Dans la jungle de la politique africaine de la France – Troisième partie : La fin de la fameuse politique «France-Afrique» ou une suite «moins visible» ?

Dans la jungle de la politique africaine de la France – Troisième partie : La fin de la fameuse politique «France-Afrique» ou une suite «moins visible» ?

La question de la réduction de la présence militaire française en Afrique est à l’ordre du jour de l’Élysée depuis de nombreuses années. Tous ses derniers maîtres, sans exception, ont fait une sorte de serment de fidélité lors de leur entrée en fonction en s’engageant à traiter cette question et à établir des relations avec les partenaires africains sur une base égale et équitable.

Lors de son accession à la présidence en 2008, Nicolas Sarkozy a proclamé que la France ne serait plus un «gendarme de l’Afrique» et qu’elle y réduirait sa présence militaire.

Après son élection, François Hollande a également promis de mettre fin à la politique discréditée de la «France-Afrique», en vertu de laquelle la France s’est vu accorder officieusement des droits exclusifs d’exploitation du sous-sol africain et des marchés pour ses produits. Cette politique a permis de garantir le maintien au pouvoir des dirigeants autoritaires pro-français.

Au cours de sa campagne électorale, Em. Macron a vivement critiqué la politique africaine de la France, faisant des déclarations sur la nécessité de l’aligner sur les nouvelles normes démocratiques. Cependant, comme dans le cas de ses prédécesseurs, tout cela s’est avéré n’être que de la démagogie et la politique de Paris en Afrique est devenue encore plus militariste et paternaliste que jamais auparavant.

Les promesses verbales de l’Élysée

Avant sa visite au Gabon, en RDC, en Angola et en République du Congo, en février 2023, il a proclamé au palais de l’Élysée le début d’une «nouvelle ère» dans les relations avec les pays africains. Il a notamment annoncé une nouvelle approche du développement des liens de sécurité et des projets de renforcement de la coopération économique. Déclarant une fois de plus que les anciennes colonies françaises n’étaient plus «l’arrière-cour» de Paris, il a promis de ne pas interférer dans leurs affaires intérieures et de développer des relations avec elles sur la base de la prise en compte des intérêts mutuels et du respect des engagements.

Cette déclaration de Em. Macron sur la transition vers une nouvelle stratégie dans les relations avec l’Afrique a suscité des réactions mitigées dans les cercles analytiques des pays africains et autres. Certains experts ont estimé qu’il ne s’agissait pas d’une révision de la politique, mais simplement d’une intention de s’adapter aux nouvelles réalités géopolitiques du continent et, selon les termes de l’experte togolaise Raissa Girondin, d’essayer de «ramener les cœurs des Africains dans le giron de la politique française, dans laquelle ils ont perdu la foi depuis longtemps». D’autres ont dit qu’ils ne voyaient rien de nouveau par rapport à ce qu’il avait proclamé en 2017 lorsqu’il s’était exprimé au Burkina Faso à l’université de Ouagadougou.

La majorité des représentants de la communauté des experts africains, note l’agence de presse turque Anadolu Agency, sont d’avis que tant que Paris ne se débarrassera pas en pratique de son complexe de supériorité à l’égard de l’Afrique et n’abandonnera pas sa politique de «Françafrique», toutes les déclarations de l’Élysée sur une «profonde humilité» dans les relations avec l’Afrique, causée par l’affaiblissement de sa position dans la zone sahélienne, seront sans fondement.

Et en France même, souligne Le Temps, des experts conseillent aux concepteurs de la politique africaine de «redescendre sur terre et de regarder de plus près l’Afrique mondialisée». De leur point de vue, la France ne peut plus exiger de «loyauté géopolitique» des jeunes colonels poutchistes et, plus récemment, des capitaines, pourtant formés dans les écoles militaires françaises.

Lettre ouverte des sénateurs au président français : l’Afrique ne comprend plus la France

À la suite du coup d’État militaire au Niger en août 2023, un groupe de 94 sénateurs français de différents partis politiques, dont le premier vice-président du Sénat chargé des relations internationales Roger Carucci, le chef du groupe Les Républicains Bruno Retaillot et le président de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, Christian Cambon, ont envoyé une lettre ouverte au président Em. Macron, dans laquelle, après avoir énuméré les récents échecs diplomatiques et militaires de la France en Afrique, ils demandent une révision fondamentale de la politique de Paris dans cette direction.

«Aujourd’hui le Niger, et hier le Mali, la RCA, le Burkina Faso ont tourné le dos à la France, exigeant le retrait de ses troupes et de certaines entreprises françaises… Tout cela s’accompagne de manifestations anti-françaises qui s’étendent à des pays aussi proches de nous que la Côte d’Ivoire ou le Sénégal», soulignent les auteurs du message. Selon eux, «l’Afrique, autrefois continent ami, ne comprend plus la France et conteste de plus en plus sa présence sur le continent». Il est donc temps, estiment les sénateurs, de repenser notre perception de l’Afrique et notre approche du développement des relations avec elle dans le nouveau contexte de concurrence accrue.

L’appel des sénateurs intervient après que Paris a suspendu l’aide au développement ainsi que le soutien budgétaire au pays trois jours après le coup d’État du 26 juillet 2023, malgré les assurances données par Em. Macron en février de la même année que la nouvelle stratégie africaine en cours d’élaboration serait basée sur un «partenariat d’égal à égal» et sur la non-ingérence de Paris dans les affaires intérieures des pays africains.

