Assuré de sa réélection, mais anxieux à l’idée que les Égyptiens boudent les urnes, le raïs a usé et abusé de la corde gazaouie pour tenter de les remobiliser.
« Celui qui soutient le droit des Palestiniens, celui qui est en colère contre l’intransigeance israélienne, doit exprimer cette colère et cette solidarité aux élections en allant voter pour Abdel Fattah al-Sissi. » Ainsi s’exprimait le présentateur du talk show télévisé « Belwaraqa wel qalam », Nashaet al-Dihey, sur la chaîne privée proche du pouvoir Ten, lors de l’une des dernières émissions ayant précédé la présidentielle qui démarre ce dimanche 10 décembre.
Il faut dire que toute la campagne électorale a été marquée, dans le camp du président sortant, par une volonté d’afficher un soutien sans faille aux Palestiniens. Les médias favorables au pouvoir n’ont cessé de le marteler : élire Sissi pour un troisième mandat, c’est la garantie de protéger le territoire égyptien contre les plans israéliens qui prévoient un déplacement forcés des réfugiés de Gaza vers le Sinaï. Et c’est aussi, bien sûr, servir et protéger la sacro-sainte cause palestinienne.
Le président lui-même n’a pas ménagé sa peine : le 23 novembre, au stade du Caire, il était la vedette d’un grand meeting réunissant des milliers de ses partisans. Arrivé sur scène en portant les drapeaux égyptien et palestinien, Abdel Fattah Al-Sissi a ensuite prononcé, face au public et aux caméras, un discours dont le thème était : « Vive l’Égypte et le soutien à la Palestine ».
Il a également donné le signal du départ à un convoi d’aide humanitaire contenant 2 150 tonnes de vivres et de matériel destinés aux Palestiniens que l’on avait fait venir spécialement au stade, et qui a pris la route du Sinaï, puis de la frontière avec les territoires palestiniens, insistant sur le fait qu’il s’agissait du « plus grand convoi d’aide envoyé à Gaza depuis le début de la guerre ».
Une bouée de sauvetage pour Sissi
« La guerre à Gaza a été une bouée de sauvetage pour le président Abdel Fattah Al-Sissi dès le début. Elle a détourné les regards des électeurs loin des mesures répressives exercées contre le principal opposant, Ahmed al-Tantawi, qui ont fini par l’écarter de la course électorale », explique à Jeune Afrique Said Sadek, professeur de politique sociale à l’université égypto-japonaise du Caire. « Le régime a réussi, loin des yeux de la communauté internationale qui est occupée par la guerre à Gaza, à organiser une élection facile, dont le résultat est déjà déterminé », ajoute le professeur.
Le régime égyptien a donc beaucoup utilisé le thème de la guerre entre Israël et le Hamas lors de la campagne, en se vantant notamment d’avoir, à travers le Croissant-Rouge, apporté plus d’aide humanitaire à Gaza (20 000 tonnes au 25 novembre) que tous les autres pays réunis (5 000 tonnes). « Ces chiffres sont encore un moyen pour le régime de reconstruire sa popularité, en forte baisse, et de mobiliser les Égyptiens pour la présidentielle”, confirme Said Sadek.
« Pour le pouvoir du Caire, la guerre a aussi eu le grand avantage de faire évoluer la position des pays occidentaux. Ceux qui, avant le 7 octobre, critiquaient durement la véritable farce électorale mise en place par l’entourage du président Al-Sissi », souligne aussi Hisham Ismaïl, membre du bureau politique du parti Al-Tahalouf al Shaabi al-Ishtraki (Alliance populaire socialiste, opposition). « La guerre à Gaza, poursuit-il, a redonné de l’importance à Al-Sissi aux yeux des pays occidentaux, qui veulent avant tout un président égyptien avec qui il est possible de coordonner leurs actions vis-à-vis de la situation à Gaza. Or à ce stade, ils jugent que sa position sur le sujet est claire. »
« Les chancelleries occidentales continuent donc à traiter Sissi comme le président en place, et qui va le rester pour longtemps, et non pas comme un sortant essayant de se maintenir en fonction. Elles travaillent déjà avec lui sur la situation à Gaza après le conflit, le FMI échange avec lui et son gouvernement sur les politiques monétaires et au sujet de la dette. Tout cela démontre que la façon dont Al-Sissi a organisé une élection à sa mesure est acceptée par tout le monde”, ajoute Hisham Ismaïl.
La question de la participation
Le 5 octobre soit deux jours avant le lancement de l’offensive du Hamas, le Parlement européen avait pourtant dénoncé les restrictions exercées par le gouvernement égyptien contre Ahmed al-Tantawi, ainsi que l’arrestation du président de la coalition Le Courant libre, Hisham Kassem. Mais aujourd’hui, si Ahmed al-Tantawi a été écarté de la course électorale et attend de passer en jugement, plus aucun pays européen ne critique le processus électoral.
La seule inconnue, dans la mesure où le résultat de l’élection est déjà connu avec certitude, réside finalement dans le risque d’un boycott du scrutin par des électeurs devenus indifférents. « Le grand souci pour le régime, c’est le taux de participation, confirme Said Sadek. Une bonne participation serait le signe que les électeurs accordent une légitimité à Sissi, à son bilan économique, aux décisions qu’il pourrait prendre dans un avenir proche, en particulier la dévaluation de la livre, demandée par le FMI et qui devrait être décidée rapidement après le vote. »
Le pouvoir fait donc beaucoup d’efforts pour mobiliser les électeurs. Des témoignages font état de pression exercées sur les fonctionnaires travaillant dans les ministères ou dans les grandes administrations, mais aussi sur les employés des entreprises privées, jusqu’aux petits commerces ou aux simples cafés, afin qu’ils se rendent aux urnes les 10, 11 et 12 décembre.