La culture du professionnalisme militaire qui s’est développée au Sénégal résulte d’un effort délibéré et de longue haleine pour inculquer les valeurs du service, de la méritocratie et du respect des valeurs démocratiques.
Les forces armées sénégalaises sont reconnues pour leur professionnalisme, leur culture d’éthique et leur posture apolitique. Mais comment cette culture a-t-elle émergé ? Comment est-elle entretenue ? Quelle est l’importance des établissements d’enseignement professionnel militaire dans ce processus et comment sont-ils nécessaires à son maintien ? Quels sont les obstacles au maintien du professionnalisme militaire ? Quelles leçons peut-on tirer de l’expérience sénégalaise ?
Pour tenter de répondre à ces questions, le Centre d’études stratégiques de l’Afrique s’est entretenu avec plusieurs officiers dotes d’une expérience directe dans la formation d’une culture de professionnalisme et des institutions qui la soutiennent dont :
Le général Birame Diop, conseiller militaire du Département des opérations de paix des Nations unies et ancien chef d’état-major général des armées du Sénégal (2020-2021),
Le général Talla Niang, ancien sous-chef d’état-major des armées du Sénégal (2000-2003),
Un colonel sénégalais, doté d’une expérience importante sur l’enseignement professionnel militaire, qui a demandé l’anonymat pour s’exprimer avec objectivité.
Comment la culture du professionnalisme militaire a-t-elle émergé au Sénégal ?
Pour le général Diop, « parler du professionnalisme au Sénégal va forcément inclure une coïncidence un peu heureuse au niveau politique. D’un côté on avait un président de la République, un grand intellectuel, Léopold Senghor, un homme de dialogue et de paix. En même temps, il avait un Chef d’état-major des armées (CEMA), Jean-Alfred Diallo qui était aussi un homme de paix et qui était quelqu’un, du fait de sa formation dans le génie militaire, qui aimait bâtir et qui pensait au rôle central que l’armée pouvait jouer dans le développement du pays. Et donc, les hommes qui commandent et qui contrôlent le secteur de sécurité et les membres de ces services ont très tôt entretenu des relations assez respectueuses et apolitiques ».
Le général Niang ajoute que « nous avons, nos ainés jusqu’à nous et aux plus jeunes, à chaque fois traduit et amélioré » cette conception de l’armée. Par ailleurs, « la culture du professionnalisme dans l’armée sénégalaise provient de l’origine de l’armée sénégalaise qui a été créé sur la base d’anciens militaires qui servaient dans l’armée française. Ils étaient relativement forts parce qu’il y avait tous les grades, jusqu’au grade de colonel. Nombre d’entre eux avaient fait Saint Cyr (l’école militaire française), et aussi les guerres d’Indochine et d’Algérie. Ces gens à l’indépendance, ils ont eu le choix : ceux qui voulaient rester dans l’armée française y sont restés et ceux qui voulaient rentrer dans leur pays nouvellement indépendant sont devenus l’embryon initial de l’armée sénégalaise ».
Ces premiers dirigeants ont créé un concept extrêmement important, le concept d’armée-nation. C’est un concept qui a été institutionnalisé, qui consiste à dire que le rôle de l’armée ne peut se justifier que par le service à la nation et pour le développement et la sécurité.
Comment définir le rôle de l’armée ? Comment en assurer le contrôle démocratique ?
Pour le général Diop, définir le rôle de l’armée requiert « les documents normatifs, il faut la stratégie de sécurité nationale, c’est le document mère, mais après il faut des concepts d’emploi, la doctrine, des stratégies générales au niveau des différents ministères pour soutenir la stratégie nationale, des stratégies sectorielles. C’est un ensemble, un arsenal de documents normatifs qu’il faut développer. Il faut aussi se donner la capacité de les revisiter régulièrement pour les mettre à jour ».
Par ailleurs, il faut aussi « un bon mécanisme de contrôle démocratique du secteur de la sécurité par les autorités démocratiquement élues. Pour que les corps habillés puissent accepter les leaders politiques, il faut qu’ils soient convaincus que ces leaders ont été élus de manière transparente et démocratique ».
