Recadrer la réponse de l’Afrique de l’Ouest côtière à l’extrémisme violent

Recadrer la réponse de l’Afrique de l’Ouest côtière à l’extrémisme violent

Les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest peuvent étayer leur résilience face à la menace de l’extrémisme violent en renforçant une réponse à plusieurs niveaux et en tenant compte des priorités locales, nationales et régionales.

Points Saillants

  • La violence extrémiste au Sahel s’étend aux pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest.
  • Les gouvernements des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest jouent un rôle de premier plan dans la réponse à cette menace en renforçant de manière proactive leurs liens avec les communautés locales dans les régions vulnérables.
  • La coopération sécuritaire régionale, notamment l’échange de renseignements, la coordination des patrouilles frontalières et la formation axée sur la protection des communautés, peut renforcer la défense nationale.
  • L’élaboration d’une stratégie à plusieurs niveaux, reliant le soutien aux communautés aux organismes régionaux et internationaux, permettrait de contextualiser les réponses locales tout en pérennisant la coopération régionale pour faire face à la menace complexe posée par les groupes extrémistes violents.

L’escalade des attaques de groupes islamistes militants dans les régions côtières d’Afrique de l’Ouest valide les craintes, tenues de longue date, de voir la violence incontrôlée des extrémistes au Sahel se propager aux régions côtières voisines. Le Bénin est le plus durement touché, avec un doublement du nombre de décès enregistrés (173 morts) au cours de l’année écoulée. Le Togo est également confronté à une augmentation de la violence des islamistes militants, celle-ci ayant fait 69 morts au cours de la même période. Les zones frontalières du Ghana, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée, du Sénégal et de la Mauritanie sont toutes sujettes à des pressions accrues de la part de divers groupes militants qui, afin d’y gagner accès et influence, tentent d’y attiser les tensions, à la fois entre et au sein des communautés. En Afrique de l’Ouest, le nombre d’événements violents attribuables à des groupes islamistes militants qui se sont produits à l’intérieur et à moins de 50 km des frontières des voisins côtiers des pays sahéliens a augmenté de plus de 250 % au cours des deux dernières années, pour dépasser les 450 incidents par an.

L’activité des groupes islamistes militants, initialement centrée sur le Mali, s’est progressivement déplacée vers l’ouest et le sud du Burkina Faso, traversant les frontières des pays côtiers voisins. Le Sahel a vu le nombre d’événements attribuables aux extrémistes violents doubler et le nombre de morts qui y sont liés presque tripler depuis 20211. Les groupes islamistes militants ont ainsi provoqué le déplacement de millions de personnes, la fermeture de milliers d’écoles et laissé 12,7 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire au Burkina Faso, au Mali et au Niger.

La violence s’est rapidement accélérée à la suite des putschs au Mali, au Burkina Faso et au Niger, déstabilisant la sous-région sahélienne2.

Entre-temps, la dissolution par les juntes d’initiatives sécuritaires régionales, telles que le G5 Sahel et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), a mis à mal la coopération sécuritaire régionale. La coopération régionale s’est encore détériorée après que les juntes ont annoncé leur intention de quitter la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de créer leur propre cadre de sécurité tripartite, l’Alliance des États du Sahel.

L’insécurité en Afrique de l’Ouest côtière est particulièrement importante dans les zones frontalières et les aires protégées communes telles que le vaste complexe de parcs W-Arly-Pendjari (WAP), qui jouxte le Bénin, le Burkina Faso et le Niger et se trouve à proximité du Togo, du Ghana et du Nigeria3. L’emplacement transfrontalier des parcs amplifie la complexité de ce défi sécuritaire pour la coopération régionale.

Les fragilités internes, notamment la prestation limitée de services gouvernementaux, la désinformation antigouvernementale et les tensions intercommunautaires, peuvent aggraver d’autres menaces transfrontalières telles que l’extrémisme violent la contrebande, le crime organisé et le braconnage, et déstabiliser ainsi des communautés locales et des gouvernements de la région.

Depuis la prise de pouvoir par les juntes au Burkina Faso, au Niger et au Mali, la coopération transfrontalière et les capacités de renseignement ont diminué parmi les pays côtiers, les incitant à renforcer les moyens bilatéraux et collectifs pour faire face à la menace croissante de leur côté de la frontière. En accroissant la cohésion, la coordination et l’ampleur des efforts déployés pour atténuer les menaces, les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest pourront éviter un impact régional beaucoup plus important et coûteux.
Les groupes islamistes militants menacent l’Afrique de l’Ouest côtière

La menace que représentent les groupes islamistes militants pour les régions côtières de l’Afrique de l’Ouest n’est pas monolithique. Les groupes extrémistes violents qui sévissent à travers le Sahel sont souvent caractérisés comme appartenant soit au Jama’at Nusrat al Islam wal Muslimeen (JNIM), une coalition souple de différents groupes se réclamant d’Al-Qaïda, soit à l’État islamique dans le grand Sahara (EIGS). Cependant, les origines et l’évolution des groupes militants qui comprennent le JNIM et l’EIGS sont plus complexes4. Afin d’élaborer des stratégies et des réponses aux menaces particulières posées par chaque groupe, il faut analyser les dynamiques distinctes dont ils font usage selon leur identité et la zone dans laquelle ils opèrent.

