Le Pentagone tente d’apprivoiser les rebelles nigériens

Le Pentagone tente d’apprivoiser les rebelles nigériens

Les développements de l’actualité géopolitique au Sahel, avec le Niger, remettent en question le partenariat transatlantique. La France et les États-Unis montrent des divergences sur ces questions.

Divergences entre Américains et Français. L’administration du président américain, Joe Biden, parie sur une solution diplomatique au Niger, et non sur un scénario militaire. De telles assurances ont été données par le Pentagone sur fond de rumeurs sur les perspectives d’une intervention militaire étrangère dans ce pays africain.

Les approches de Washington, qui a catégoriquement refusé de qualifier ce qui s’est passé de coup d’État militaire, sont critiquées, y compris de la part de ses alliés transatlantiques. Ainsi, les responsables français parlent de leur frustration croissante accusant la Maison-Blanche de trahison. «Au Niger, la junte joue la division entre la France et les États-Unis», a titré Le Monde, soulignant : «Washington défend une ligne moins dure que Paris vis-à-vis des putschistes qui séquestrent Mohamed Bazoum depuis le 26 juillet et s’oppose à une intervention militaire des pays d’Afrique de l’Ouest». Le quotidien français pointe du doigt des «divergences d’approches qui existent aussi parmi les Occidentaux et tout particulièrement entre Américains et Français».

Le représentant officiel du Pentagone, le général de brigade de l’US Air Force Pat Ryder, a tenté de clarifier la position de l’administration Biden. Il a affirmé, pour le Niger, «d’une manière générale, le gouvernement américain reste concentré sur la diplomatie, et cela continuera à être notre objectif». «À l’heure actuelle, le nombre de forces américaines dont nous disposons au Niger reste le même», a-t-il précisé. «Pour le moment, le nombre de soldats américains stationnés au Niger reste le même. Il n’y a eu aucun changement dans notre posture de force», fait-il savoir. Néanmoins, ce dernier a souligné que l’armée américaine est une structure engagée dans une planification constante et qu’elle se «prépare à une grande variété d’éventualités».

Cette annonce intervient alors que l’on craint de plus en plus que les organisateurs du coup d’État ne contraignent tous les acteurs étrangers à retirer leurs troupes du pays. À ce jour, environ 1100 militaires américains sont déployés au Niger, impliqués dans la mission antiterroriste internationale. Ils ont accès à deux points : la base aérienne 201 près de la ville d’Agadez, aux portes du désert du Sahara, et la base aérienne 101 près de la capitale Niamey. Le site situé à Agadez est d’une superficie de 25 km² et il est stratégiquement important pour le Pentagone. C’est, en effet, le deuxième plus grand point d’ancrage de l’US Air Force après Djibouti où les États-Unis ont investi plus de 100 millions de dollars et il existe une importante flotte de drones de combat et de reconnaissance.

A ce sujet, Ouest-France informait ses lecteurs, stipulant «Djibouti n’est plus la seule base permanente américaine d’Afrique», que les États-Unis ont placé «des drones Reaper positionnés sur la base aérienne d’Agadez».

Les États-Unis pensent à leurs intérêts avant de défendre ceux de leurs alliés comme la France. La crainte d’une éventuelle perte d’une base militaire stratégique est l’une des raisons pour lesquelles Washington refuse toute critique péremptoire à l’encontre des rebelles au Niger. Au milieu du mois, la porte-parole adjointe du Pentagone, Sabrina Singh, a ouvertement souligné que la priorité de l’administration Biden dans ces circonstances était de préserver les moyens militaires US au Sahel. C’est pourquoi Washington n’est pas pressé de qualifier la destitution de Mohamed Bazoum de la présidence d’acte de coup d’État militaire. «Les États-Unis sont toujours aux côtés du Niger et espèrent une résolution diplomatique», a répondu Sabrina Singh aux journalistes.

Elle avait même avoué : «Nous avons failli dire, encore une fois, qu’il s’agit d’une tentative de coup d’État». Elle a, d’ailleurs, répété dans la même conférence de presse du Pentagone que «cela ressemble certainement à une tentative de coup d’État ici», mais que «nous [Les États-Unis] avons des atouts et des intérêts dans la région, et notre principale priorité est de protéger ces intérêts ainsi que ceux de nos alliés». Les déclarations des États-Unis contredisent fortement la politique de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ainsi que celle de l’UE et de la France, qui ont donné des évaluations catégoriques des actions des rebelles et discuté de la perspective d’une intervention.

La position hésitante de la Maison Blanche soulève de nombreuses questions. Le Washington Post a noté – pour expliquer l’attitude US – que «l’administration [US] a hésité à qualifier les événements au Niger de coup d’État ; une désignation qui, selon la loi américaine, pourrait nécessiter la cessation de la sécurité et de l’assistance économique».

Dans un éitorial sur la situation au Niger, le Washington Post a déclaré qu’il était nécessaire de qualifier de «renversement armé illégal» un coup d’État militaire «si les États-Unis veulent maintenir leur autorité sur le continent». Une tribune de la journaliste française Sylvie Kaufman pour le Financial Times fait état du même message : «Les efforts extraordinaires déployés par le département d’État américain pour éviter de nommer correctement ce qui s’est passé le 26 juillet au Niger reflètent le degré d’embarras que ces nouveaux troubles en Afrique subsaharienne ont causé aux stratèges occidentaux». «Cela souligne également les différences dans la manière dont les deux principaux acteurs occidentaux de la sécurité dans la région, les Français et les Américains, ont abordé la question. Le président Emmanuel Macron, parlant tel qu’il est, a parlé d’un coup d’État parfaitement illégitime, puis est tombé dans un rare silence, tandis que Washington et certains États africains tentaient d’engager des négociations avec le groupe qui affirme le pouvoir à Niamey», poursuit-elle. «Le Niger est le quatrième pays d’Afrique de l’Ouest, après la Guinée, le Mali et le Burkina Faso, dont le chef a été renversé par un coup d’État militaire au cours des trois dernières années», rappelle la journaliste. Elle énonce : «Le coup d’État est probablement le dernier clou dans le cercueil de la politique française en Afrique de l’Ouest».

La France a été très déçue par la tactique américaine. Observateur Continental constatait que «la politique américaine au Niger inquiète la France» et que «la position américaine sur la situation au Niger a déçu la France». «Les États-Unis ne sont pas le seul pays à se distancer de la position des autorités françaises au Niger. Aucun des alliés de la France dans ce pays, que ce soit l’Allemagne, la Belgique ou l’Italie, ne remet en question la rhétorique des putschistes, surtout lorsqu’il s’agit du retrait des troupes françaises. L’Allemagne a besoin du Niger pour assurer le retrait de ses troupes du Mali, tandis que l’Italie est davantage concentrée sur la stabilité de la région afin d’éviter une nouvelle crise migratoire», a complété Observateur Continental.

De la part de la France elle-même, des mesures plutôt sévères sont attendues contre les rebelles. Observateur Continental a cité les affirmations de la Radio algérienne, selon lesquelles Paris avait demandé aux autorités algériennes d’ouvrir un couloir aérien pour son aviation en cas d’intervention militaire au Niger. Même si des sources françaises ont répondu au Figaro en désavouant ces informations, cela a laissé l’impression que l’opération était proche. Après que la France avait dû retirer ses forces du Mali en raison du mécontentement des militaires arrivés au pouvoir en 2021, le Niger était censé devenir le «cœur» de sa campagne contre les groupes jihadistes en Afrique. C’est pourquoi la chute de l’ancien leadership à Niamey prive Paris d’un ancrage fort au Sahel.