Comment ces valeurs sont-elles transmises ?
« Le concept d’armée-nation [définit] le rôle de l’armée [comme étant de servir] la nation, son développement et sa sécurité.»
« Il y a eu un effort, particulièrement chez les jeunes cadres dans nos écoles d’officiers, d’essayer d’institutionaliser l’idée que le rôle de l’armée est
de servir la nation. Cet aspect de transmission des valeurs est primordial dans la manière dont les officiers voient leur rôle, » explique le colonel, ajoutant que « cette transmission de valeurs se fait aussi par l’exemple du leadership.
Il y a un aspect dont on parle qui n’est peut-être pas très mis en avant dans la réflexion sur le professionnalisme militaire, c’est le rôle des civils et du pouvoir civil. On ne met pas assez l’accent sur la compréhension par les militaires de leur rôle et de leur place dans la société et le respect de l’autorité civile. Mais l’autorité civile a aussi une responsabilité très importante dans la manière dont ce professionnalisme militaire se développe afin qu’il soit complémenté par un professionnalisme civil de l’autre côté de la balance ».
Quel est le rôle des personnalités politiques dans cette balance ?
Le général Mbaye Cissé, chef d’état-major général des forces armées du Sénégal, a aussi souligné que les valeurs démocratiques doivent être apprises et ne peuvent pas être considérées acquises. Selon le colonel auquel nous avons parlé, « un aspect important en Afrique, c’est ce que font aussi les politiques. Cette tentation qui peut exister d’impliquer l’armée dans le jeu politique est extrêmement dangereuse. Ce que font les militaires, c’est-à-dire la conception que les militaires ont de leur rôle, et comment se créé une culture de professionnalisme, est très importante, tout autant que l’approche des autorités politiques du rôle de l’armée. C’est cette interaction qui est fondamentale.
L’armée sénégalaise et ses chefs militaires ont toujours été très fermes sur le fait que nous ne sommes d’aucune obédience que soit politique, religieuse, confessionnelle. Les chefs militaires le rappellent de manière récurrente : nous ne nous occupons pas de ça. Le contexte dans lequel on vit montre que quand même rien n’est irréversible. D’où l’effort qui doit être fait pour institutionnaliser, pas seulement dans l’enseignement professionnel militaire supérieur, mais dans les écoles d’officiers, de sous-officiers, chez les militaires du rang, à tous les niveaux ».
De quelle façons la composition de l’armée sénégalaise est-elle importante pour le professionnalisme militaire ?
Pour le général Niang, « l’armée sénégalaise bénéficie d’une spécificité particulière car son effectif est calqué sur la composition ethnique et régionale de la population du Sénégal. Il y une clé de répartition. Si on dit que telle ethnie représente 2 %, on va retrouver ces 2% dans l’armée. Donc, l’armée sénégalaise, c’est une petite nation du Sénégal. »
Selon le général Diop, « Aucune armée ne peut être professionnelle si on ne se donne pas les moyens de mettre cette armée dans des conditions de travail et de vie. Elles sont le sous-bassement du caractère professionnel d’une armée. Vous vous occupez de vos soldats, ils s’occupent de leur travail et ils s’occupent de leurs chefs. Une armée ne peut pas être professionnelle si elle n’est pas dirigée par des leaders qui ne pensent pas à eux-mêmes, mais qui pensent à leurs subordonnés. C’est une armée qui travaille comme une équipe, comme une famille ».