Le nombre d’événements violents qui ont atteint et franchi les frontières des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest, de la Mauritanie au Nigeria, s’est considérablement accru avec l’expansion rapide de la violence des islamistes militants vers l’ouest et le sud du Mali, du Burkina Faso et du Niger au cours des dernières années. Alors que l’attention s’est surtout portée sur le Bénin et le Togo, deux douzaines d’incidents attribuables aux extrémistes violents ont eu lieu au Mali dans un rayon de 50 km des frontières de la Mauritanie, du Sénégal et de la Guinée, dans des régions où, jusqu’à récemment, il n’y avait que peu ou pas d’activité. Outre cette menace, deux théâtres principaux d’activités des extrémistes violents sont apparus dans le sud du Burkina Faso et du Niger et menacent leurs voisins côtiers.

Zone des trois frontières du Mali, de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso

La zone des trois frontières où se rejoignent le Mali, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso est une artère stratégique pour la sous-région. En effet, environ 25 % des importations du Mali sont acheminées à Bamako via Abidjan. De même, 30 à 35 % des importations du Burkina Faso passent par le corridor Abidjan-Bobo Dioulasso. Plus de la moitié des exportations du Burkina Faso, notamment son précieux secteur du coton, dépendent du port d’Abidjan.

L’orpaillage est également important dans toute cette zone, ce qui attire des travailleurs migrants, non seulement des trois pays mais aussi de la Guinée. Pendant le conflit ivoirien des années 2000, ces sites artisanaux ont généré des revenus importants en soutient aux groupes armés du nord du pays. La confluence des flux commerciaux, de l’orpaillage, des réseaux de contrebande et du trafic d’armes constitue une cible d’influence attrayante pour les groupes islamistes militants de la sous-région.

Dans la région des Cascades, au sud-ouest du Burkina Faso, le Front de libération du Macina (FLM), dirigé par Amadou Koufa, est de plus en plus actif depuis 2018. Localement, le groupe militant serait dirigé par un commandant connu sous nom de guerre « Hamza »5. Le groupe y exploite les réseaux de contrebande et de trafic ainsi que les sites d’exploitation minière artisanale. Le recrutement au sein des populations marginalisées, le mélange avec des acteurs criminels et l’établissement de flux de revenus continus ont rendu les extrémistes violents plus autonomes. Ils ont par la suite intimidé les communautés, procédé au recrutement forcé, et recouru à l’extorsion tout en la présentant, par euphémisme, comme une taxe religieuse ou « zakat ». Parfois, ils ont tenté d’appliquer des lois oppressives sur le genre et les rôles qui en découlent, et sur l’habillement et la pratique religieuse. Ils ciblent aussi de plus en plus les forces de sécurité et les représentants du gouvernement.

Après s’être établi au Burkina Faso, près de la forêt de Dida, frontalière du nord de la Côte d’Ivoire, le groupe a commencé en 2020 à mener des attaques contre les forces de sécurité ivoiriennes, notamment une attaque contre un poste de l’armée et de la gendarmerie à Kafolo. Le gouvernement ivoirien a réagi en renforçant rapidement sa présence sécuritaire et ses investissements socio-économiques dans la région.

Les militants, avec leur expansion vers le sud-ouest, sont devenus une menace croissante pour les communautés burkinabés qui vivent le long des frontières avec la Côte d’Ivoire et le Mali, d’autant plus qu’ils ont établi des campements dans les forêts protégées de ces pays. Les habitants déplacés ont cherché refuge en Côte d’Ivoire. Le FLM n’a pas encore ciblé de communautés au Ghana, mais la forêt de Dida n’est qu’à 150 km de la frontière ghanéenne. Du côté ivoirien de la frontière se trouve le parc national de la Comoé, un vaste arrière-pays essentiellement sauvage. Si les militants opérant au Burkina Faso devaient s’y installer, il deviendrait de plus en plus difficile de les en déloger.

Le complexe des parcs W-Arly-Pendjari

Le complexe de parcs nationaux W-Arly-Pendjari (WAP), d’une superficie de 26 361 km², est un deuxième théâtre important. La protection de cette réserve de biosphère transfrontalière, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, nécessite une coordination entre plusieurs gouvernements sur un ensemble de questions, notamment la gestion de l’environnement, les relations communautaires et, plus récemment, la sécurité. En effet, les parcs sont devenus un refuge pour les groupes islamistes militants depuis 2018, date à laquelle des combattants des groupes alignés avec le JNIM, y compris le FLM, la Katiba Serma et Ansaroul Islam, y ont établi des repaires. L’EIGS a également utilisé le parc du côté nigérien. Au fil du temps, les militants ont développé dans les parcs des relations locales en y recrutant des jeunes vulnérables et en établissant des liens avec les réseaux de contrebande qui y prospèrent en utilisant l’endroit pour le commerce illicite de carburant, de cigarettes, de produits et de médicaments de contrefaçon, et de trafic d’armes et d’or.

Les principaux échanges commerciaux et corridors économiques passent à proximité du complexe des parcs WAP, et notamment les corridors Ouagadougou-Lomé, Niamey-Lomé, Niamey-Cotonou, Ouagadougou-Accra et Niamey-Ouagadougou. Environ deux tiers des importations du Burkina Faso entrent dans le pays par ces corridors. Par ailleurs, le corridor Niamey-Cotonou est la principale voie d’échanges commerciaux du Niger puisqu’il en traite en moyenne plus de 50 %. Simultanément, 20 % des importations du Niger dépendent de corridors qui passent par le Burkina Faso. Tous ces couloirs sont de plus en plus menacés par les groupes islamistes militants qui opèrent dans les zones frontalières du complexe des parcs WAP.

