Pour surmonter l’asymétrie actuelle des relations entre l’Afrique et la Chine, il faudra institutionnaliser un suivi africain plus solide et plus transparent des engagements, assurer une représentation stratégique, et exploiter l’expertise africaine.
Alors que l’attention se porte sur la mise en œuvre des résolutions du neuvième forum sur la coopération sino-africaine (Forum on China-Africa Cooperation ou FOCAC), des questions se posent quant à savoir si les pays africains ont la possibilité de façonner cette relation à l’avenir. De nombreux observateurs africains s’inquiètent du fait que le FOCAC reste profondément asymétrique, la Chine exerçant un contrôle plus important et dictant donc l’ordre du jour. Les pays africains sont perçus comme étant en retrait ou comme se ralliant le plus souvent aux positions chinoises, même si celles-ci risquent de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Afrique.
De nombreux observateurs africains restent préoccupés par le fait que le FOCAC reste profondément asymétrique, la Chine exerçant un contrôle plus important et dictant donc l’ordre du jour.
Le plan d’action de Pékin du FOCAC (2025-2027) intègre l’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA) (le plan directeur de développement de l’Afrique), le Programme pour le développement des infrastructures en Afrique (PIDA) de la Banque africaine de développement et la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) dans le FOCAC. Cependant, il est fermement ancré dans des concepts de sécurité nationale chinois tels que l’Initiative de sécurité globale (ISG) qui promeut des normes et des pratiques de sécurité chinoises distinctes qui font progresser les efforts plus larges de la Chine pour façonner l’ordre mondial en fonction de sa montée en puissance. L’adhésion à ces concepts pourrait, par inadvertance, entraîner les pays africains à intégrer la sphère géostratégique de la Chine, ce qui pourrait, en retour, compromettre la position stratégique de l’Afrique dans la perspective des rivalités géostratégiques.
Le FOCAC est également devenu un moyen pour la Chine de socialiser et de légitimer les concepts jumeaux de l’ISG, l’Initiative de développement mondial (IDM) et l’Initiative de civilisation mondiale (ICM), afin d’encadrer ses engagements dans les pays en développement. Le programme militaire et de sécurité élargi décrit dans le nouveau plan d’action de Pékin du FOCAC est décrit comme une « première étape de la mise en œuvre de l’ISG ». Comme le fait remarquer Chris Alden de la London School of Economics, spécialiste de longue date de la Chine, « ce FOCAC est peut-être l’intégration la plus significative de ces concepts dans la pratique politique ».
Le [FOCAC 2024] ne précise pas comment la Chine peut collaborer avec les pays africains pour réduire le fardeau de leur dette.
Les intérêts de l’Afrique dans ces réalisations ne sont pas clairs. Le nouveau plan d’action ne dit rien de la position commune africaine sur la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, également connue sous le nom de consensus d’Ezulwini de 2005, qui vise à obtenir des sièges africains permanents au Conseil ainsi qu’un droit de veto.
Il n’offre pas non plus de solutions claires pour inverser le déficit commercial annuel de 64 milliards de dollars entre la Chine et les pays africains – une question sur laquelle les dirigeants africains ont exercé une forte pression, avant et pendant le sommet du FOCAC. Bien que les remboursements de prêts sans intérêt dus à la fin de 2024 pour certains pays aient été annulés, le document ne précise pas comment la Chine peut collaborer avec les pays africains pour réduire le fardeau de leur dette. En tant que premier créancier bilatéral de l’Afrique, détenant environ 12 % de la dette africaine, la Chine est de plus en plus sollicitée pour donner la priorité à la viabilité de la dette dans ses relations avec l’Afrique et pour inciter les pays africains à emprunter de manière plus responsable.
La Chine continue d’accorder des prêts bilatéraux pour maintenir ses relations stratégiques, même si elle tente de réduire son exposition au risque en canalisant davantage de prêts par l’intermédiaire des banques multilatérales régionales africaines. En 2023, les prêteurs chinois ont accordé des prêts aux emprunteurs à long terme que sont l’Angola, l’Égypte, l’Éthiopie, le Kenya et le Nigeria, tous confrontés à des niveaux d’endettement élevés. De nouveaux prêts ont également été accordés aux régimes militaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger, tous des pays en crise. La dépendance à l’égard des prêts entrave à son tour la capacité des pays débiteurs à agir avec plus d’efficacité, car ils sont vulnérables à la coercition. Le problème est amplifié lorsque les emprunts ne sont pas limités et que les créanciers et les débiteurs ne parviennent pas à mettre en place des pratiques garantissant la viabilité de la dette.
