«La Libye joue le rôle de plateforme logistique pour la Russie» en Afrique, selon le collectif «All Eyes on Wagner»

«La Libye joue le rôle de plateforme logistique pour la Russie» en Afrique, selon le collectif «All Eyes on Wagner»

La Libye, plus que jamais porte d’entrée de la Russie sur le continent africain. Selon plusieurs observateurs dont le collectif « All Eyes on Wagner », la Russie augmente depuis plusieurs mois sa présence dans des ports comme Syrte ou Tobrouk pour débarquer armes et militaires. Une stratégie qui atteste l’idée que Moscou et les supplétifs d’Africa Corps (ex-Wagner) ont bien décidé de renforcer leurs positions en Afrique du Nord et au Sahel. Lou Osborn du collectif « All Eyes on Wagner » est notre invité ce matin.

RFI : En ce moment, vos yeux sont particulièrement tournés vers la Libye. Depuis quelques mois, on constate un accroissement des livraisons d’armes et de débarquement d’hommes en provenance de Russie. Où ont lieu ces débarquements et quel est le but supposé ?

Lou Osborn : La première chose, c’est qu’une partie de ces combattants qui arrivent est, après, renvoyée dans les nouveaux territoires occupés par African Corps : le Niger et le Burkina Faso. Dans ce sens-là, la Libye joue le rôle de plateforme logistique pour les opérations de la Russie. C’était déjà le rôle que la Libye avait à un moment donné pour le groupe Wagner. Donc, ils remettent ça en route. La deuxième chose, c’est qu’une partie des combattants reste, à priori, en Libye. Mais la Russie a pour projet d’établir une base navale qui lui mettrait les pieds dans la Méditerranée.

Sur des emprises portuaires entre Syrte, en Libye, et Port-Soudan côté Soudanais, est-ce qu’il y a une volonté de trouver des accès portuaires, un débouché sur la mer, et à quoi correspondrait cette stratégie ?

Clairement, aujourd’hui – et je pense plus sur la Libye que sur le Soudan -, ça crée une espèce de couloir avec la Syrie, évidemment. Aussi, on a vu que toute la partie golfe persique était aussi dérangée par ce qui se passait avec le Yémen – les Houthis – et donc, derrière, un petit peu, la main de l’Iran. Quelque part, ça crée un couloir qui est assez intéressant pour les Russes avec une voie maritime qu’ils peuvent contrôler. Ça crée aussi des nouveaux points de pression sur le front occidental. Quand ils auront cette base navale en Libye, ils vont être directement en face de l’Europe. Cela sert à plusieurs choses.

Est-ce qu’il y a encore un distinguo entre les mercenaires d’Africa Corps et les autorités officielles, et – question subsidiaire : beaucoup de membres d’Africa Corps affichent encore des blasons Wagner sur leurs uniformes, est-ce un mélange des genres, une confusion, ou tout cela est en fait la même entité ?

C’est un peu la question à un million de dollars en ce moment ! La distinction n’est pas encore très claire et, aujourd’hui d’ailleurs, on remarque déjà que les pays employeurs, par exemple la Centrafrique, le Mali, le Burkina, le Niger, continuent à parler d’« instructeurs russes ». Eux, sont assez cohérents dans leur appellation. Aujourd’hui, on sait qu’il y a un petit groupe de Wagner historique qui serait toujours en train de faire leurs propres affaires, plutôt en Centrafrique. Depuis la mort d’Evgueni Prigojine, il y a eu une volonté de reprise des activités du groupe Wagner et de les mettre sous contrôle, notamment du renseignement militaire russe, le GRU. Mais il reste très compliqué de vraiment distinguer qui est chez qui, qui fait quoi ? Cela étant, Wagner reste une « marque » qui a encore beaucoup de succès et qui pèse beaucoup, donc ils ne l’ont pas complètement détruite. D’ailleurs, cela serait stupide, car Wagner a une histoire, une légende, ses codes, etc. Finalement, ça crée de la cohésion et de l’envie d’aller travailler pour ce type de structure.

L’Iran et la Turquie, en conjugaison, en bonne intelligence avec la Russie, trouvent aussi des intérêts dans cette inversion, ce chamboulement des équilibres en Afrique ?

Sur l’Iran, aujourd’hui, on dirait qu’il y a plus une convergence d’intérêt. On voit, par exemple, qu’il y a un certain nombre de dirigeants qui vont d’abord rencontrer les Russes pour amener par la suite des discussions avec des dirigeants iraniens. Il y a cette convergence-là. Cependant, sur la Turquie, on voit plutôt une espèce d’opposition. Déjà en Libye, le gouvernement de Tripoli est historiquement plutôt soutenu par la Turquie, alors que les territoires du maréchal Haftar, c’est plutôt la Russie. Aujourd’hui, on voit l’arrivée sur une partie du Sahel d’une autre organisation paramilitaire qui s’appelle Sadat, qui est Turque, qui est déjà présente en Libye depuis plusieurs années et qui assurerait la sécurité d’officiels au Mali, alors qu’une autre partie des officiels est plutôt sécurisée par Wagner. Ils seraient aussi en train d’arriver au Niger. Là, grosse question, parce qu’ils vont se regarder en chiens de faïence, et ce n’est pas dit que ça soit forcément voulu.

Visiblement, les soldes versées aux mercenaires turcs sont d’un niveau inférieur à celles versées à Wagner. Cela veut dire que les Russes ne sont plus les seuls acteurs dans le mercenariat africain ?

C’est la première fois qu’on les voit arriver, plutôt sur la partie Sahel. Mais là où, à mon sens, il y a un avantage, c’est que la Turquie est aussi très active économiquement sur le continent. Aujourd’hui, elle est, peut-être, légèrement meilleure, un peu plus compétitive, voire possède de meilleures positions que la Russie. En tout cas, cela crée une nouvelle alternative ou un autre choix.