Le manque de clarté concernant les groupes et leur composition met en évidence le peu de renseignements disponibles sur leurs opérations.

Les structures de direction des groupes extrémistes violents opérant dans les parcs WAP demeurent méconnues. Les habitants des communautés locales qui ont eu affaire aux militants islamistes les associent à Amadou Koufa du FLM et à Jafar Dicko d’Ansaroul Islam, mais aucun de ces dirigeants ne se seraient rendus dans le parc. Certains responsables de la sécurité désignent ces groupes sous le nom de Katiba Hanifa, en référence à un de leurs chefs supposés, le nigérien Abu Hanifa. Dans la région, d’autres commandants possibles seraient Abu Issa au Burkina Faso et Cheick Albani dans le nord du Bénin6. Mais le manque de clarté concernant les groupes et leur composition met en évidence le peu de renseignements disponibles sur leurs opérations.

Depuis leurs camps situés dans les parcs WAP, les islamistes militants ciblent les sites d’orpaillage des abords de la réserve. Les militants font également du commerce avec les bergers qui se déplacent à travers et autour du parc, mais ils les extorquent parfois. Les extrémistes ont tenté de se présenter comme une alternative à l’autorité étatique, imposant parfois une adhésion stricte à leur interprétation de la charia. Les groupes islamistes militants ont attaqué les communautés qui vivent à proximité de la réserve, en particulier au Burkina Faso, mais aussi de plus en plus au Bénin. Plus récemment, le Togo a connu une augmentation des incursions des groupes qui utilisent l’ouest de la réserve pour s’étendre dans le sud-est du Burkina Faso.

Le complexe des parcs WAP est un exemple révélateur de la manière dont les régions frontalières incontrôlées servent de refuge aux groupes islamistes militants qui opèrent dans cette région. Afin d’échapper aux forces de sécurité, ils peuvent facilement se déplacer de part et d’autre de la frontière et se réfugier dans les parcs. La réduction de la coopération et de la coordination transfrontalières provoquées par les putschs au Burkina Faso et au Niger a profité aux extrémistes violents qui cherchaient à s’abriter dans cette vaste réserve.

Les éleveurs, les agriculteurs et les contrebandiers qui utilisent les zones protégées ont été impliqués dans des confrontations avec les responsables de la conservation et de la sécurité, ce qui a parfois conduit à des expulsions, des arrestations, des abus, à l’abattage du bétail et la destruction des cultures. Les extrémistes violents ont attisé les injustices suscitées par cette répression pour mobiliser le recrutement et le soutien. Cela met en relief les défis sécuritaires que représente la lutte contre les groupes militants dans un corridor économique de grande valeur qui doit se faire tout en protégeant les communautés et les ressources naturelles d’un pays.

Les réponses nationales à l’essor de l’insécurité

Les groupes extrémistes violents du Sahel exploitent depuis longtemps les tensions intercommunautaires pour semer la discorde sociale, affaiblir la confiance dans le gouvernement et recruter des partisans. Les autorités locales et nationales des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest ont donc pour priorité d’améliorer l’accès aux services sociaux de base, de développer des activités rémunératrices et de renforcer la confiance entre les forces de sécurité et la population des régions frontalières.

En 2022, le gouvernement ivoirien a ainsi lancé le Programme spécial en faveur des jeunes du Nord qui allie une présence sécuritaire accrue dans les régions frontalières du nord à des investissements dans les infrastructures et des programmes sociaux ciblant les jeunes au chômage et peu éduqués7. Ce programme a été salué comme un modèle de réussite et pourrait avoir contribué à la réduction des activités des islamistes militants observée en Côte d’Ivoire depuis 2021. Les opérations transfrontalières précédemment menées conjointement par les forces ivoiriennes et burkinabè (2020-2021) ont également contribué à renforcer la sécurité, la communication et la coordination de part et d’autre de la frontière. Toutefois, depuis les coups d’État de 2022 au Burkina Faso, les relations se sont détériorées et les opérations conjointes ont largement cessé, ce qui accroît la vulnérabilité.

Au Togo, le gouvernement a lancé en 2022 un ambitieux programme multisectoriel de 26,6 millions de dollars, le Programme d’urgence pour les Savanes, sa région la plus septentrionale8.

La Banque Ouest Africaine de Développement soutient ce programme avec 50 millions de dollars destinés à l’amélioration des infrastructures, la prestation de services sociaux et la résilience économique de la région. L’état d’urgence en vigueur depuis juin 2022 a entraîné un déploiement accru de soldats dans le nord du Togo. Les forces de sécurité y ont parfois été accusées de bavures. De telles accusations s’avèrent contre-productives lorsque l’objectif est d’établir des bonnes relations avec des communautés vulnérables.

Au Ghana, un programme global de décentralisation comprenant le redécoupage des juridictions administratives dans les régions du nord, est allé de pair avec des investissements dans la sécurité des frontières et la collecte de renseignements. Le gouvernement a également déployé des soldats et des policiers pour renforcer la sécurité dans les communautés où les tensions intercommunales sont particulièrement fortes et où la présence de groupes extrémistes violents est avérée9.