Le déséquilibre de pouvoir entre la Chine et l’Afrique s’étend même aux pays africains qui ont participé au sommet. Le FOCAC 2024 s’est illustré par la participation des juntes militaires du Burkina Faso, de la Guinée, du Mali, du Niger et du Soudan, qui se sont toutes vues dérouler le tapis rouge à Pékin aux côtés d’autres dirigeants. Cela a provoqué un grand malaise (bien que discret) parmi les participants africains, d’autant plus que l’UA avait réaffirmé la suspension de ces juntes de son organisation juste avant le sommet. La réaction discrète de l’Afrique aux efforts de la Chine pour cultiver les régimes de coup d’État, malgré la violation de la politique de longue date de l’UA contre les changements anticonstitutionnels de gouvernement, souligne encore la faiblesse relative de l’Afrique vis-à-vis de la Chine.
Obstacles au rééquilibrage des relations entre l’Afrique et la Chine
Pour garantir la mise en œuvre des engagements du FOCAC et promouvoir les intérêts africains, des efforts accrus et soutenus seront nécessaires pour corriger les déséquilibres dans les relations entre l’Afrique et la Chine jusqu’au prochain sommet.
Absence de système de suivi fondé sur des données probantes pour vérifier les engagements
Les principaux engagements du FOCAC sont difficiles à évaluer en raison de l’absence d’un système de rapport accessible au public. Lors du dernier sommet du FOCAC en 2021, la Chine a offert 10 milliards de dollars de subventions pour stimuler les exportations africaines sur les marchés chinois. Cependant, il n’existe pas de rapport transparent sur la manière dont ces fonds ont été dépensés, sur les institutions africaines qui en avaient la gestion, sur les bénéficiaires et sur ce qu’ils ont exporté vers la Chine.
La Chine s’est également engagée à encourager les entreprises chinoises à investir pas moins de 10 milliards de dollars dans l’industrie manufacturière, l’agriculture, les économies vertes et numériques. Cependant, il est difficile d’évaluer si le stock d’investissement de la Chine en Afrique entre 2021 et 2024 provenait de cet engagement et, le cas échéant, si l’objectif a été atteint, dépassé ou n’a pas été atteint. Un système indépendant et accessible permettant de suivre, d’analyser, d’évaluer et de rendre compte de chaque engagement aiderait les membres africains à suivre le FOCAC de manière plus systématique, à identifier les lacunes et à proposer des ajustements.
Un tel mécanisme de rapport accessible au public renforcerait la position de négociation des gouvernements africains et garantirait que les engagements sont fermement alignés sur les priorités des citoyens africains. Cela faciliterait également une interrogation plus large de ces accords, y compris par le public et les experts extérieurs. Comme le fait remarquer Rosemary Mnongwa, spécialiste tanzanienne de la Chine, « la transparence et la redevabilité jouent un rôle crucial dans l’atténuation des déséquilibres et la réduction du risque de corruption dans les accords entre les gouvernements africains et les entités chinoises ».
Absence d’une approche africaine intégrée
Alors que le FOCAC existe depuis 24 ans, les pays africains n’ont pas maximisé les opportunités de travailler de concert sur des problématiques communes susceptibles de tirer parti de leur force collective. L’Union européenne (UE) – sur laquelle des parties importantes de l’UA sont modelées – offre quelques leçons. Tous les membres de l’UE s’engagent bilatéralement avec la Chine, mais se coordonnent sur des questions transversales par l’intermédiaire du Service européen pour l’action extérieure. Le Parlement européen dispose d’une délégation spécialisée dans les relations avec la Chine et offre aux assemblées législatives nationales un mécanisme leur permettant de façonner la politique chinoise de l’Europe. Les pays africains n’ont pas bénéficié de cette coordination. Ainsi, il a été difficile d’atteindre des objectifs bilatéraux clés tels que l’élimination des barrières commerciales et tarifaires qui entravent l’accès de l’Afrique aux marchés chinois. Ces objectifs ne peuvent être atteints sans une meilleure coordination entre l’UA, les communautés économiques régionales (CER) et les États membres.
