Manque d’enseignants dans les écoles : un gros caillou dans le soulier du ministre Hawing

Manque d’enseignants dans les écoles : un gros caillou dans le soulier du ministre Hawing

Le déficit d’enseignants en République de Guinée est devenu un problème permanent. Malgré l’assouplissement de la politique de recrutement de l’État, qui inclut notamment les contractuels, et les recrutements exceptionnels, le gap continue de s’agrandir avec la construction de nouveaux établissements. Il n’est plus rare de trouver des écoles avec des déficits d’enseignants, notamment dans les matières les plus importantes. Là où le nombre d’apprenants grimpe, celui d’enseignants prend l’autre sens de l’ascenseur. Que faire ? Les acteurs semblent divisés sur la question.

A quelques jours de l’ouverture des classes, le système éducatif guinéen souffre d’un manque d’enseignants, le rapport mentionne que le nombre d’enseignants est en baisse, pendant que celui des élèves grimpe. Cela fait environ une décennie que les autorités guinéennes sont à la tâche pour recruter toujours plus de professeurs et de maîtres. Hélas ! Il en manque encore pour pourvoir nos collèges et lycées sur toute l’étendue du territoire national. Lorsque les bénévoles ne parviennent pas à combler le vide, ce sont des années scolaires amputées pour des milliers d’élèves. D’où souvent la manifestation de colère des élèves, dans les villes de l’intérieur du pays.

Double équation

Pour comprendre ces chiffres un peu contradictoires, nous nous sommes adressés à l’Institut Supérieur de Science de l’Enseignement de Guinée (ISSEG) de Lambanyi, dans la commune de Ratoma. Au niveau de l’ISSEG, l’on estime que le quota d’enseignants formés par an dépend des postes budgétaires disponibles. Ces postes oscillent entre 400 et 1 000. « L’orientation à l’SSEG sert à recruter un certain nombre de personnes que l’État est en mesure de payer. Ce sont ces personnes que l’ISSEG forme », explique un enseignant de cet institut qui a accepté de se prêter à nos questions sous l’anonymat.

« Depuis l’ancienne direction de ce prestigieux établissement, l’on n’a pas cessé de réclamer plus de poches budgétaires. En vain. Il faut dire que les autorités cherchent au contraire à réduire la masse salariale des fonctionnaires. Ainsi, le nombre d’enseignants formés à l’ISSEG pose problème. La plupart des professeurs issus de cet établissement ne prennent pas tous la craie. Vous avez des enseignants qui, après leur formation, sont affectés dans des bureaux. Pour y faire quoi ? On l’ignore. D’autres sont formatés pour passer des concours. Ceux-là ne durent pas dans l’enseignement », a-t-il expliqué.

En effet, selon l’ISSEG, pour la rentrée 2022-2023, près de 300 enseignants ont postulé pour le métier d’inspecteur. Environ 150 seront recrutés. Une autre perte à venir. Toutefois, le plus gros des problèmes, vient des affectations. « Il y a une grande concentration d’enseignants dans la capitale. Les gens jouent de leurs relations pour être affectés à Conakry. La conséquence, c’est qu’il n’y a pas grand monde à affecter à l’intérieur du pays en fin de compte. C’est un problème à prendre en compte quand on évoque la pénurie d’enseignants en République de Guinée », ajoute notre interlocuteur. Il y a une discipline où le problème se pose avec beaucoup plus d’acuité : les mathématiques. « Chaque année, on nous demande de former un grand nombre enseignants de mathématiques à l’ISSEG. Mais nous n’arrivons pas à atteindre le quota. Les étudiants ne viennent pas dans cette discipline parce qu’elle est difficile », admet cet enseignant de l’ISSEG.

Ratio élèves-enseignants

Pour Mohamed Camara, membre du Syndicat libre des enseignants de Guinée (SLEG), il appartient aux autorités de résoudre le problème.