Le professionnalisme des forces de sécurité ghanéennes a contribué à réduire la violence et les tensions dans les communautés du nord du Ghana, témoignant du fait que de tels efforts constituent un élément essentiel d’une stratégie efficace de prévention des conflits.

Parmi les pays côtiers, le Bénin est le plus durement touché par l’insécurité liée à l’extrémisme violent. La création de l’Agence Béninoise de Gestion Intégrée des Espaces Frontaliers a pour objectif d’allier sécurité, prévention et développement dans les communautés frontalières du pays. Les initiatives de police de proximité visant à instaurer un climat de confiance avec les populations vulnérables demeurent cependant limitées et trop lentes à faire face à l’escalade de la menace. Dans le cadre de l’opération Mirador, le Bénin a donc déployé 3 000 soldats afin de patrouiller les zones frontalières et prévenir les attaques de plus en plus fréquentes des militants islamistes contre les communautés, les forces de sécurité et les gardes forestiers.

Mais la présence subite des soldats de l’armée a cependant exacerbé les tensions avec les communautés locales. En effet, leurs opérations parfois musclées ont involontairement renforcé les griefs à l’égard du gouvernement10.

Quatre mille soldats viennent, par roulement et sur une base saisonnière, renforcer l’opération Mirador. L’armée a également recruté quelque 1 000 membres des forces locales pour soutenir leurs capacités de renseignement dans le nord. Compte tenu de l’importance du territoire des parcs WAP à la frontière du Burkina Faso et du Niger, les forces de sécurité travaillent en étroite collaboration avec African Parks, l’organisation de conservation à but non lucratif basée en Afrique du Sud, qui, dans le cadre d’un partenariat public-privé, gère les parties béninoises des parcs de la Pendjari et W.

Les forces de sécurité doivent maintenant élaborer des stratégies pour démanteler les réseaux illicites complexes et éradiquer les militants islamistes tout en protégeant les communautés locales et en instaurant un climat de confiance mutuelle.

Le Bénin avait travaillé en étroite collaboration avec les forces de sécurité nigériennes, signant en juillet 2022 un accord de coopération militaire dans le but d’améliorer la sécurité transfrontalière. Cependant, après le coup d’État de juillet 2023, la junte nigérienne a brusquement rompu cet accord de coopération. De même, les discussions sur la faisabilité d’une structure unifiée de gestion et de sécurité pour le complexe du parc ont été suspendues. African Parks aurait, en cas d’accord, pris en charge la gestion des parties nigérienne et burkinabé du WAP.

Pour ajouter à la complexité de la situation, des groupes islamistes militants ont tenté d’exploiter les ressentiments locaux le long des régions frontalières, notamment les inquiétudes liées à la perte potentielle de moyens de subsistance qui dépendent de réseaux illicites11. Les forces de sécurité doivent maintenant élaborer des stratégies pour démanteler les réseaux illicites complexes et éradiquer les militants islamistes tout en protégeant les communautés locales et en instaurant un climat de confiance mutuelle.

Coopération sécuritaire régionale dans la région côtière d’Afrique de l’Ouest

Dans les zones frontalières, la lutte contre l’extrémisme souligne l’importance de la coordination sécuritaire régionale au-delà des seules considérations nationales. En raison de la volonté politique de ses membres, d’un cadre juridique solide et d’une longue expérience en matière de paix et de sécurité, la CEDEAO sert de cadre principal pour coopération régionale. En effet, l’organisation régionale a mené de nombreuses opérations de maintien de la paix et a développé sa Force en attente (FAC) dans le cadre de l’Architecture de paix et de sécurité de l’Union africaine. La FAC a remplacé le Groupe de contrôle de la CEDEAO (ECOMOG) au début des années 2000. Cependant, la menace croissante de l’extrémisme violent en Afrique de l’Ouest a récemment mis en relief le défi majeur que pose la mobilisation de ses forces.

Le président du Nigeria, Bola Ahmed Tinubu, a donc appelé à la réactivation de la FAC. Pourtant, l’écart demeure important entre le discours officiel sur son état de préparation et la réalité de son adéquation. La montée de l’insécurité au Sahel et la propagation de la violence dans les pays côtiers ont incité les gouvernements de ces derniers à élaborer des initiatives ponctuelles et singulières pour répondre à l’évolution de la menace.

L’Initiative d’Accra (depuis 2017)

À la suite d’un attentat très médiatisé à Grand-Bassam en Côte d’Ivoire et de l’expansion de la violence des islamistes militants du Mali au Burkina Faso, le gouvernement burkinabè et ses quatre voisins côtiers — le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo — ont, en 2017, mis en place l’Initiative d’Accra pour lutter contre la propagation de l’extrémisme violent, prévenir les attentats et s’attaquer à la criminalité transnationale organisée sur leurs territoires. Le Mali et le Niger ont rejoint l’initiative en 2020, alors que le Nigeria y conserve depuis avril 2022 le statut d’observateur.