Une vision africaine à long terme limitée
« L’élaboration d’une position africaine commune est laborieuse, mais le processus est nécessaire pour obtenir l’adhésion des États et est désormais considéré comme un atout politique », note l’ambassadeur Bankole Adeole, commissaire de l’UA chargé des affaires politiques, de la paix et de la sécurité. Avant le FOCAC 2018, les principaux spécialistes africains de la Chine avaient élaboré une stratégie-cadre d’engagement devant servir de référence aux pays africains. Toutefois, les résultats de cette initiative, ou plus généralement de ce processus de planification stratégique, n’ont pas été institutionnalisés. L’opérationnalisation d’une telle stratégie-cadre constituerait une base pour les débats politiques jusqu’au prochain sommet du FOCAC en 2027.
L’absence de processus institutionnel afin d’harmoniser les priorités africaines
Les participants africains [au FOCAC] ne disposent pas d’un mécanisme interne leur permettant de se réunir et d’harmoniser leurs positions avant de rencontrer leurs homologues chinois.
Paradoxalement, alors que le FOCAC s’articule autour d’une série d’événements de mise en réseau et d’échanges organisés tous les 1 à 3 mois dans différents secteurs, il n’est pas évident de déterminer le nombre de consultations réelles et d’échanges de vues dans les deux sens. Il est donc difficile de mesurer les effets du leadership, de l’influence et de l’initiative de l’Afrique dans la conduite des nombreux sous-forums du FOCAC. Le problème réside en partie dans le fait que les participants africains ne disposent pas d’un mécanisme interne leur permettant de se réunir et d’harmoniser leurs positions avant de rencontrer leurs homologues chinois au sein des sous-forums et des comités de planification du FOCAC. La Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC) a sans doute eu plus de succès, car ses structures de coordination se chevauchent avec les comités Chine-CELAC. Ils peuvent donc se réunir seuls au sein de la CELAC avant les rencontres Chine-CELAC – une leçon dont les pays africains pourraient s’inspirer pour réimaginer leurs engagements avec le FOCAC.
Innovations susceptibles d’augmenter l’influence africaine dans les relations sino-africaines
En tirant les leçons de ces obstacles et en s’appuyant sur les initiatives émergentes pour renforcer l’agence africaine, on peut mettre en évidence les éléments suivants pour faire progresser les intérêts africains dans les relations du continent avec la Chine.
Réduire la dépendance à l’égard de la dette en diversifiant les partenaires. Si les prêts bilatéraux restent un moyen important de financer les infrastructures essentielles, l’élargissement du champ d’action et de l’engagement des banques multilatérales africaines dans de nouveaux projets de prêt est un moyen de plus en plus attrayant de diversifier et de réduire le déséquilibre (et la vulnérabilité) de la dette bilatérale de l’Afrique à l’égard de la Chine, tout en élevant les normes de prêt.
Plus de 80 institutions font partie de l’Association des institutions africaines de financement du développement (AIAFD), qui existe depuis 1975. Le groupe le plus important de cette association est l’Alliance des institutions financières multilatérales africaines (AIFMA), qui compte huit membres et des actifs de plus de 50 milliards de dollars.
L’élargissement du champ d’action et de l’engagement des banques multilatérales africaines dans de nouveaux projets de prêt est un moyen de plus en plus attrayant de réduire le déséquilibre de la dette bilatérale de l’Afrique à l’égard de la Chine.
La Banque africaine de développement (BAD), par exemple, alloue et administre le fonds « Africa Growing Together », un fonds d’investissement de 2 milliards de dollars sur 10 ans réalisé par la Banque populaire de Chine. En 2023, plus de la moitié des prêts totaux de la Chine (2,59 milliards de dollars) ont été accordés à des banques multilatérales et nationales. Avec 54 actionnaires africains et 28 actionnaires non africains, dont le Canada, l’Allemagne, le Japon et les États-Unis, la BAD offre une meilleure surveillance et l’assurance que les projets financés serviront les intérêts des citoyens africains. La BAD, en collaboration avec la Commission européenne, les États-Unis, l’Africa Finance Cooperation et les gouvernements de l’Angola, de la République démocratique du Congo (RDC) et de la Zambie, finance également le corridor de Lobito, un projet ferroviaire qui s’étend du port angolais de Lobito à Kabwe, en Zambie, en passant par Kolwezi, en RDC.
Les institutions de la société civile africaine spécialisées dans le financement de la dette et du développement ont été à l’avant-garde de la promotion de ce type de prêt pour relever le défi de sécuriser les infrastructures sans tomber dans le surendettement. Development Reimagined, une institution africaine du secteur privé, réunit régulièrement les banques multilatérales africaines, l’UA, les gouvernements africains et les institutions financières privées autour de ces questions. Lors d’un événement organisé dans le cadre du FOCAC 2024, auquel ont participé des cadres de l’AAMFI et de l’UA, Development Reimagined a présenté une vision en cinq points visant à renforcer ces institutions, à étendre leurs prêts, à offrir un plus grand choix aux emprunteurs et à renforcer les garanties.