« Rien n’est irréversible. D’où l’effort qui doit être fait pour institutionnaliser… à tous les niveaux »
Le Sénégal n’a pas de garde présidentielle, ou d’unités de forces spéciales, ce qui, selon les officiers auxquels nous avons parlé, est aussi une particularité qui joue un rôle important dans son professionnalisme. Le général Niang explique : « Ici, les gendarmes sont statutairement chargés de la garde de toutes les institutions de la république, pas les personnes, les institutions elles-mêmes. Et ces gendarmes, ils forment un groupement présidentiel et ils font de deux ans à trois ans, et après ils sont affectés ailleurs. On ne peut pas faire carrière là-dedans. Ce qui fait que ceux qui gardent le président, le président ne les connait pas. Il ne les choisit pas. Le président est une institution, il ne choisit le gouverneur du palais présidentiel, c’est le chef de la gendarmerie qui le choisit et on le nomme par décret, comme tous les chefs de corps. Ils font leur de service, comme ils font leur temps dans d’autres unités de gendarmerie. La garde présidentielle ne peut pas faire de coup d’État au Sénégal, ils sont les moins équipés, ils ne sont pas assez nombreux ou assez forts ».
Quel est le rôle de la formation et de l’entrainement dans le développement du professionnalisme ?
Le général Niang précise qu’au Sénégal nous avons les écoles du soldat, où tous les soldats reçoivent une formation commune de base, pour avoir les mêmes réflexes, les mêmes gestes, les mêmes règlements etc. Après ça, ils sont dispatchés dans les différents bataillons où ils reçoivent une formation de qualification d’armes. Ça veut dire que quand on est dans un groupe ou dans une section, on a un poste avec une qualification qu’on est le seul à avoir au niveau du groupe. On donne la formation et vous recevez l’entrainement pour ça, avec l’arme qu’il faut, qui n’est pas l’arme de l’autre. Il y une séquence. La formation est séquencée de manière harmonieuse, quel que soit le rang, que ce soit soldat du rang, sous-officier, officier ou officier supérieur ».
Le général Niang ajoute « Il y a un cycle d’entrainement annuel au niveau de la compagnie, et d’entrainement de cohésion au niveau du bataillon, et d’entrainement d’interopérabilité au niveau des groupements tactiques des forces. Nous avons également les cycles d’entrainement avec les alliés (comme la France, les USA, ou la sous-région). Nous avons aussi des formations spécifiques comme Flintlock, où on forme des officiers d’état-major dans des tâches particulières ».
Quel est le rôle des procédures d’avancement et du respect des quotas d’encadrement ?
Pour le général Niang, « une autre spécificité sénégalaise, c’est le respect des quotas d’encadrement de l’armée. Dans l’armée sénégalaise, on a 5% des effectifs qui sont des officiers, les sous-officiers représentent 15% et les soldats du rang représentent 80%. Du coup on n’a pas de surabondance de grades, chacun est à sa place et il y a des normes, et des qualifications pour passer d’une catégorie à l’autre.
« La méritocratie a été très rapidement promue dans l’armée sénégalaise. »
Nous avons aussi des commissions d’avancement. Il y a une commission à chaque niveau : des compagnies vers le bataillon, des bataillons vers les zones militaires, des zones militaires vers les Armées (Air, Terre et Mer), des Armées et directions de services vers le cabinet du Chef d’état-major général, où il y a un classement définitif pour toutes les catégories. C’est cette commission que j’ai eu la lourde charge de présider quand j’étais sous-chef d’état-major général des armées. La commission était composée d’un représentant de chaque armée (3) et de direction de service au plus haut niveau (7) et du Chef de cabinet du Chef d’état-major général des armées. Donc, pour la proposition d’avancement au grade supérieur et ce jusqu’au grade de lieutenant-colonel, nous effectuons des classements, qui sont soumis à l’état-major général. Ce travail est envoyé aux ministres des armées qui nomme nomme les militaires du rang et les sous-officiers et aussi au Président qui nomme les officiers par décret. Ça permet d’assurer la promotion par le mérite.
« Quand on travaille, on a des chances d’avancer dans l’armée sénégalaise, il n’y a pas besoin d’avoir un parent militaire ou parlementaire ou ministre. Moi je suis un fils de paysan, j’ai fini général de division et numéro deux de l’armée sénégalaise ».