Compte tenu de sa composition, l’Initiative d’Accra est l’organe le plus logique pour coordonner une coopération sécuritaire régionale plus importante parmi les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. L’Initiative d’Accra, conçue en fonction du contexte régional, sert de courtier de coopération entre les États, facilitant une plus grande coordination et la formation entre ses participants d’une coalition de volontaires. L’initiative sert donc d’intermédiaire entre un ensemble de pays géographiquement proches qui partagent des objectifs de sécurité régionale et qui ont besoin de construire une mobilisation collective.

Les membres de l’initiative se sont entendus pour privilégier trois principaux champs de coopération opérationnelle. Ils se concentrent d’abord sur la collecte, le rassemblement et le partage de renseignements. Cela implique des échanges réguliers entre les agences de sécurité et de renseignement par le biais d’un cadre informel de points focaux. Ces engagements ont contribué à établir des relations entre les gouvernements et leurs forces de sécurité, favorisant ainsi une coopération plus étroite entre ces partenaires pour prévenir l’extrémisme violent.

Les opérations sécuritaires transfrontalières conjointes constituent la deuxième et la plus visible des activités de l’Initiative d’Accra. Les armées, qui opèrent normalement sur leur propre territoire, sous leur propre commandement tactique et avec leur propre financement, ont mené des opérations conjointes ponctuelles depuis 2018. Bien que ces opérations se soient déroulées sur des périodes relativement courtes et sur des espaces géographiques limités, elles ont néanmoins conduit à l’arrestation de militants présumés.

Une meilleure coordination des stratégies de lutte contre les groupes islamistes militants opérant dans les zones frontalières est une lacune persistante dans les efforts transfrontaliers, en particulier autour du territoire du complexe des parcs WAP et au sud-ouest du Burkina Faso. Les communications déjà existantes entre les points focaux de l’Initiative d’Accra pourraient facilement être développées en un centre d’échange plus formel. Ce centre pourrait alors faciliter la planification stratégique dans toute la région afin de favoriser les synergies qui font défaut, à la fois dans la réponse sécuritaire et dans les initiatives de subsistance menées par les gouvernements nationaux. L’Initiative d’Accra pourrait ainsi faciliter le partage des leçons entre ses membres.

Un volet formation constitue le troisième pilier de l’Initiative d’Accra. Bien qu’il s’agisse de l’aspect le moins développé de ses activités, de nombreux membres de l’initiative disposent déjà de l’infrastructure nécessaire pour organiser des formations, pour les corps habillés et le personnel civil, à la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme. Pour le développement professionnel, il faudra aussi établir des programmes d’études et des exigences antérieures au déploiement.

Il faut également accorder une attention renouvelée à l’importance d’établir une relation de confiance avec les communautés et du respect de normes élevées de professionnalisme. La formation sur les engagements professionnels avec les communautés est essentielle pour inculquer aux soldats des attitudes et des comportements orientés vers le service aux populations. Le rétablissement, la réparation et le maintien de bonnes relations entre le gouvernement et les communautés locales sont des préalables essentiels à la réussite des efforts à contrecarrer l’extrémisme et à stabilisation.

Force multinationale mixte (FMM, depuis 2015)

La FMM a pour mandat de préserver la sécurité dans les zones menacées par Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l’Ouest (EAIO). Elle protège les civils contre les attaques violentes, met en œuvre des programmes de stabilisation pour les communautés du bassin du lac Tchad et facilite les opérations humanitaires et l’acheminement de l’aide aux populations touchées. Elle est composée d’environ 10 000 soldats du Nigeria, du Tchad, du Cameroun, du Niger et du Bénin.

Le mandat de la FMM implique un processus en deux phases. Premièrement, elle mène des actions cinétiques contre Boko Haram et ses ramifications, notamment des opérations antiterroristes, des campagnes de nettoyage, des patrouilles, des opérations de recherche et de sauvetage des personnes enlevées et des campagnes de communication visant à encourager les défections. Deuxièmement, la FMM, par le biais de sa Stratégie régionale pour la stabilisation, le redressement et la résilience (RSS) des zones affectées par Boko Haram dans la région du bassin du lac Tchad, fournit une plate-forme de coordination pour s’attaquer aux moteurs de l’extrémisme violent dans la région. La RSS définit neuf piliers d’intervention, dont cinq sont axés sur les causes sous-jacentes de l’extrémisme violent, notamment la gouvernance centrée sur les citoyens, le redressement socio-économique et la durabilité de l’environnement, l’élargissement des possibilités d’éducation, la consolidation de la paix et l’autonomisation des femmes et des jeunes12. Chacun de ces piliers comporte des objectifs stratégiques qui servent de cadre à la stratégie régionale.

Dans un premier temps, les forces de la FMM collaborent avec les commandements nationaux pour coordonner leurs efforts. Les commandants de la FMM maintiennent une communication régulière avec les commandants de terrain déployés aux frontières pour relayer les opérations des forces nationales. Les forces de la FMM renforcent ainsi les efforts nationaux et servent de tissu conjonctif important pour les communications entre les armées des pays du bassin du lac Tchad. Ces caractéristiques se sont avérées essentielles dans les opérations de la FMM visant à renforcer la capacité militaire et à nettoyer les zones des activités de Boko Haram et de l’EAIO. La FMM s’efforce également de coordonner ses efforts avec les acteurs sécuritaires locaux, tels que la Civilian Joint Task Force dans le nord-est du Nigeria, souvent par l’intermédiaire des forces nationales.

