Ils sont obligés de quitter leur région, abandonnant terres, bétails et autres biens qui leur permettaient de vivre dignement. Aujourd’hui, à cause des attaques armées, ces gens semblent avoir tout perdu, devenus des déplacés dans une région étrangère, parfois sur leur propre territoire.
Selon Ghada Waly, la Directrice exécutive de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), la menace que représentent les attaques armées et le crime organisé s’installe durablement en Afrique. L’organisation a dénombré 3 500 victimes d’actes de terreur l’année dernière sur le continent africain. L’Afrique de l’Ouest, notamment le Sahel subit les assauts de groupes armés parmi les plus actifs et les plus meurtriers au monde.
20 juillet 2024, dans l’après-midi au Nord du Togo, des assaillants attaquent une base militaire, tuant 12 soldats togolais et des dégâts matériels importants. Au même moment, le Nord du Bénin était aussi attaqué.
Sans oublier les incursions d’insurgés au Burkina Faso, au Mali et au Niger, qui font des victimes et des dégâts importants.
Ces groupes armés sont dans des trafics de tout genre qui leur permettent d’assurer leur survie, multipliant les attaques. Ils alimentent les conflits, consolident leur contrôle sur les territoires, étendent leurs opérations et procèdent au recrutement massif dans leurs rangs, réduisant ainsi les efforts de paix.
D’où provient le financement de ces groupes armés ?
Selon la directrice de l’ONUDC, l’exploitation illégale des minerais comme l’or, l’argent et les diamants constituent une source de revenus importantes pour les groupes armés qui sévissent en Afrique de l’Ouest et dans le Sahel.
A cela s’ajoute aussi le trafic d’espèces animales sauvages, le commerce illégal de l’ivoire, la traite des humains et autres. Ces activités alimentent les conflits et l’instabilité de la région, plongeant par ailleurs des centaines de millions d’Africains dépendant de ces ressources naturelles, dans l’extrême pauvreté.
Trafic d’or et autres minerais
Ce sont des milliards de dollars qui sont perdus en Afrique à cause de l’exploitation illégale de minerais, selon un rapport « Leçons tirées des expériences régionales de l’Afrique de l’Ouest dans le secteur de l’or » de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) publié en février 2024. Pour le moment, les Etats peinent à lutter efficacement contre l’exploitation minière artisanale à petites échelles (ASM) illégale de l’or en Afrique.
C’est un problème auquel l’Afrique de l’Ouest est sérieusement confronté avec les groupes armés criminels qui s’emparent de ces exploitations pour nourrir leurs activités dans la région.
Par exemple, selon le Forum intergouvernemental sur les Mines (IGF), l’ampleur de la contrebande d’or sur l’année 2019 est évaluée à plus de 120 millions de dollars perdus pour le Niger, le Mali et le Burkina Faso. Il ajoute que l’exploitation illégale d’or alimente les caisses des groupes extrémistes actifs en Afrique de l’Ouest.
L’Observatoire économique et social du Burkina Faso indique qu’entre 2016 et 2020, les groupes armés non étatiques ont ramassé la bagatelle de 126 millions de dollars USD, soit 70 milliards de FCFA en attaquant des sites d’extraction d’or.
La porosité des frontières en Afrique de l’Ouest accentue l’exploitation et la circulation illégales d’or dans les pays où sont actifs ces groupes armés. Par exemple, l’or extrait illégalement au Burkina Faso peut se retrouver facilement au Mali, au Togo ou ailleurs sans passer par les canaux officiels, indique l’IGF.
Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), non seulement l’exploitation illégale des minerais comme l’or, l’argent et les diamants constituent une source de revenus importantes pour les groupes armés, ces trafics profitent à d’autres bandes plus ou moins organisées qui rivalisent pour le contrôle lucratif des territoires d’extraction ou des routes de contrebande.
« Cette exploitation criminelle prive l’Afrique, dont 500 millions d’habitants sur un total d’1,3 milliard vivent dans une extrême pauvreté, d’une source importante de revenus, et constitue une spoliation pour les millions de personnes qui dépendent de ces ressources naturelles pour leur subsistance, alimentant ainsi les conflits et l’instabilité », note l’ONUDC.
Cet or extrait illégalement génère d’énormes profits pour les trafiquants une fois écoulé sur le marché régulier. Ces revenus s’ajoutent à ceux déjà obtenus par l’extorsion ou l’imposition illégale des populations et leur permettent d’acquérir des armes qui pérennisent leur mainmise sur les zones de conflits.