Renforcer l’autorité de représentation et l’engagement de l’UA. L’une des réformes institutionnelles préconisées par l’UA dans son rapport intitulé « L’impératif de renforcement de notre Union » consiste à rationaliser et à habiliter un petit nombre d’experts africains à servir de représentants du continent lorsqu’ils s’adressent à des puissances extérieures telles que la Chine et négocient avec ces acteurs extérieurs au nom du continent.
S’il était mis en œuvre, il signifierait la fin de la pratique consistant à envoyer 53 délégations présidentielles aux événements triennaux du FOCAC (et à d’autres sommets). Au lieu de cela, les énergies africaines seraient concentrées sur le développement d’un cadre d’experts chinois techniquement compétents qui appliqueraient les meilleures pratiques pour les négociations continentales tout en créant une continuité institutionnelle dans les relations de l’Afrique avec la Chine. « D’une manière plus générale, les réformes proposées peuvent être considérées comme une tentative de combler le fossé de pouvoir qui a structuré les relations entre l’Afrique et la Chine », déclare Cobus van Staden, de l’Institut sud-africain des affaires internationales.
La Commission de l’UA (CUA) a montré qu’elle pouvait agir pour l’Afrique lorsque les chefs d’État lui en donnaient les moyens. En 2024, la CUA a négocié un mécanisme de coordination de travail avec la Commission nationale chinoise pour le développement et la réforme (CNDR) afin d’aligner les investissements de la Chine dans le cadre de l’Initiative Route et ceinture (Belt and road) sur le Programme pour le développement des infrastructures en Afrique (PDIA) de la Banque africaine de développement. La NDRC est l’agence qui gère l’initiative « Route et ceinture » de Pékin.
Toutefois, les chefs d’État africains ne parviennent toujours pas à s’entendre sur l’étendue de l’autorité qu’il convient d’accorder à la CUA, nombre d’entre eux souhaitant garder la mainmise dessus. Cette situation entrave l’adoption de ces innovations politiques de l’UA.
Améliorer le suivi, l’évaluation et l’établissement de rapports en Afrique. En 2024, la CUA a officiellement chargé le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) de mettre en œuvre un cadre de suivi et d’évaluation pour tous les partenariats africains avec des acteurs extérieurs, dont le FOCAC. Le NEPAD a également été chargé de coordonner la mise en œuvre des 10 projets de connectivité régionale prévus dans le plan d’action de Pékin du FOCAC (2025-2027). Le NEPAD est donc en mesure de collecter des données et de publier des rapports réguliers sur le FOCAC afin d’examiner l’état d’avancement de la mise en œuvre de tous les engagements. Cela créerait une nouvelle norme de responsabilité et fournirait des données indispensables à un engagement public éclairé.
Exploiter l’expertise africaine externe. Il existe un nombre croissant de professionnels africains de la diaspora formés à la Chine qui comprennent la culture, la langue et le style de négociation chinois. Cette évolution s’est accompagnée d’une augmentation des associations d’universitaires africains et d’autres réseaux de connaissances indépendants spécialisés dans les relations entre l’Afrique et la Chine. Bien que certains pays africains aient recruté dans ces cercles pour aider leurs ministères dans leur pays et leurs ambassades à Pékin, ces compétences restent largement inexploitées. Elles représentent donc un réservoir de ressources humaines facilement disponible qui peut renforcer l’expertise de l’Afrique, sa mémoire institutionnelle et ses intérêts fondés sur des données probantes lorsqu’elle s’adresse à la Chine.
Construire l’avenir
Les pays africains peuvent maximiser les avantages du FOCAC, atténuer les risques et mettre les relations sur un pied d’égalité. Pour ce faire, ils doivent diagnostiquer les obstacles stratégiques qui sapent leur capacité à exercer une plus grande influence et à adopter des réponses politiques innovantes. Le traitement de la relation asymétrique entre les pays africains et les entités chinoises n’est pas une tâche qui incombe aux seuls gouvernements, mais qui peut s’appuyer sur une communauté croissante d’experts indépendants dans les relations sino-africaines pour faire progresser l’action stratégique de l’Afrique.