Pour le général Diop, « la méritocratie a été très rapidement promue dans l’armée sénégalaise. Mais si on vous nomme sur la base de relations personnelles, vous aurez le grade et la position, mais vous n’aurez pas l’acceptation et la légitimité aux yeux de vos pairs et de vos subordonnés et vous ne pourrez pas de donner des ordres à vos personnels pour qu’ils puissent les exécuter sans hésiter, se plaindre. Mais si le système fonctionne sur la base du mérite, vous n’aurez jamais l’unanimité, mais vous aurez au moins la légitimité et la crédibilité pour pouvoir exercer l’autorité sur ceux que vous commandez ».
Quelle est l’expérience sénégalaise dans l’établissement et le maintien de ces institutions ? Comment ont-elles contribué à la construction du professionnalisme militaire ?
L’école nationale des officiers d’active (ENOA) a été établie en 1981. L’ENOA, où une centaine de stagiaires suivent une formation de deux ans, a récemment été réformée et fournit la première étape de la formation initiale des officiers des armées, de la gendarmerie nationale et de la brigade nationale des sapeurs-pompiers. Le Centre des hautes études de défense et de sécurité (CHEDS) a été établi en 2013, sous la tutelle de l’état-major particulier de la Présidence. Chaque année une cinquantaine de stagiaires, civils et militaires y reçoivent des masters en défense, sécurité et paix et, depuis 2018, en sécurité nationale. L’Institut de défense du Sénégal a été créé en octobre 2020. Il comprend une école d’état-major, une école supérieure de guerre et un centre de doctrine. Environ 25 stagiaires suivent le cours d’état-major, alors qu’une dizaine d’officiers ont composé la première promotion de son école supérieure de guerre.
Comme l’explique le général Niang, « les officiers sénégalais sont formés au niveau Bac +5 ou Bac +6, sans exception. C’est au-delà même d’une licence. Mais, ça ce n’est que le début d’une formation d’officier. Une fois que tu es officier, tu vas galérer parce que tu vas faire encore plusieurs écoles dans ta carrière et passer plusieurs diplômes. Après trois ans tu vas faire une école qu’on appelle le cours des capitaines, dans ta spécialité. Après cela, tu reviens, on va te confier une unité élémentaire, c’est-à-dire une compagnie de 150 hommes. Et le temps de commandement dure au moins deux ans. À l’issue de ça, il faut être affecté à un état-major pour apprendre à rédiger et à traiter des dossiers d’état-major. C’est là qu’on les envoie, par concours, faire l’école d’état-major.
Dans l’armée sénégalaise, on est toujours formé à un emploi. Tu es toujours formé avant qu’on t’affecte à un emploi. Parce que là tu sauras faire ton travail. Après le commandement de capitaine, l’officier prépare l’examen du diplôme d’aptitude au grade supérieur (DAGOS). Il le prépare pendant deux ans en formation continue dans les régions ou dans l’état-major. Et s’il réussit cet examen, l’officier devient éligible au grade de commandant. Après vous allez avoir le concours de l’école de guerre et après l’Institut de défense nationale ».
Pourquoi le Sénégal a-t-il récemment crée ces écoles d’enseignement militaire supérieur ?
Le général Diop explique que les écoles d’enseignement supérieur ont été créées plus tard, car, avant « on n’avait pas encore la masse critique pour justifier la création d’une école nationale. Quand je suis devenu CEMA (2020-2021), j’ai dit, ma première mission c’est de créer un Institut de défense et de sécurité. J’ai considéré que le Sénégal était arrivé à un niveau de maturité qui justifiait qu’on ait notre propre école ».
Pour le colonel auquel nous avons parlé élabore « est-ce qu’il nous faut tous une école de guerre ? Oui, la question est extrêmement complexe. Ces dernières années, de nombreux pays voisin en ont a créées (y compris le Mali et la Côte d’Ivoire). Manifestement, dans le cadre de la montée en puissance de l’armée sénégalaise, les besoins en officiers diplômés de l’école de guerre, et aussi d’autres écoles, sont beaucoup plus importants, et les offres que nous avions nous permettaient pas de satisfaire ces besoins, d’où la création des écoles supérieures et aussi des écoles de spécialité ».