Le 3 août, les dirigeants du Niger ont annoncé à la télévision publique qu’ils annulaient les accords et protocoles militaires avec la France, qui avait continué à dominer le pays pendant plus de 60 ans après l’indépendance.

Paris réduit sa présence militaire en Afrique

Les demandes des sénateurs et le mécontentement des milieux sociopolitiques du pays ont finalement contraint le président français, lors d’un Conseil de défense à la mi-décembre 2023, à décider de réduire les effectifs de ses bases militaires en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.

Selon l’agence de presse AFP citant des sources du ministère français des Affaires étrangères et du ministère de la Défense, il est prévu de réduire les effectifs du contingent français de 350 à 100 personnes dans les bases du Gabon et du Sénégal, de 600 à 350 en Côte d’Ivoire et de 1000 à 300 au Tchad. Les anciennes bases devraient devenir des centres d’entraînement au combat pour les armées locales et cesser de servir de bastions pour des opérations militaires indépendantes.

Selon le chef d’état-major des forces aériennes et spatiales françaises, le général Stéphane Millet, l’intention de réduire le nombre de soldats français en Afrique ne signifie pas l’arrêt des opérations antiterroristes au Sahel. Selon lui, Paris peut, si nécessaire, en coopération avec les pays africains, déployer ses unités militaires «pendant un certain temps pour les conduire ou former des personnels locaux» avec l’utilisation de l’armée de l’air française. Cette innovation est justifiée par l’opportunité de «réduire la visibilité» de la présence militaire française sur le continent, qui est perçue négativement par la population et conduit au développement d’un sentiment anti-français.

La base militaire française de Djibouti ne devrait pas être affectée par les réductions. Elle est considérée comme un point de transit essentiel pour Paris sur la route entre la France métropolitaine et la région Asie-Pacifique. Il est également prévu d’y établir une académie militaire et un terrain d’entraînement régional pour les troupes d’Afrique et du Moyen-Orient.

Pour gérer les unités restantes sur les bases du Gabon, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal et du Tchad, un commandement africain est en cours de création. Il sera dirigé par le général Pascal Yanni, qui a déjà été nommé à ce poste et qui a précédemment été conseiller du ministère de la défense pour l’Afrique et a dirigé le Centre de prévision et de stratégie militaire de l’état-major général des armées françaises. Dans les milieux spécialisés, il est considéré comme un confident du chef d’état-major général Thierry Burkhardt.

Il est prévu que le commandement africain, avec un effectif de 80 personnes, soit situé sur le territoire français et subordonné au Centre de planification et de conduite des opérations militaires de l’état-major général. Ses tâches prioritaires comprendront l’organisation de l’assistance aux pays africains dans la lutte contre le terrorisme, la formation des forces armées africaines, la réponse aux situations d’urgence, ainsi que la guerre de l’information, dont l’essence devrait être d’arrêter la croissance du sentiment anti-français et de former une image positive de la France.

Dans le même temps, le général Thierry Burkhardt, chef d’état-major des armées françaises, a déclaré que la France était prête à coopérer avec les Américains ou les alliés européens afin de préserver les liens établis avec les armées locales pour la «collecte de renseignements» et le maintien de l’interaction opérationnelle.

Les concepteurs de la nouvelle stratégie considèrent que leur principal objectif est de rendre la présence militaire française en Afrique «moins visible». Compte tenu de la nécessité permanente de lutter contre le terrorisme, cette fonction sera probablement retirée aux forces armées et transférée aux forces spéciales en tant que structure de force la moins «visible».

Rénovation cosmétique de la façade de la politique africaine de Paris

Expliquant l’essence de la nouvelle approche de l’Élysée en matière de développement des relations avec l’Afrique, l’un de ses fonctionnaires a déclaré que, désormais, la France ne serait plus au premier plan, mais agirait en coulisses. Le président français suit ainsi les traces de son homologue américain Barack Obama, qui a préféré agir en Afrique par l’arrière : from behind.

Actuellement, ces idées sont élaborées avec les représentants des pays africains par le ministère français des Affaires étrangères et le ministère français de la Défense, sous la direction de Jean-Marie Bokel, le représentant spécial du président.

Selon Alain Koné, expert au Centre d’études politiques internationales du Cameroun, Macron fera tout pour maintenir l’influence française dans la zone du Sahel à la même échelle, ne serait-ce que parce qu’elle est riche en ressources extrêmement nécessaires à l’économie française.

Le magazine français Afrique XXI est plus précis à cet égard, qualifiant la «nouvelle option» des troupes françaises au Sahel de «stratagème de diversion bon marché» du président français. Selon l’analyste du magazine, Raphaël Granvaux, il s’agirait simplement d’un ravalement de façade de la politique africaine de Paris, associée à l’image du «gendarme africain».

À cet égard, il semble douteux que Paris, dans le cadre du reformatage annoncé de sa stratégie africaine, puisse jamais, dans les nouvelles conditions géopolitiques d’un monde multipolaire en pleine mutation, arrêter le processus irréversible de réduction de son influence politique sur le continent africain.