Trafic d’armes
Dans son rapport sur les trafics d’armes illicites en Afrique de l’Ouest, l’ONUDC a relevé divers types d’armes qui sont généralement saisies. Entre 2008 et 2011, des munitions, des mines antipersonnel, des armes artisanales, des grenades, des explosifs, des mortiers, des mitrailleuses lourdes, des pistolets, des mitrailleuses légères, des lance-roquettes et autres armes conventionnelles en route pour l’Afrique de l’Ouest ont été saisis.
Ces armes pouvaient être vendues, à un prix unitaire assez bas, à toutes sortes de groupes rebelles ou criminels d’Afrique de l’Ouest. Ces armes atterrissent entre les mains des groupes armés non étatiques du nord du Mali, notamment les différentes factions d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), Ansar Dine, et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO).
Egalement, elles tombent dans les mains des groupes sécessionnistes du nord du Niger, en particulier le Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ), le Front de libération de l’Aïr et de l’Azaouak (FLAA), et le Front de libération du Tamoust (FLT). Sans oublier Boko Haram au Nigéria et autres groupes dans le Delta du Niger et dans d’autres régions du Nigeria.
« À l’heure actuelle, l’Afrique de l’Ouest n’est pas en mesure de produire ses propres armes, ce qui implique que la plupart des armes en circulation ont leur origine hors de la sous-région. Le marché est dominé par des armements issus du Pacte de Varsovie. Pour des raisons telles que la formation, les pièces détachées, les munitions et l’habitude, ces armes restent privilégiées, même vingt ans après la fin de la Guerre froide », souligne le rapport de l’ONUDC.
Dans le contexte actuel dans la région, les groupes armés procèdent par attaque des forces de l’ordre et récupèrent les armes qu’ils font circuler entre eux. La perte de munitions et d’autres matériels létaux par les forces armées et les opérations de paix africaines est un facteur clé du maintien des groupes militants à l’origine de l’instabilité sur le continent, selon le Centre d’études stratégiques de l’Afrique.
Cela contribue directement à renforcer la capacité des groupes extrémistes violents. Al Sha-baab a obtenu une quantité importante de matériel létal grâce aux attaques menées contre la Mission de l’UA en Somalie (AMISOM), tout comme le Front de libération du Macina (FLM) et d’autres groupes armés en ont obtenu de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et de la Force conjointe du Groupe des cinq pour le Sahel (FC-G5S).
Vingt (20) opérations de paix dans 18 pays africains ont perdu des équipements appartenant aux contingents. Au cours des dix (10) dernières années, ce sont plusieurs millions de munitions, des milliers d’armes légères et de petit calibre et probablement des centaines de systèmes d’armes lourdes. Pour le matériel non létal, on trouve des véhicules et des motos non armés, des uniformes, des équipements de communication et du carburant que ces groupes volent.
Boko Haram et l’Etat Islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) saisissent beaucoup d’armes non seulement légères et petits calibres, mais aussi des artilleries lourdes et de véhicules blindés.
Kidnapping et autres trafics
Outre l’exploitation illégale d’or et d’autres minerais et le trafic des armes, ces groupes armées sont actifs dans l’exploitation forestière, le vol de bétail, la taxation illicite, les enlèvements ou la traite d’êtres humains.
Par exemple, le trafic d’espèces animales sauvages et le commerce illégal de l’ivoire, selon l’ONUDC, prodigue chaque année à lui seul 400 millions de dollars de revenus aux groupes armés.
C’est dans l’exploitation minière et le trafic de minerais que ces groupes armés font de la traite d’êtres humains. Pour l’ONUDC, ces sites d’exploitation sont situés principalement dans les zones de conflits, et sont souvent liés à la maltraitance des enfants, à la traite des êtres humains, au travail forcé et à d’autres violations des droits de l’homme.
L’autre source de financement de ces groupes reste les enlèvements ou le kidnapping. Dans un rapport du Groupe d’action financière (GAFI), un organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme sur le continent, on note qu’il y a une industrie de kidnapping lucrative qui est développée dans la région du Sahel par AQMI, MUJAO et d’autres groupes terroristes.
Un montant estimé à 40-65 millions de dollars a été payé en rançon aux groupes armés dans la région et leurs appendices depuis 2008. « …et il y a des preuves qui incitent à penser que l’intensité des attaques d’AQMI croît à la suite de paiements suspectés de rançons énormes. AQMI et des groupes affiliés paraissent bien grandement impliqués dans des activités criminelles telles que le kidnapping et la fraude », indique le rapport.
Ces groupes armés sont également dans le vol de bétail pour nourrir financièrement leurs activités économiques illicites. Depuis deux (02) ans, les populations au Nord du Togo et au Burkina Faso signalent des vols de bétail par des bandes armées qui font des incursions dans les villages, dépouillent les villageois, s’emparent des bœufs et des chèvres et disparaissent dans la nature.