« Il faut simplement bien faire les choses. Le premier constat que nous avons fait, c’est que le ratio élèves-enseignants est plus élevé dans la capitale qu’à l’intérieur. Il y a plus d’enseignants dans les établissements à Conakry parce que les affectations sont mal faites », renchérit-il.

Le syndicaliste pointe du doigt la Direction des ressources humaines du ministère de l’Éducation nationale et de l’alphabétisation. « C’est la Fonction publique qui recrute les fonctionnaires. Elle les met ensuite à la disposition des Ressources humaines de chaque ministère concerné. À eux de les répartir », explique un proche collaborateur du ministre de la Fonction publique, Julien Yombono.

Le ministre Guillaume Hawing qui a, lui-même, abordé le sujet pendant ses sorties lors de la rentrée scolaire 2021-2022, a déjà mis en garde ses propres services. « (…) On entend souvent dire qu’il faut payer avant de se faire affecter au mépris des règles administratives, que cela soit vrai ou pas, je souhaite qu’il y ait des améliorations », prévenait-il. Sa mise en garde a-t-elle été prise au sérieux ?

« Nous l’espérons, parce que le ministre est plein de détermination. Nous savons tous qu’il ne peut pas tout chambouler d’un seul coup, parce que les habitudes ont la peau dure. Mais nous ferons le bilan le moment venu », note l’enseignant-syndicaliste.

Cependant à en croire nos interlocuteurs, seuls des programmes tels que le recrutement exceptionnel pourront combler le déficit d’enseignants. De leur côté, les bailleurs de fonds essayent d’épauler le gouvernement. « C’est déjà bon. Mais la véritable réponse à la question de la pénurie d’enseignants reste la volonté politique », conclut-il.

Le refus de certains enseignants d’aller dans les zones dites ‘’difficiles’’

Les localités de l’intérieur du pays sont, chaque année, sur la sellette quand on évoque le mouvement national des enseignants. Elles enregistrent, en effet, le plus faible taux d’enseignants. Et le phénomène continue de hanter le sommeil des parents d’élèves de ces zones. Ces parents d’élèves, qui constatent le faible taux de réussite par rapport à la moyenne nationale.

A la veille de chaque rentrée des classes, la question revient sur la table. La preuve qu’elle reste lancinante et préoccupante. On parle-là du phénomène de refus d’enseignants de certaines zones reculées. Un problème dont la première conséquence est le creusement du déficit d’enseignants dans les zones concernées. Le phénomène est beaucoup plus criant dans les zones défavorisées réputées difficiles pour certains. Et ce n’est pas sans conséquences sur la qualité des enseignements, selon certains acteurs.

« Le refus des enseignants d’aller servir dans les villages impacte négativement la qualité des enseignements », regrette Boubacar Bah, Principal d’un collège de l’intérieur du pays. Enseignant et parent d’élèves, M. Boubacar constate l’ampleur du phénomène qui, dit-il, a des répercussions directes sur le quantum horaire et sur la qualité des enseignements. « À cause du refus des enseignants, les chefs d’établissement sont obligés de surcharger des enseignants d’une même discipline. Par exemple, un enseignant qui ne devait avoir que 24 heures par semaine, peut se retrouver avec 29 heures voire 30 heures de cours par semaine », déplore le vieil enseignant. « La surcharge horaire chez un enseignant », note-t-il, « peut influer négativement sur la qualité de la préparation des cours. Parce qu’un enseignant n’est pas un robot ; il doit avoir du temps de repos ».

À l’intérieur du pays, le refus des enseignants d’y aller ou le départ massif d’enseignants lors du mouvement national constitue, selon les acteurs de la communauté éducative locale, un goulot d’étranglement pour l’école. « Chaque année, des dizaines d’enseignants quittent les localités pour aller servir ailleurs », a indiqué un préfet de la région de Kindia. L’autorité administrative a déploré cette situation. « Cette année, on a plus d’une quarantaine de départs d’enseignants et malheureusement, il n’y a que quelque 14 nouvelles arrivées. Il va donc falloir que les ministères concernés puissent faire usage d’une certaine gymnastique pour pouvoir combler le gap engendré en attendant l’arrivée des nouveaux enseignants en formation et qui vont sortir incessamment », précise ce Préfet avant de tirer la sonnette d’alarme : « si on n’a pas la dotation nécessaire en personnel d’ici le 3 octobre prochain, il y aura quelques écoles qui risquent d’avoir des difficultés. »

