Ancien ministre d’Ali Bongo, l’économiste avait rejoint la plate-forme de l’opposition à la dernière élection présidentielle, avant de s’en désolidariser.
Les paris allaient bon train depuis que l’on savait le nouvel homme fort du Gabon, Brice Oligui Nguema, en quête d’un premier ministre civil après son coup de force militaire. Le 30 août, le chef de la garde républicaine – chargée jusqu’alors de la protection du président – avait démis Ali Bongo Ondimba, suspendu ou dissous les principales institutions de la République. Depuis, dans le tout Libreville, un nom revenait avec insistance au sein des organisations de la société civile, des partis politiques d’opposition et des rédactions : celui de Raymond Ndong Sima.
Jeudi 7 septembre, l’économiste à la courte chevelure bouclée blanche, en costume sombre, a reçu des mains du général Nguema – paré, quant à lui, d’une tenue de camouflage et d’un béret vert vissé sur la tête – sa feuille de route devant conduire le Gabon vers un régime démocratique renouvelé. Telle est, sur le papier, l’ambition, non datée, du Comité de transition pour la restauration des institutions (CTRI) dirigé par le militaire.
Le nouveau chef du gouvernement n’est pas inconnu des Gabonais. Ministre de l’agriculture en 2009, ce diplômé en économétrie de l’université Paris-Dauphine a déjà été premier ministre, du 27 février 2012 au 24 janvier 2014. C’était durant la présidence d’Ali Bongo Ondimba (2009-2023), successeur de son père Omar (1967-2008).
Impossible alors d’échapper à la famille régnante. Raymond Ndong Sima, ceinture noire de karaté, s’est néanmoins distingué par son caractère bien trempé, « voire sanguin », glisse un politique gabonais. Il fut l’un des très rares hauts responsables à s’être publiquement opposé au directeur de cabinet d’Ali Bongo, Maixent Accrombessi, tout puissant à l’époque. Ce dernier finit par l’emporter, Raymond Ndong Sima dut quitter son poste. « Mais il a montré et dit qu’il n’était pas du genre à avaler toutes les couleuvres », rapporte un opposant du moment qui le connaît bien.
Courageux et non dénué d’ambition
Confirmant ce tempérament en juillet 2023, un mois avant la dernière présidentielle, Raymond Ndong Sima s’est de nouveau illustré. Il en est, presque, venu aux mains, devant le Sénat, avec un autre poids lourd du système Bongo, le directeur de cabinet présidentiel Cyriaque Mvourandjiani – arrêté depuis le coup de force pour diverses malversations financières présumées –, à propos d’une modification controversée de la loi électorale. « La vidéo de l’altercation a fait le tour des réseaux sociaux. Aux yeux de la population, il s’est alors taillé la réputation de quelqu’un de courageux, capable de s’opposer au clan Bongo, que l’on ne savait pas, alors, aussi faible et vacillant », ajoute notre source.
Courageux, donc, et non dénué d’ambition. Le nouveau premier ministre s’était porté candidat à la présidence en 2016. Il obtint un résultat insignifiant. Début 2023, il a toutefois annoncé concourir à nouveau pour le scrutin du 26 août, avant de se ranger derrière Albert Ondo Ossa, le champion désigné d’une opposition coalisée au sein d’Alternance 2023. Mercredi, il a quitté cette coalition cimentée le temps d’un scrutin par l’opposition à Ali Bongo. Il a justifié son départ en raison « d’initiatives [d’Albert Ondo Ossa] susceptibles de conduire à une situation imprévisible ».
Trois émissaires de l’ancien candidat venaient de se faire arrêter à la frontière avec la Guinée équatoriale porteurs d’une lettre à en-tête d’A23, signée par Albert Ondo Ossa. Elle demandait l’aide de ce pays, l’une des plus anciennes dictatures au monde dirigée par Teodoro Obiang Nguema depuis 1979, afin « de restaurer l’ordre constitutionnel au Gabon ».
« Enthousiasme vigilant »
Raymond Ndong Sima cocherait, lui, les bonnes cases dessinées par les nouveaux hommes forts du Gabon. Son programme de campagne présidentielle 2023 promettait de « remettre à plat la Constitution », de réformer les institutions et de diversifier l’économie de cet Etat pétrolier. Le CTRI ne promet pas autre chose.
La société civile approuve aussi cette nomination. « Il est patriote, il dispose d’une expérience technocratique depuis son passage à la tête du gouvernement, il connaît le secteur privé et il est bien vu par la société civile. C’est un très bon choix », ajoute Justine Judith Lekogo, membre de la plate-forme citoyenne Copil pour la défense de l’Etat de droit. « Mais il devra savoir s’entourer pour réussir la transition », ajoute-t-elle.
L’analyse de la composition de son gouvernement, à venir dans les prochains jours, permettra d’évaluer sa marge de manœuvre par apport aux militaires qui, jusqu’à preuve du contraire, tiennent les rênes. « Depuis le 30 août, tout semble possible, c’était inimaginable, le CTRI dispose d’un état de grâce colossal. Le général a tous les outils en main, mais il faut aussi attendre de savoir combien de temps il fixera à cette transition », précise Jean-Rémy Yama. Ce leader syndical, libéré mardi par décision du CTRI après dix-huit mois d’incarcération pour raisons politiques, selon des organisations de défense des droits humains par des raisons politiques, résume l’état d’esprit général : « Enthousiasme vigilant. »