Outre sa composante militaire, la FMM est bien alignée sur les efforts civils de gestion des conflits. Dans le cadre de la RSS, la cellule de coopération civilo-militaire de la FMM coordonne les efforts de sécurité locaux pour améliorer l’accès humanitaire, le retour en toute sécurité des réfugiés dans leur pays et l’ouverture sécurisée des frontières pour soutenir la mobilité des personnes et le commerce transfrontalier. La Commission du bassin du lac Tchad, un organisme régional chargé de gérer les ressources du lac, sert de plate-forme de facilitation en mettant en relation les gouverneurs locaux concernés avec les organisations de la société civile des communautés locales pour qu’ils contribuent ensemble aux activités de la FMM13. Cela a permis aux ministères civils et aux administrateurs locaux de s’engager davantage dans les efforts de stabilisation de la FMM, ce qui a renforcé les objectifs et réorienté les ressources pour répondre à d’autres besoins des communautés.

L’adaptation des programmes de stabilisation aux besoins de la communauté contribue à son tour à faciliter l’appropriation et l’adhésion locales.

Le fait de travailler de manière intégrée jusqu’au niveau local a aidé la FMM à instaurer une plus grande confiance entre les communautés. Cette planification stratégique, en collaboration avec les parties prenantes civiles, et par le biais de leur stratégie intégrale, a permis à la FMM de faire ce travail. Face à des insurrections complexes qui tirent parti des revendications locales et sont capables d’exploiter les réactions brutales de l’État, ce type de réponse à plusieurs niveaux s’est avéré être un ingrédient clé des succès de la FMM.

L’adaptabilité qui caractérise conception même de la RSS permet également à la FMM de travailler avec des partenaires à tous les niveaux pour répondre aux besoins des communautés. L’adaptation des programmes de stabilisation aux besoins de la communauté contribue à son tour à faciliter l’appropriation et l’adhésion locales. Ces éléments sont essentiels pour contrecarrer l’extrémisme dans des contextes où plusieurs gouvernements nationaux doivent trouver la meilleure réponse pour des communautés différentes.

Améliorer la réponse régionale à une crise qui s’aggrave

La violence des groupes islamistes militants du Sahel s’étend rapidement à l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, affectant les communautés des régions frontalières de plusieurs pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. Les menaces sécuritaires, la proximité géographique et les intérêts communs du Bénin, du Togo, du Ghana et de la Côte d’Ivoire, et potentiellement de la Guinée, du Sénégal et de la Mauritanie, avec leurs voisins sahéliens soulignent la nécessité d’une coordination régionale renforcée. Grâce à l’Initiative d’Accra, ces pays côtiers ont amélioré l’échange de renseignements, la coopération sécuritaire et le partage des ressources, mais il reste encore beaucoup à faire. Dans le bassin du lac Tchad, les enseignements tirés de la stratégie de stabilisation à plusieurs niveaux de la FMM, ainsi que des stratégies nationales des États membres de l’Initiative d’Accra, illuminent les domaines d’investissement prioritaires et les actions à mettre en œuvre.

Construire des relations avec les communautés en améliorant le comportement des forces de sécurité. Les groupes islamistes militants ont su exploiter la porosité des frontières. Si l’augmentation des déploiements de l’armée, de la police et des douaniers dans les régions frontalières des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest est nécessaire, il reste insuffisant. Une leçon fondamentale pour les efforts de stabilisation est que toutes les forces de sécurité déployées doivent respecter les citoyens et leurs biens. Éviter l’usage excessif de la force et gagner la confiance des populations est un élément clé d’une contre-insurrection réussie14.

Les pratiques centrées sur la protection et le respect des citoyens doivent être adoptées de manière cohérente par toutes les forces de sécurité des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. Cela nécessitera des efforts accrus pour les former à diminuer les atteintes aux civils et aux relations communautaires. Le Bénin a déjà amélioré son programme de formation en exigeant que chaque cohorte de militaires de carrière qui fréquente des établissements d’enseignement militaire professionnel soit déployée sur le terrain pour une Immersion des stagiaires de plusieurs mois. Des programmes similaires pourraient être développés pour renforcer la confiance des communautés et l’atténuation des dommages civils.

Des institutions aptes à améliorer le professionnalisme et la conduite des forces de sécurité sont déjà présentes dans la région. La Côte d’Ivoire, par exemple, accueille l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme et le Ghana, le Centre International Kofi Annan de formation au maintien de la paix. Ces institutions, ainsi que d’autres établissements d’enseignement militaire professionnel, pourraient servir à élargir rapidement l’éventail de formations proposées par l’Initiative d’Accra.

Accélérer les efforts de développement dans les zones vulnérables. Les investissements dans des initiatives de développement dans les zones frontalières, telles que celles entreprises en Côte d’Ivoire, se sont révélés efficaces en tant que stratégie de stabilisation. Pour instaurer la confiance avec les communautés locales et limiter le recrutement de groupes extrémistes violents, il faudra donner la priorité à la reproduction et l’intensification de la fourniture de ces services intégrés dans tous les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. L’investissement dans les programmes sociaux souligne le fait que la stabilisation nécessitera davantage que des solutions uniquement militaires.

La Côte d’Ivoire et le Ghana peuvent jouer un rôle précieux en fournissant des formations et en facilitant le partage des meilleures pratiques dans toute la sous-région. Ce processus d’apprentissage pourrait être accéléré en organisant des échanges sur le développement entre les pays côtiers et en mobilisant des fonds pour des projets socio-économiques dans les zones frontalières.

