Jean Kaseya : « Il y a de vrais risques que l’épidémie de Mpox devienne incontrôlable »

Jean Kaseya : « Il y a de vrais risques que l’épidémie de Mpox devienne incontrôlable »

Le patron d’Africa CDC, l’agence de santé publique de l’Union africaine, tire la sonnette d’alarme sur le danger que représente la propagation rapide de l’épidémie de variole du singe sur le continent. Il assure que d’intenses efforts sont déployés pour rendre un vaccin disponible.

En raison de la recrudescence de la variole du singe en Afrique, le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC) a décrété, le 13 août, une « urgence de santé publique », ce qui constitue le niveau d’alerte le plus élevé de l’organisation sous-régionale. À Jeune Afrique, le médecin congolais Jean Kaseya explique que cette décision a pour but de réunir rapidement les ressources financières et logistiques nécessaires afin de contrôler l’épidémie. Interview.

Jeune Afrique : Quelle est la situation actuelle de l’épidémie de variole du singe en Afrique ?

Jean Kaseya : 17 541 cas de Mpox, dont 517 décès, ont été reportés dans 13 pays africains en 2024 : Afrique du Sud, Kenya, Rwanda, Ouganda, RDC, Burundi, Centrafrique, Congo-Brazzaville, Cameroun, Nigeria, Ghana, Côte d’Ivoire et Liberia. Ceci représente une hausse de 160 % par rapport à 2023. La RDC est le pays le plus touché, concentrant 96 % des cas et 97 % des décès.

Vous avez déclaré l’urgence de santé publique, le plus haut niveau d’alerte de l’UA. Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre une telle décision ?

Il s’agit d’une décision stratégique qui vise à renforcer la réponse collective et coordonnée face à l’épidémie, à l’échelle du continent. Elle permettra de mobiliser les ressources nécessaires, de renforcer la coordination régionale, de sensibiliser davantage, et d’assurer une réponse rapide et efficace pour maîtriser la propagation de la maladie.

Elle s’explique par l’expansion rapide du Mpox au-delà des pays situés dans des zones non endémiques, qui signalent des cas pour la première fois, et par le nombre de décès en constante augmentation. Cette situation nécessite une réponse urgente et coordonnée pour prévenir une propagation incontrôlée et une surcharge de systèmes de santé déjà fragiles.

Enfin, cette déclaration va aider à lutter contre la stigmatisation et la désinformation en facilitant une communication claire et cohérente à travers le continent.

Concrètement, qu’est-ce que cela va changer pour les populations ?

À partir d’aujourd’hui, cela va changer beaucoup de choses. Africa CDC va coordonner la réponse continentale et travailler avec tous les partenaires afin de fournir un soutien aux pays pour contrôler l’épidémie. Les États membres de l’UA seront tenus de nous notifier de manière rapide et transparente toute mesure sanitaire mise en place. L’agence, qui pourra émettre des recommandations temporaires, diffusera ensuite ces informations à chaque pays afin d’améliorer la prise de conscience globale de la situation.

Comment expliquer cette recrudescence en Afrique de l’Est et centrale ?

En grande partie par le manque de ressources. Quand l’OMS a déclaré le Mpox comme une urgence sanitaire de niveau international de juin 2022 à mai 2023, les pays occidentaux ont été dotés de vaccins et de médicaments, et ont eu les capacités de renforcer leurs systèmes de santé. Ils ont ainsi réduit le nombre de cas. Au même moment, en Afrique, les cas ont continué à augmenter, mais sans que l’on nous apporte une assistance. Cette indifférence de la communauté internationale avait aussi été constatée lors de la pandémie de Covid-19.

Mais cette recrudescence s’explique aussi par le fait que dans de nombreuses régions d’Afrique de l’Est et centrale, les populations vivent en proximité immédiate avec la faune sauvage, notamment dans les zones rurales et forestières. Les interactions fréquentes entre les humains et les animaux, comme les rongeurs et les primates, qui sont des réservoirs naturels du virus Mpox, augmentent le risque de transmission de maladies zoonotiques. La manipulation de viande infectée peut aussi entraîner une transmission directe.

La déforestation massive dans certaines parties de l’Afrique de l’Est et centrale a perturbé les habitats naturels des animaux réservoirs, les forçant à se rapprocher des zones habitées par les humains. Cette proximité accrue augmente les chances de contact et de transmission des Mpox. Par ailleurs, dans de nombreux pays de la zone, les systèmes de santé manquent de ressources et de capacités pour surveiller et détecter précocement une telle épidémie. Cela entraîne souvent une réponse tardive, permettant au virus de se propager. Enfin, les conflits et l’instabilité politique dans certaines régions ont provoqué des déplacements massifs de populations, créant des conditions propices à la propagation de Mpox.

C’est la première fois qu’Africa CDC prend une telle mesure. Cela signifie que l’épidémie peut devenir incontrôlable ?

Il y a effectivement de vrais risques que l’épidémie devienne incontrôlable si les mesures appropriées ne sont pas prises.

Justement, quelles sont les mesures prises par l’agence pour contrôler la propagation de la variole du singe ?

Africa CDC s’est appuyé sur l’expérience acquise lors de la lutte contre d’autres épidémies, comme Ebola et le Covid-19. L’idée est de renforcer la surveillance et la détection des cas de Mpox à travers tout le continent africain. Cela inclut l’amélioration des capacités de diagnostic dans les laboratoires nationaux et régionaux, ainsi que la mise en place d’un système de notification rapide des cas suspects. Nous dispensons des formations intensives pour les personnels de santé dans les pays touchés, afin de les préparer à identifier, isoler et traiter les patients. De tels programmes ont également été mis en place pour les épidémiologistes et les experts en santé publique.

Prévoyez-vous un vaccin?

Africa CDC prévoit d’intensifier ses efforts pour rendre un vaccin contre le Mpox disponible et accessible sur le continent africain. Nous collaborons avec des fabricants à l’échelle mondiale et soutenons la recherche pour développer de nouveaux vaccins ou améliorer ceux déjà disponibles, en tenant compte des souches virales présentes en Afrique.

L’agence travaille également avec des partenaires pour développer la capacité de production locale de vaccins, à travers le transfert de technologies. Cela vise à réduire la dépendance vis-à-vis des importations et à garantir un approvisionnement plus fiable et rapide. Nous envisageons de coordonner des achats groupés de vaccins pour les pays africains, afin de négocier de meilleurs prix et d’assurer une distribution équitable, en particulier dans les zones les plus touchées ou les plus vulnérables.