Quel est le rôle des écoles de sous-officiers et des formations pour les soldats du rang ?
Le général Niang explique que « pour les sous-officiers, on a trois écoles, air, terre et mer. Et dans chacune de ces écoles, le sous-officier opte pour un service pour avoir une qualification. C’est ainsi qu’il y a un diplôme pour être sergent, un diplôme pour être sergent-chef, et un diplôme pour être adjudant ou adjudant-chef. Il faut obtenir ces diplômes pour monter en grade, ainsi que démontrer le bon comportement au combat et dans la garnison. Ensuite, Il y a les écoles pour les petits grades où on forme les soldats et on sélectionne ceux qui pourraient devenir des caporaux. C’est ce diplôme qui leur permettra de devenir caporal-chef. Donc, c’est très net. Quand on est ambitieux, on peut arriver soldat et finir adjudant-chef ou lieutenant à la fin. Tout est école et comportement ». De plus, comme le précise le colonel, « il y a eu quand même, ces dernières années, énormément d’efforts d’institutionaliser dans les cours, les modules qui se font dans les centres de recrutement, les écoles de sous-officiers, les écoles d’officiers pour insister sur ces valeurs démocratiques ».
Quels ont été ou pourraient devenir les obstacles dans la construction de ces normes, valeurs et institutions ?
Le manque d’accès aux formations en nombre suffisant. L’une des difficultés liées à cette dépendance sur les formations à l’étranger, est le fait, comme l’explique le colonel que « vous avez des besoins à satisfaire, mais vous ne pouvez pas les satisfaire en comptant sur des offres de places. Mais si vous avez besoin de former des officiers, que ce soit dans les écoles supérieures ou dans des spécialités très pointues, vous dépendez des offres qui vous sont faites par la France ou d’autres pays étrangers. Mais ces offres sont aléatoires. On ne sait pas combien de places seront offertes cette année. On s’est trouvé dans cette situation avec des officiers qu’on voulait former dans des spécialités mais ce n’était pas possible car cette formation dépendait essentiellement des offres de places de l’étranger ».
Des risques des politiciens qui tentent de politiser les forces de sécurité. Ainsi, selon le colonel, « nos présidents n’ont pas, globalement, cherché à interférer dans ce qui relève du fonctionnement interne de l’armée, que ce soient les promotions, l’avancement, l’installation à la tête de l’armée d’officiers. Mais rien n’est irréversible ». Au Sénégal, jusqu’en 2006, les militaires n’avaient pas le droit de vote. Lorsqu’on a commencé à voter, c’étaient des votes séparés parce que les gens devaient assurer la sécurité des élections, donc on votait une semaine avant ». En effet, comme l’observe feu le général Lamine Cissé, ancien commandant de missions de l’ONU et ancien chef de l’état-major général des armées, « la hiérarchie abordait même cette question avec une certaine appréhension liée au risque de politisation d’un corps ».
En mars 2023, l’état-major sénégalais avait ainsi publié un communiqué appelant « les acteurs politiques de tous bords et la société civile à tenir l’Armée nationale hors du débat politique pour l’intérêt de la Nation. Cette dernière entend garder sa posture républicaine et se consacrer à ses missions régaliennes ».
Leçons à tirer de l’expérience du Sénégal dans l’édification et le maintien du professionnalisme militaire
« Quand vous créer une armée à deux vitesses… dans le but souvent de se préserver, les politiques n’ont pas aidé en faisant cela ».
Une armée unie, pas de garde présidentielle ou d’armée à deux vitesses. « Dans beaucoup de pays de notre voisinage, les politiques n’ont pas beaucoup aidé », explique le colonel. En effet, « quand vous créer une armée à deux vitesses » avec par exemple une garde présidentielle ou une unité de forces spéciales, « dans le but souvent de se préserver, les politiques n’ont pas aidé en faisant cela ».