Dans le rapport de GAFI, on peut découvrir que les groupes extrêmistes armés de l’Afrique de l’Ouest dépendent de sources de financement diverses et privées et exploitent la mondialisation et les avancées technologiques dans la collecte, le transfert et l’utilisation de fonds pour leurs activités.
Les populations civiles paient le plus lourd tribut
Le nombre de victimes ou de décès liés à l’extrémisme violent a augmenté de 50% l’année dernière, selon un rapport du Centre d’études stratégiques de l’Afrique. Ce chiffre vient donc battre le record de 2015, année où ces attaques ont fait plus de victimes en Afrique de l’Ouest.
Selon le rapport, « Le nombre de décès liés à des groupes islamistes militants a atteint 22 288 au cours des 12 derniers mois. Cela représente une augmentation de 48 % par rapport à l’année précédente, durant laquelle 15 024 personnes avaient été tuées ».
Ce nombre est plus de deux fois supérieur au rythme enregistré il y a dix ans et plus élevé que le record de 20 562 établi en 2015. La secte islamiste Boko Haram est donc citée derrière ces violences meurtrières.
« Le Sahel reste la région qui subit le plus d’événements violents et de décès », précise le rapport. Dans la région, depuis 2021 à 2023, les événements violents sont estimés à 2 912 avec un total de 9 818 décès.
Il est indiqué que 87% des événements violents au Sahel sont concentrés au Burkina Faso et au Mali.
« Les pics de violence observés coïncident avec les coups d’État militaires dans ces pays. Ils reflètent également l’opportunité que les militants ont saisie lorsque la junte militaire malienne a sabordé ses partenariats sécuritaires régionaux et internationaux, y compris avec la MINUSMA, tout en invitant les forces paramilitaires du groupe russe Wagner, qui ont été accusées de manière crédible d’abus généralisés des droits humains », souligne le document du Centre d’études stratégiques de l’Afrique.
Le Burkina Faso, par exemple, représente 62% de l’ensemble des décès dans la sous-région. En 2022 et début 2023, le pays a enregistré une augmentation de 88% du nombre de décès, soit 6 130 morts.
Le Sahel, selon les experts, reste la zone du plus grand nombre d’attaques contre les civils durant les trois dernières années. En 2023 par exemple, plus de 1 100 attaques contre des civils perpétrées par des groupes islamistes militants du Sahel se sont produites, causant plus de 2 080 morts, soit 59 % de toutes les attaques contre des civils par des groupes islamistes militants en Afrique, et 68 % des décès liés à ces attaques.
Qu’est-ce qui est fait pour réduire l’influence de ces groupes armés
Dans l’ensemble, le contrôle des États est trop faible pour restreindre les efforts de financement des groupes extrêmistes armés. L’absence d’institutions stables et de gouvernance au sein des États fragiles favorise l’accès des groupes armés à un espace sûr où ils peuvent exploiter les failles du dispositif mondial de lutte contre le financement du terrorisme, la légèreté des contrôles au niveau des frontières et l’élargissement des activités criminelles pour obtenir les ressources qu’ils demandent.
« Les organisations terroristes ont de plus en plus recours à des activités criminelles pour générer des produits qui leur feront gagner beaucoup plus par rapport au passé avec un accès aux juridictions dont le fonctionnement du gouvernement reste inefficace, corrompu et/ou minimal », souligne le rapport de GAFI.
Toutefois, les organismes internationaux, notamment les Nations unies et les institutions africaines travaillent en symbiose pour réduire ou enrayer cette influence des groupes criminels dans le Sahel et en Afrique de l’Ouest.
« L’Initiative de lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest aide les pays à mettre en œuvre des mécanismes de gel des avoirs illégaux et a déjà permis les premières désignations sur une liste nationale de sanctions », indique l’ONUDC. En 2022, six ressortissants opérant dans le secteur aurifère ont été désignés en vertu de la résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations Unies destinée à prévenir le financement d’actes terroristes.
Vers la fin de 2020, l’ONUDC et INTERPOL ont ainsi coordonné une opération anti-armes à feu qui a permis de saisir 40.000 bâtons de dynamite et cordons détonateurs, tous destinés à l’extraction illégale d’or pour des groupes armés au Sahel.
Selon Ghada Waly, Directrice exécutive de l’organisation, grâce à ses recherches, l’ONUDC est en mesure de travailler avec les Etats membres pour prévenir et combattre des crimes qui menacent l’environnement, qu’il s’agisse d’exploitation minière illicite, de trafic de métaux précieux, de déchets ou de crimes contre la faune sauvage, les forêts et les pêches.