Faut-il parler des FDLR à chaque fois qu’on évoque le M23 ?

Dans sa conférence de presse à Kigali du 11 août, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a déclaré ceci à propos de la violence dans l’est du Congo : « Il y a des rapports très crédibles de soutien aux groupes armés par toutes les parties, y compris les FDLR par les forces congolaises et le M23 par les Rwandais. Notre position est claire, que le soutien doit cesser pour tout groupe armé ». Blinken faisait-il une équivalence entre le M23 et les FDLR, suggérant que le Congo et le Rwanda sont également responsables de la récente escalade ?

C’est une position familière. En 2009, la sous-secrétaire d’État américaine pour l’Afrique, Jendayi Frazer, a fait valoir que la « grande entente » pour résoudre la crise – alors centrée autour du précurseur du M23, le CNDP – devrait être de démanteler le CNDP et de lancer une offensive contre les FDLR. En 2013, l’envoyé spécial américain Russ Feingold a adopté une approche similaire, mais avec une pression publique beaucoup plus forte sur Kigali.

Il est facile de voir l’attrait de cette approche. Admettre que Kigali a des griefs légitimes en matière de sécurité dans l’est du Congo permettrait au gouvernement rwandais de sauver la face et se retirer la tête haute du conflit. Il est aussi vrai que le gouvernement congolais a sa part de responsabilité dans la violence. Après tout, il serait trompeur d’attribuer toute la responsabilité du conflit dans cette région au Rwanda. Il existe environ 120 groupes armés dont un seul, le M23, est clairement soutenu par le gouvernement rwandais. Et selon les Nations unies, il y a 4,8 millions de personnes déplacées, dont au plus 300 000, soit environ 6 %, ont fui leur foyer en raison de l’escalade du M23. Les Forces démocratiques alliées (ADF) et Codeco, actifs en Ituri et dans l’extrême nord du Nord-Kivu, sont bien plus meurtriers que le M23.

Cependant, cette équivalence entre les FDLR et le M23 – un terme explicitement rejeté mais implicitement proposé par Blinken – est factuellement fallacieuse et potentiellement dangereuse. En 2009, elle a eu des conséquences dévastatrices : l’impulsion de la communauté internationale pour s’attaquer au problème des FDLR a contribué aux opérations conjointes Umoja Wetu entre les armées congolaise et rwandaise, suivies des opérations Amani Leo menées par des officiers ex-CNDP intégrés à l’armée nationale. Cela a conduit à des batailles brutales dans lesquelles les civils ont été pris pour cible par toutes les parties ; environ 900 000 personnes ont été déplacées au cours des neuf premiers mois. Les répliques à ces opérations ont également donné naissance à des groupes armés congolais qui persistent jusqu’à aujourd’hui.

En 2013, les États-Unis faisaient pression pour un accord similaire. Lors de conversations que j’ai eu avec des diplomates américains, ils m’avaient dit que cela était nécessaire comme carotte pour accompagner le bâton des sanctions financières qui étaient brandies contre le Rwanda. Cette fois-ci, malgré la pression internationale d’attaquer les FDLR, le gouvernement congolais a décidé de lancer des opérations contre les ADF – également suivies de contre-attaques dévastatrices et de massacres. Et maintenant, de nombreux médias suggèrent que le soutien rwandais est motivé par la menace des FDLR. Par exemple, on peut lire dans un article d’Al Jazeera sur le rapport du Groupe d’experts de l’ONU qui documente le soutien rwandais au M23 que « quelque 300 soldats rwandais ont mené des opérations contre des groupes rebelles dans l’est de la RDC, tels que les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), un groupe rebelle hutu rwandais que Kigali considère comme une menace ». De nombreux autres articles dans les médias font des déclarations similaires, désireux de s’assurer que les deux parties au conflit soient représentées.

Ceci est trompeur pour plusieurs raisons. Premièrement, cela suggère que les FDLR constituent une menace réelle pour le Rwanda. Cela dépend de la définition de « menace ». En 2012, le Groupe d’experts des Nations unies estimait que les FDLR étaient composées de 1 500 à 2 000 hommes. En 2020, le groupe a été réduit à 500-1 000. Les opérations ciblées des armées rwandaise et congolaise depuis lors ont encore diminué sa force. Aujourd’hui, les FDLR constituent une menace très sérieuse pour les civils congolais mais ne sont capables de lancer que de rares raids au Rwanda. La dernière attaque à grande échelle au Rwanda, mettant en scène des centaines de rebelles et tuant plusieurs civils, remonte à 2001. Il est bien sûr inacceptable que même des petites attaques aient lieu, mais la façon dont le Rwanda réagit est disproportionnée et contre-productive.

Deuxièmement, l’intervention rwandaise dans l’est du Congo est souvent une prophétie auto-réalisatrice. L’armée congolaise entretient souvent des relations conflictuelles avec les FDLR – ils les ont combattues à de nombreuses reprises et encore plus récemment. C’est presque toujours la menace d’une insurrection soutenue par le Rwanda qui conduit l’armée congolaise à s’allier et à armer avec les rebelles rwandais, comme elle l’a probablement refait ces derniers mois. Cela ne justifie pas cette alliance; mais il est malhonnête de la part du Rwanda – et des diplomates – de suggérer que la montée du M23 était une réponse à une coalition FARDC-FDLR. Le contraire semble beaucoup plus susceptible d’être vrai –– d’après le rapport du Groupe des experts, les opérations récentes de l’armée rwandaise sur le sol congolais avaient démarré bien avant cette dernière phase de coopération entre FARDC et les FDLR.

Un argument similaire peut être avancé concernant les dénonciations de discours de haine. Le M23 et le gouvernement rwandais ont dénoncé la discrimination à laquelle est confrontée la communauté congolaise tutsi ; des partisans du gouvernement rwandais laissent entendre que l’insurrection du M23 est justifiée en raison de cette montée des discours de haine. Ils ont raison de dire qu’il y a eu une augmentation de ce type de discours de haine, y compris de la part des politiciens congolais, ainsi que d’affreux incidents de discrimination contre les Tutsi au Congo. Mais ces ignobles incidents – dont certains ont été dénoncés par le gouvernement congolais – sont venus en réponse au M23, et non l’inverse. Le Congo doit tenir compte de cette vilaine type de politique identitaire, mais appuyer le M23 –– une insurrection brutale et extrêmement impopulaire –– ne fera qu’augmenter les tensions.

Il est vrai que les FDLR – et, dans une moindre mesure, les groupes dissidents CNRD et RUD-Urunana – restent un groupe armé important et une menace pour la population congolaise. Cependant, il existe d’autres moyens de traiter ces groupes que les opérations militaires à grande échelle. Comme d’autres l’ont soutenu, les options politiques pourraient inclure des pays tiers d’exil pour les officiers des FDLR non accusés de crimes de guerre ; des sanctions pour les officiers militaires, les hommes d’affaires et les fonctionnaires qui sont de connivence avec les rebelles ; et des efforts renouvelés pour inciter aux défections. Même parmi les options militaires, il existe des moyens de minimiser les abus. L’armée rwandaise elle-même l’a prouvé – les assassinats ciblés et les attaques qu’elle a perpétrés contre les FDLR ces dernières années ont réduit son leadership et accru la fragmentation.

En fin de compte, il est clair que le Congo ne pourra pas compter sur la bonne foi de ses voisins. Les solutions à long terme à la violence – y compris celle alimentée par le gouvernement rwandais – ne viendront qu’avec un État congolais plus fort et plus responsable. En attendant, ce genre de fausses équivalences ne favorise pas un dialogue constructif.