Dans les provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, l’armée affronte les séparatistes depuis 2017 : plus de 6 000 morts, plus de 700 000 personnes déplacées et des dizaines de femmes violentées.
Jenny* interrompt son récit et se tord de douleur, la main droite posée sur le ventre, l’autre enfoncée dans un oreiller. Plonger dans ses souvenirs est une torture. Comme des dizaines de femmes originaires de l’une des deux régions anglophones du Cameroun, cette agricultrice a été violée. Par des militaires, précise-t-elle, déployés dans les environs de sa ville natale depuis qu’a éclaté en 2017 la guerre civile opposant les séparatistes et l’armée.
C’était en septembre 2021, dans un village situé en périphérie de Bamenda, la capitale de la région du Nord-Ouest. Alors âgée de 46 ans et mère de six enfants, Jenny travaillait dans sa plantation de haricots, ignames et maïs, avec l’une de ses filles. Concentrées sur leur tâche, les deux femmes n’ont pas fait attention aux soldats qui s’approchaient. « D’habitude, quand on les entend ou qu’on voit leurs véhicules à distance, on court se réfugier dans la brousse. On a été surprises », raconte Jenny en pleurs.
« C’est commun à Bamenda depuis que la guerre a commencé », se désole-t-elle. Depuis, elle s’est réfugiée à Douala, la capitale économique du pays, où elle partage une chambre avec ses garçons. Sa fille, également violée, est à Yaoundé, la capitale administrative, chez un oncle. Sa mère, à Ebolowa, dans le Sud. Séparée de sa fille « par manque d’argent, mais aussi pour ne plus en parler et essayer d’oublier, explique Jenny. A l’intérieur, je suis détruite. Je vis comme une morte vivante. »