Le Jnim a revendiqué l’attaque contre Bamako, son école de gendarmerie et l’aéroport. Pourquoi cette cible ? Quelles conséquences pour le régime militaire du colonel Assimi Goïta ? Arthur Banga est enseignant-chercheur et spécialiste des questions de défense à l’université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Arthur Banga, est-ce que vous êtes surpris par cette attaque revendiquée par le JNIM, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans ?
Arthur Banga : Pas vraiment, parce qu’on savait, plus ou moins, que les groupes terroristes commençaient à reprendre du poil de la bête au Mali, généralement dans le nord et dans le centre. Mais la surprise, c’est que cette attaque touche Bamako aujourd’hui. C’est un peu cela, la grosse surprise du moment. On s’attendait à des combats, comme on en a vu la semaine passée, dans le nord et dans le centre du Mali. On ne s’attendait quand même pas à ce que Bamako – et principalement des cibles militaires, même pas des cibles civiles – soient prises d’assaut, hier matin.
Les jihadistes s’en sont pris notamment à la base 101, située dans la zone aéroportuaire de Bamako. Savez-vous pourquoi cette cible ?
Sans doute, pour essayer de ralentir les activités de l’armée de l’air malienne, parce que l’on voit que la supériorité des Forces armées maliennes (FAMA) et de leurs alliés est d’abord aérienne. Cibler l’armée de l’air malienne, c’est quelque chose d’assez bien réfléchi du point de vue opérationnel et du point de vue psychologique.
Est-ce que les drones ont donné une supériorité militaire aux FAMA ces dernières années ?
Oui, ça leur a permis de pouvoir mener des opérations et de pouvoir prendre la supériorité dans l’air. Donc c’est important pour les groupes terroristes de pouvoir ralentir un peu ce facteur qui permet à l’armée malienne d’avoir une supériorité opérationnelle.
Est-ce que vous savez si des drones ou des rampes de lancement de drones ont été détruits pendant cette attaque ?
Pour l’instant, c’est trop tôt pour le dire, mais je pense que, dans les jours à venir, on saura exactement les dégâts qui ont été causés. Même si le Jnim, dans son communiqué, insiste sur le fait d’avoir atteint la capacité opérationnelle de l’armée malienne. On peut donc dire que qu’il pense avoir atteint des drones ou des avions, ou avoir au moins endommagé la piste pour ralentir les capacités de projection de l’armée malienne.
Cela dit, le chef d’état-major général des armées maliennes, le général Diarra, affirme que les terroristes infiltrés ont été neutralisés.
Je pense que, dans ce genre d’opération, ce sont des kamikazes. Je pense que les terroristes qui ont été lancés à l’assaut de l’armée malienne savaient très bien que leur mort était certaine. De ce point de vue, l’armée malienne a réussi à les neutraliser. En termes opérationnels, c’est bien comme réponse, mais je pense que, dans le calcul du Jnim, les jihadistes n’ont pas mené cette attaque pour occuper l’école de gendarmerie ou la base de l’armée de l’air. Ils ont mené cette attaque pour pouvoir montrer qu’ils peuvent et qu’ils ont la capacité, aujourd’hui, de frapper au cœur de Bamako. De ce point de vue-là, oui, c’est une réussite pour eux, même s’il faut dire bravo à l’armée malienne qui a pu réagir à temps et neutraliser les jihadistes de la journée d’hier.
Sur cette base 101, située dans la zone aéroportuaire de Bamako, il y aurait aussi des supplétifs russes du groupe Wagner. Est-ce que vous confirmez ?
J’ai envie de dire qu’aujourd’hui, toute opération de l’armée malienne est faite – et c’est totalement assumé – avec ses partenaires russes, donc il faut s’attendre à leur présence dans ce secteur. C’est normal aujourd’hui. Je pense que les partenaires russes de l’armée malienne sont aussi une cible pour tous les adversaires potentiels de l’armée malienne.
Alors certains observateurs font le rapprochement avec, il y a deux ans, l’attaque jihadiste contre le camp militaire de Kati, à 15 km au nord de Bamako.
Oui, c’est le même objectif, à peu près. Quand il s’agit de toucher des bases militaires ou des centres militaires à Bamako, le message est très clair : il s’agit de montrer que le Jnim a la capacité d’agir sur Bamako. Et cela montre que les jihadistes savent coordonner des opérations depuis leurs bases, sans doute du nord ou du centre, qu’ils ont encore des cellules dormantes dans Bamako, qui savent faire peur à la fois à la population et aux FAMA. Mais on voit bien qu’hier, ça a été beaucoup plus coordonné, parce qu’il y a eu à la fois plusieurs sites qui ont été ciblés, contrairement à ce qui s’était passé il y a deux ans. Et là, je pense qu’on est dans une opération qui était bien plus importante.
D’un point de vue politique, est-ce que cette opération jihadiste peut renforcer le prestige et la popularité du colonel Assimi Goïta auprès de la population ou va, au contraire, le fragiliser ?
Il y a deux choses. D’abord, naturellement, dans ce genre de situation, le premier réflexe, c’est d’être patriote. Le premier réflexe, c’est d’avoir de la compassion pour ces Forces armées maliennes qui se battent au quotidien et donc, naturellement, le colonel Goïta peut en tirer profit. Mais, de l’autre côté, il faut faire attention pour lui-même, parce qu’il s’était engagé à ramener la sécurité et, aujourd’hui, cela va remettre en question sa stratégie pour ramener la sécurité au Mali. Et sans doute, les opposants, notamment les opposants en exil, ne manqueront pas de rappeler que, finalement, après près de quatre ans, la junte militaire n’arrive pas, elle aussi, à répondre aux questions sécuritaires, en dépit du changement de partenaire, en dépit de tout ce qui est annoncé. De ce point de vue-là, ça peut poser un problème.