De la nécessité de renforcer la capacité civile de contrôle et de redevabilité dans les administrations civiles et dans l’armée. « Il y a un aspect qui est très important dans le développement de la culture professionnelle militaire et dans le dialogue qui doit exister entre civils et militaires pour y contribuer : il faut que les civils soient sensibilisés sur les questions militaires. C’est une des faiblesses dans nos pays. L’expertise de défense et de sécurité est essentiellement au sein de l’armée et des services de sécurité, et un peu parmi les civils aux ministères des Affaires étrangères et de la Défense. Les civils ne connaissent pas bien l’armée ou les questions de sécurité. Si vous n’avez pas une expertise civile en matière de défense et de sécurité, vous êtes obligés de ne compter que sur les militaires.
Or, il faut avoir cette capacité civile de contrôle, au niveau de l’exécutif et du côté parlementaire sans laquelle vous vous retrouver avec des services de sécurité assez autonomes. Ce contrôle est fondamental. Les commissions parlementaires de défense et de sécurité ne cernent pas toujours très bien l’ampleur de ces questions, en dehors peut être de voter le budget. Au niveau des parlements, d’avoir ces formations, ça serait une capacité à renforcer. Les interactions entre le parlement et les armées sont limitées. Le CEMA n’a par exemple jamais été auditionné par la commission parlementaire », analyse le colonel. Ce n’est qu’en 2021 que l’Assemblée nationale a, pour la première fois, débattu, en plénière, du vote du budget du ministère des Forces armées.
Développer et vulgariser les stratégies de sécurité nationale et sectorielles, les renouveler à intervalles réguliers, utiliser des processus plus inclusifs dans leur développement. Selon le colonel, « une faiblesse de nos pays, c’est que nous n’avons pas cette culture-là de développer ce genre de stratégies qui sont censés définir le rôle des armées et en délimiter les prérogatives. Le Sénégal s’en est récemment doté. Ce qui manque c’est que ce n’est pas très diffusé au niveau des officiers et pour les personnels civils dans les ministères. Au Sénégal, il y a un travail multidisciplinaire qui a été fait. Mais ces documents ne sont pas encore revus à intervalles réguliers ou régis par la loi. Enfin, l’assemblée ne connait pas suffisamment ses responsabilités en matière de défense et de sécurité. Il n’y a pas nécessairement assez de discussions dans les administrations civiles, la société civile, les médias etc. de telle sorte à ce qu’une partie suffisante de la société en soit consciente ».
Ressources complémentaires
Dan Kuwali, « Améliorer la gouvernance du secteur de la sécurité en Afrique par le contrôle et la redevabilité », Bulletin de la sécurité africaine n. 42, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, septembre 2023.
Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Le rôle des commissions parlementaires de défense et de sécurité dans la construction de secteurs de la sécurité redevables, professionnels et soutenables en Afrique », Éclairage, 3 avril 2023.
Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Renforcer la culture du professionnalisme militaire en Afrique », Éclairage, 21 décembre 2022.
Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Les établissements d’enseignement professionnel militaire en Afrique », Infographie, 11 mars 2022.
Colonel Khar Diouf, « L’enseignement militaire : Un recentrage sur des structures militaires autonomes : Le nouveau pôle dédié à la formation des personnels des Forces armées sénégalaises (FAS) », Armée-Nation n. 59, avril 2021.
Jahara Matisek, « An Effective Senegalese Military Enclave: The Armée-Nation “Rolls On” », African Security, 12:1 (2019), 62-86.
Kwesi Aning et Joseph Siegle, « Évaluation des attitudes de la prochaine génération de professionnels du secteur de la sécurité en Afrique », Rapport d’analyse n. 7, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, août 2019.
Lamine Cissé, « La réforme du secteur de la sécurité au Sénégal démocratique », dans Bryden, A et Chappuis, F (dir. publ.) Gouvernance du secteur de la Sécurité : Leçons des expériences ouest-africaines, pp. 125–146. Londres : Ubiquity Press, 2015.
Émile Ouédraogo, « Renforcer le professionnalisme militaire en Afrique », Rapport d’analyse n. 6, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, juillet 2014.