Les initiatives de développement dans les régions frontalières peuvent également créer des ouvertures pour la coopération bilatérale avec les pays du Sahel dirigés par des juntes. Les ministères responsables des questions de développement dans les pays du Sahel étants généralement dirigés par des civils, souvent des professionnels expérimentés dans les domaines de l’environnement, des infrastructures ou de l’assainissement, ils pourraient permettre de poursuivre des initiatives de coopération transfrontalière pour favoriser la stabilité.

Établir une stratégie régionale pour atténuer les risques liés au complexe de parcs WAP. Compte tenu de l’expansion des activités des islamistes militants dans les parcs WAP, la coordination entre le Bénin, le Togo, le Ghana et le Nigeria en matière de politique de gestion des zones frontalières et des espaces protégés est essentielle pour élaborer une stratégie efficace de stabilisation. Les leçons tirées des engagements de la FMM avec la Commission du bassin du lac Tchad et de ses liens avec les communautés locales pourraient fournir des idées utiles pour l’élaboration d’une approche à plusieurs niveaux visant à protéger les communautés des parcs WAP et de ses écosystèmes protégés.

À l’instar du bassin du lac Tchad, certaines zones des parcs WAP sont de facto sous le contrôle d’extrémistes violents. Cette situation nécessitera une approche en deux phases qui emploiera des opérations cinétiques coordonnées pour éliminer les groupes islamistes militants des zones frontalières et des parcs, alliée à des efforts soutenus par la région et la communauté internationale pour aider à préserver l’environnement fragile à l’intérieur et autour des parcs où les habitants y dépendent pour leurs moyens de subsistance. Cela nécessitera des initiatives adaptées aux communautés et qui équilibrent des intérêts et des objectifs variés.

Il conviendra d’élaborer des responsabilités communes en matière de gestion des frontières qui concilient le pastoralisme durable, l’agriculture et la protection de la nature. Le succès de ces initiatives dépend fortement de la sensibilisation avant la mise en œuvre et de l’inclusion de la société civile locale, des chefs religieux et traditionnels de la communauté, des jeunes et des femmes pour qu’ils puissent contribuer aux réponses proposées15.

Des partenariats public-privé, tels que celui conclu entre le gouvernement du Bénin et African Parks, peuvent être instructifs. Cet organisme de protection de la nature a progressé en travaillant avec les communautés pour résoudre les litiges intercommunautaires tout en promouvant la conservation des parcs. Un élément clé de la réponse à l’extrémisme violent dans la région WAP sera de poursuivre, dans le cadre d’une stratégie multiniveaux et multipartite au profit des communautés locales, la lutte contre les réseaux illicites et l’extrémisme violent et les efforts de gestion de la conservation.

Un élément clé de la réponse à l’extrémisme violent dans la région WAP sera de poursuivre, dans le cadre d’une stratégie multiniveaux et multipartite au profit des communautés locales, la lutte contre les réseaux illicites et l’extrémisme violent et les efforts de gestion de la conservation.

Si la coopération avec le Mali et le Burkina Faso s’améliore, une stratégie similaire pour les zones frontalières autour du parc national de la Comoé et de la forêt de Dida dans la zone des trois frontières Mali-Côte d’Ivoire-Burkina Faso pourrait aussi s’inspirer d’une stratégie WAP.

Synchroniser les évaluations conjointes des risques de conflit. Les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest peuvent améliorer et codifier l’échange de renseignements entre les membres de l’Initiative d’Accra en maintenant des canaux de communication et d’information régulière entre les acteurs de la sécurité, en particulier sur les mouvements des groupes islamistes militants. Cette communication latérale pourrait en partie compenser l’échange limité de renseignements de la part des juntes sahéliennes. Elle pourrait également révéler la diversité des motivations et des tactiques des extrémistes violents, qui ne sont pas monolithiques, mais constituent un ensemble de groupes dotés chacun d’une structure de commandement différente. Dans certains cas, ils agissent davantage pour des raisons criminelles qu’idéologiques, en extrayant des ressources naturelles, en exploitant les réseaux illicites et en extorquant des communautés locales, en particulier le long des principaux corridors économiques transfrontaliers.

Ces évaluations de la menace pourraient être associées à celles du réseau d’alerte précoce de la CEDEAO. Ensemble, ces évaluations conjointes soutiendraient une stratégie de stabilisation inclusive. La CEDEAO pourrait également utiliser systématiquement son évaluation des risques et de la vulnérabilité des pays pour lancer un processus d’analyse conjointe et l’actualiser régulièrement avec tous ses membres.

Adopter une stratégie de stabilisation à plusieurs niveaux. Compte tenu de la nature décentralisée de la menace des extrémistes violents et de l’expérience d’autres initiatives sécuritaires régionales, les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest devraient élaborer une stratégie à plusieurs niveaux et une approche institutionnalisée de la stabilisation.

La priorité absolue, et le premier niveau de cette stratégie, est celui des communautés locales et des agences gouvernementales dans les zones frontalières confrontées à l’escalade de la violence extrémiste. Les dirigeants peuvent y développer des actions et des tactiques spécifiques qui réduisent les possibilités d’enracinement de l’extrémisme violent et renforcent la résilience des communautés. Travailler à ce niveau granulaire permettra de réduire les risques que les gouvernements exacerbent accidentellement les griefs.

