Soudan du Sud.

Le conflit a aussi provoqué la rupture du pipeline depuis le Soudan du Sud, éliminant la principale source de recettes étrangères du pays.

Autres points chauds de l’insécurité alimentaire
Tchad

Les provinces de l’est du Tchad souffrent de la pression d’avoir récemment accueilli presque 862 000 réfugiés soudanais, qui sont venus s’ajouter aux 400 000 qui s’étaient réfugiés au Tchad au début des années 2000 pendant la première crise au Darfour. L’est du Tchad est fortement dépendant des importations du Soudan pour de nombreuses denrées de base, y compris la nourriture. Ces importations ont quasiment cessé et un nouveau mouvement de déplacement devrait encore diminuer les stocks alimentaires parmi les communautés d’accueil. Cependant, la pauvreté et l’isolation des camps de déplacés sont aussi des obstacles à l’accès à l’assistance alimentaire internationale.

En 2024, des pluies exceptionnellement importantes ont provoqué des inondations qui ont détruit du bétail, des cultures et 160 000 maisons.

Dans la région du Lac, dans l’ouest du pays, l’insécurité causée par Boko Haram et l’ISWA, ainsi que la détérioration des moyens de subsistance, des manquements dans la production locale et des chocs climatiques à répétition (tels que les inondations et la sècheresse) ont aggravé l’insécurité alimentaire. En 2024, des pluies exceptionnellement importantes ont provoqué des inondations qui ont détruit du bétail, des cultures et 160 000 maisons.

En raison de ces crises, presque 3,4 millions de Tchadiens (soit presque 20 % de la population) font face à l’insécurité alimentaire, y compris 534 000 personnes en niveau d’urgence (Phase 4).

Burkina Faso

Le Burkina Faso demeure un environnement hautement fragile, où une junte de plus en plus isolée combat une insurrection islamiste qui a assiégé la capitale et plus de 60 autres communes. Plus de 2,7 millions de personnes font face à l’insécurité alimentaire au Burkina Faso aujourd’hui, y compris 423 000 personnes en niveau d’urgence dans les provinces du nord et de l’est où les combats sont les plus importants. Mais l’opacité concernant la situation au Burkina Faso, la junte ayant interrompu en mars 2023 la publication de rapports sur la crise de déplacement interne (qui aux dernières nouvelles concernait 2,3 millions de personnes), signifie que la situation au Burkina Faso pourrait être bien pire.

République centrafricaine

Le conflit continue d’être le facteur principal de l’insécurité alimentaire aiguë pour les 2,5 millions de civils qui y font face en République centrafricaine (RCA). Cela inclut 508 000 personnes en niveau d’urgence. Le conflit en RCA perdure depuis 12 ans et il est prévu que les conditions pourraient s’empirer dans ce pays où plus de la moitié de la population dépend de l’aide humanitaire pour survivre.

Mali

La censure de l’information par la junte malienne signifie que la situation pourrait être bien pire qu’il n’y parait.

Les attaques des islamistes militants sur les populations de Tombouctou, Gao et Ménaka provoquent une insécurité alimentaire aiguë au Mali, y compris un niveau de catastrophe (Phase 5) à Ménaka. Presque 1,4 million de personnes pourraient faire face à l’insécurité alimentaire aiguë, y compris 121 000 personnes en niveau d’urgence (Phase 4) à Mopti, Gao, Tombouctou et Kidal. La censure de l’information par la junte malienne signifie que la situation pourrait être bien pire qu’il n’y parait. La situation n’est qu’empirée par les assauts prédateurs des forces armées de la junte et de ses alliés paramilitaires russes sur les communautés des régions contestées. La Mali a aussi été touché par de graves inondations provoquées par des pluies dues à La Niña.

Somalie

Quelque 4,4 millions de Somaliens (soit 23 % de la population) font toujours face à l’insécurité alimentaire aiguë, y compris presque un million à un niveau d’urgence (Phase 4) suscité par le l’insurrection al Shabaab et le déplacement et l’insécurité qu’elle provoque, notamment dans les régions du centre et du sud-central du pays qui sont contestées par le groupe militant.

Insécurité alimentaire non-liée au conflit

Afrique australe (Lesotho, Malawi, Mozambique, Namibie, Zambie et Zimbabwe)

Six pays d’Afrique australe ont subi une sècheresse et une canicule provoquées par El Niño et qui ont causé des mauvaises récoltes et des morts de bétail. Tous ces pays sauf le Mozambique ont proclamé un état d’urgence nationale. Avec ces mauvaise récoltes des denrées de base et l’augmentation du prix des aliments, 5,8 millions de personnes en Zambie, 5,7 millions de personnes au Malawi, 3,3 millions de personnes au Mozambique, 3 millions de personnes au Zimbabwe, 1,3 million de personnes en Namibie et 400 000 personnes au Lesotho font face à un niveau d’insécurité alimentaire aiguë. La Zambie a été touchée par une “tempête parfaite” de désastres naturels, y compris une épidémie de légionnaires d’automne, de sauterelles et de maladie striée du manioc.

Le conflit dans le nord-est du Mozambique contribue à environ 45% de l’insécurité alimentaire du pays. Environ 773 000 mozambicains font face à un niveau d’urgence d’insécurité alimentaire (Phase 4).