Quoiqu’il arrive, souligne ce haut administrateur, cette pénurie d’enseignants est un phénomène auquel les villes de l’intérieur sont habituellement confrontées chaque année à l’ouverture des classes. « Nous sommes habitués. Car, nous sommes conscients que nous sommes dans une zone de départ massif. C’est pourquoi nous trouvons des stratégies pour enrôler au niveau local certaines personnes capables de tenir une classe en attendant la dotation en personnel ».

Une situation que dénonce Pathé Baldé, parent d’élèves : « chaque année, nos enfants se plaignent du manque d’enseignants dans la zone. C’est toujours difficile pour un parent de savoir que son enfant n’étudie pas correctement à cause du manque d’enseignants. »

Le désir de se rapprocher des siens, l’autre argument

« Il faut savoir que c’est d’abord naturel de vouloir se rapprocher de chez soi, mais, autre chose à ne pas négliger, c’est que la plupart sont titulaires de diplômes universitaires et veulent donc se rapprocher des centres universitaires pour continuer leurs études », souligne Bakary Cissoko, enseignant. Analysant l’impact de cette réalité sur la qualité des enseignements, il reconnaît que le manque d’expérience et le temps d’adaptation dans la zone sont des aspects à ne pas négliger. « Si les nouveaux qui sont inexpérimentés ne reçoivent pas un accompagnement pédagogique de qualité, cela impacte négativement les résultats », explique Bakary Cissoko. L’enseignant demande à l’Etat de renforcer les recrutements et de tenir compte de la provenance des uns et des autres dans les affectations. « Les gens doivent accepter de revenir dans leur terroir pour servir l’école et leurs cadets », plaide-t-il.

Evoquant le phénomène, Justin Théa, justifie cela par les difficiles conditions de travail des enseignants à l’intérieur du pays. « Outre le problème de l’adaptation, il y a des zones où les conditions sont très difficiles pour travailler. Beaucoup de collègues préparent leurs fiches à l’aide de lampes tempête ou de torches. Ces conditions ne permettent pas aux enseignants de rester longtemps sur place et dès qu’ils ont la possibilité de compétir dans le cadre du mouvement national, ils n’hésitent pas », explique l’enseignant. « C’est pourquoi chaque année, il y a des centaines de nos collègues qui quittent la zone », a déploré Justin Théa.

Miser sur une discrimination positive pour fixer les enseignants

De l’avis de certains spécialistes de l’éducation, le maintien sur une longue durée des enseignants dans les zones réputées difficiles reste un casse-tête dans le système éducatif. Pour relever le défi, beaucoup recommandent, entre autres stratégies, l’application d’une politique basée sur une discrimination positive en termes de motivation. Aussi, dit-il, une amélioration de l’environnement scolaire et des conditions de travail peut aider à inverser la tendance actuelle notée dans le cadre du mouvement national des enseignants. Ces hommes pétris d’expérience proposent la création d’une indemnité spécifique et une meilleure implication de la part des collectivités territoriales. Un avis que les syndicalistes partagent avec certains membres de la communauté éducative. « Pour trouver une solution à ce phénomène, je pense que l’Etat doit accepter de mettre en place des conditions idoines dans les zones difficiles afin d’attirer et de maintenir les enseignants dans ces zones-là », renchérit M Bah.

« Il faut que l’Etat accompagne les enseignants qui acceptent de servir en milieu rural. Il doit tout faire aussi pour éliminer les abris provisoires dans le système. Car, les enseignants qui sont dans ces classes travaillent dans des conditions difficiles. Il faut surtout donner aux enseignants un statut social, à savoir le respect, la considération et la rémunération », conclut l’enseignant