Un deuxième niveau est celui des gouvernements nationaux qui soutiennent ces efforts locaux par des initiatives intégrées visant à la fois à protéger et à soutenir les intérêts socio-économiques de ces régions. L’Initiative d’Accra représente un troisième niveau de coordination, de partage des renseignements et des ressources, d’opérations conjointes dans les zones frontalières vulnérables et de capacité de pointe à l’appui de ces efforts nationaux.

En tant que principale organisation de coordination régionale, la CEDEAO représente un quatrième niveau de soutien institutionnel qui peut contribuer à faciliter l’échange de politiques et d’expériences de toute la région pour en soutenir les pays membres. La CEDEAO peut également fournir une assistance financière ou matérielle aux pays de la ligne de front, selon les besoins. Il s’agit notamment de faciliter le soutien direct des donateurs aux gouvernements nationaux engagés dans les efforts de stabilisation.

Si la situation sécuritaire devait se détériorer davantage et justifier une intervention à part entière, l’expérience de la CEDEAO dans le cadre d’autres initiatives sécuritaires régionales servirait de base au déploiement de sa force en attente. L’engagement de la CEDEAO peut également faciliter la coordination des politiques avec un cinquième niveau de soutien, celui de l’Union africaine. Outre la validation politique précieuse de ces efforts, les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest peuvent s’appuyer sur les lignes directrices établies par l’Union africaine en matière de protection des civils et d’atténuation des dommages à leur encontre.

Collectivement, cette architecture à plusieurs niveaux offre la dextérité institutionnelle nécessaire pour passer à l’échelle supérieure et exploiter un éventail plus large de ressources et d’expertise que ce que l’on pourrait obtenir par une approche à un seul niveau. Cette approche tient également compte de la complexité de la menace des extrémistes violents qui, bien qu’ils opèrent au niveau local, se déploient dans une vaste zone transfrontalière et s’appuient sur des réseaux régionaux de combattants, de ressources et de messages.

Notes

⇑ Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « En Afrique, les morts imputables à la violence des islamistes militants continuent de monter en flèche », Infographie, 30 janvier 2024.  
⇑ Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Au Mali, la catastrophe s’accélère sous le régime de la junte », Infographie, 21 juillet 2023 ; Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « La crise au Burkina Faso continue son engrenage », Infographie, 12 septembre 2023.
⇑ Fondation Konrad Adenauer Programme pour le Dialogue sur la Sécurité en Afrique subsaharienne (SIPODI), éd. « Le renseignement en Afrique de l’Ouest : État des lieux et perspectives », (Paris : L’Harmattan, 2017) ; Leif Brottem, « La menace croissante de l’extrémisme violent en Afrique occidentale côtière », Éclairage, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 1er avril 2022.
⇑ Daniel Eizenga et Wendy Williams, « Le puzzle formé par le JNIM et les groupes islamistes militants au Sahel », Bulletin de la sécurité africaine N° 38, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, janvier 2021.
⇑ International Crisis Group, « Empêcher les djihadistes de pénétrer dans le nord de la Côte d’Ivoire », Briefing N° 192, 11 août 2023.
⇑ International Crisis Group, « Contenir l’insurrection jihadiste dans le Parc W en Afrique de l’Ouest », Rapport Afrique N° 310, 26 janvier 2023.
⇑ Cyril Bensimon, « La Côte d’Ivoire aux marges de la menace djihadiste », Le Monde Afrique, 16 juin 2023.
⇑ Entretien avec Gnanguênon, avril 2022.
⇑ Michael M. Phillips, « Al Qaeda Closes in on a Stalwart U.S. Ally in Africa », Wall Street Journal, 26 mars 2023.
⇑ Africa Defense Forum, « Le Bénin renforce sa présence militaire dans le nord du pays pour stopper les attaques transfrontalières, » Actualités du jour, 26 juillet 2022 ; Davide Lemmi et Marco Simoncelli, « Benin Is the New Jihadist Front in Africa », Pulitzer Center, 12 octobre 2022.
⇑ Jeannine Ella A. Abatan et William Assanvo, « Liens entre extrémisme violent et activités illicites au Bénin », Rapport sur l’Afrique de l’Ouest N° 42, Institut d’études de sécurité, septembre 2023.
⇑ Commission du bassin du lac Tchad et Commission de l’Union africaine, « Stratégie régionale pour la stabilisation, le redressement et la résilience des zones affectées par Boko Haram dans la région du bassin du lac Tchad », 2018.
⇑ Freedom Chukwudi Onuoha, Andrew E. Yaw Tchie et Mariana Llorens Zabala, « A Quest to Win the Hearts and Minds : Assessing the Effectiveness of the Multinational Joint Task Force », Rapport d’EPON, Institut norvégien des affaires internationales, 30 janvier 2023.
⇑ Christopher Paul, Colin P. Clarke, Beth Grill et Molly Dunigan, « Paths to Victory : Lessons from Modern Insurgencies », Rand Corporation, 26 septembre 2013.
⇑ Human Security Research Centre (Ghana), « The Accra Initiative: What it Seeks to Achieve and Its Prospects for Success », Policy Brief N° 001, juin 2020.