Depuis dix ans, la crise du Sahel ne cesse de s’enraciner davantage et de s’étendre au-delà de la région. Devenue structurelle, elle est loin d’avoir atteint son pic, en particulier au Mali, son épicentre. Ses dégâts humains, matériels et politiques s’aggravent par la déstructuration continue des sociétés, des économies et des administrations pendant que les réseaux sociaux, ‘’complotistes’’ ou non, en font une aubaine pour des jeunesses rêvant de grandes aventures.
Par ses retombées désormais plus diplomatiques et fatalement plus médiatisées, la crise s’affiche loin du Sahel (au Maghreb et en Russie) nourrissant ainsi d’autres crises et compétitions interétatiques. Comme celle désormais incontrôlable de la Lybie, en partie liée à son origine, mais aussi celles toujours meurtrières du pourtour du Lac Tchad.
Crises et différences identitaires.
Pendant de nombreuses années, le Sahel fut marginalisé, laissé à l’abandon loin des capitales. A la périphérie de tout, il est alors livré aux divers trafics de cigarettes, drogue, migrants et d’or (pourtant monopole des Banques Centrales). Depuis la crise malienne de 2012 et les priorités sécuritaires, désormais diplomatiques aussi, la région est devenue un point central de l’actualité internationale. Plusieurs enjeux, qui ne sont pas sans rappeler ceux de la guerre froide, s’y manifestent depuis quelques mois. A la lutte antiterroriste, il est difficile de ne pas associer un mouvement appuyé par un état ou un groupe de pays qui cherchent plus d’espaces politiques, économiques ou autres : Egypte, Emirats Arabes Unis, Turquie et quelques pays occidentaux en Lybie et puis France, Russie et d’autres au… Mali !
Fort pertinemment, le 12 octobre dernier, un Rapport du Conseil de Sécurité des Nations Unies traitait des causes les plus méconnues ou, pour le moins très sous-estimée, des conflits, y compris ceux du Sahel. Ces causes sont liées à la réalité, ou à la perception, des différences identitaires –ethniques, raciale, religieuses, socio-économiques, nationales. Les identités sont ‘’manipulées et mobilisées en instruments politiques en vue du contrôle des ressources économiques et du pouvoir politique. De plus, la marginalisation et l’exclusion, réelles ou supposées de groupes sociaux – du pouvoir politique et des activités économiques – ont été des sources de violence et à l’origine de la formation de groupes séparatistes. La diversité peut alors être plus et mieux utilisée pour gérer les crises politico économiques et des situations telles celles provoquées par Covid 19’’.
Précisément, depuis cette crise du Covid 19, coïncidence ou, pour eux une opportunité inattendue, les terroristes ont changé de stratégie grâce à une communication et à un armement plus modernes. De surcroit, le ralentissement économique et un début de lassitude générale des populations et des gouvernements, également liés à la pandémie, ont rebattu les cartes en leur faveur.
Les contrôles politiques autoritaires, obtenus de force sous les régimes des partis uniques des années 1960/90, sont désormais moins opérationnels. Une large partie des élites dirigeantes ne veut plus l’accepter car la violence peut s’en nourrir à leur détriment. Il revient par conséquence aux gouvernements du Sahel de développer des mécanismes pour gérer ces situations nouvelles et prévenir les graves crises ou la poursuite de celles en cours. Leurs divers alliés bi ou multilatéraux, peuvent y aider. Dans ce contexte, les réseaux sociaux deviennent de forts relais et des propagateurs. Avec un rôle qui peut être négatif quand ces réseaux exacerbent la polarisation des sociétés, la désinformation et l’extrémisme.
La planification au service des terroristes.
L’une des stratégies les plus redoutables des extrémistes, mais souvent méconnue ou sous-estimée, consiste pour eux, tout en restant actifs sur un territoire où ils opèrent déjà, à se préparer pour un mouvement vers des territoires frontaliers non encore affectés. Plus précisément, leur présence armée dans le Sahel, via l’Afrique du nord, est inséparable d’un projet de mouvement vers les pays du golfe de guinée. Leur autre stratégie est, contrairement à celles de la communauté internationale, de jouer politiquement, moins sur la pauvreté des populations que sur les injustices et abus, bien plus visibles, imputés aux gouvernements. Leur dénonciation de la corruption récurrente des élites, revigore et exalte les citoyens ordinaires.
Comme partout où il sévit dans le monde, le terrorisme au Sahel se transforme tout en recrutant des combattants voire des notables. Il devient clandestin pour opérer avec des armes et des bombes et tout autre instrument de violence. Dans ce contexte, il profite des faiblesses de la gouvernance souvent inopérante et loin des réalités locales.
Le contre-terrorisme, y compris avec l’appui d’une action militaire, ne suffit pas à convaincre des populations quand les groupes et mouvements terroristes disposent de relais sociaux et de capacités de conviction. Dans ce contexte la crise malienne avait sans doute des racines plus nationales et indigènes, qu’internationales. De vieux conflits, y compris communautaires mais aussi avec des occupations des terres et des rapports tendus entre éleveurs et sédentaires, souvent liés à l’eau, en sont la trame. Pour les groupes radicaux, l’internationalisation d’une crise assure d’abord le prestige au niveau national. Elle favorise aussi la mobilisation, volontaire ou plus souvent forcée, des ressources quand bien même elle comporte toujours le risque d’une intervention militaire, régionale et internationale.
Un danger additionnel au Sahel, vérifié à travers le monde, est la confirmation de la compétition entre d’acteurs extérieurs. Sans la coopération entre ces acteurs, la crise s’aggrave chaque jour davantage pour les pays affectés mais aussi pour les intérêts nationaux d’états étrangers. Dans ce contexte et pour un règlement durable, il est inévitable de chercher à établir une cohérence entre les moyens nationaux, régionaux et internationaux et le poids des menaces terroristes.
Celles-ci sont multiples, changeantes et pire, transfrontalières c’est-à-dire déterritorialisées. C’est dans ce contexte que la présence militaire russe à travers le Groupe Wagner, effective ou à venir, doit être gérée avec discernement sinon avec circonspection. Une plus grande internationalisation du conflit au Sahel et de surcroit fonde sur la compétition entre états ne peut qu’être désastreuse et en premier lieu pour les pays de la région. La Syrie, le Yémen après et avant les crises de l’Afghanistan en sont de sanguinaires exemples.
In fine, dans ce contexte, la présente tenue à Paris d’une nouvelle conférence internationale, de plus, encore consacrée à la Lybie en guerre civile depuis 2011, rappelle l’extrême fragilité de toute la Région. Dans un pays très retribalisé où opèrent de nombreux acteurs extérieurs avec des agendas différents voire opposés, une conférence, spécialement à un haut niveau, constitue un lubrifiant pour plus de confusions et enfin de compte plus de combats. Comme en Somalie, au Yémen et en Afghanistan aussi.
Aussi le vœu fondateur du Centre4s : ‘’d’œuvrer pour que la région du Sahel Sahara demeure un acteur de son devenir et non un sujet de préoccupation ou une nouvelle source d’instabilité pour la communauté internationale,’’ reste-t-il à réaliser.