« La Tunisie refuse d’être un pays de transit ou un lieu d’établissement », a déclaré le chef de l’Etat, alors que Bruxelles veut pouvoir y renvoyer des migrants d’autres nationalités.
« La Tunisie n’est garante que de ses propres frontières », a déclaré, mercredi 14 juin, le président Kaïs Saïed à l’issue d’un entretien téléphonique avec Charles Michel, le président du Conseil européen. Cette déclaration intervient à la suite de la visite effectuée le dimanche précédent à Tunis par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, accompagnée de la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, et du premier ministre néerlandais, Mark Rutte.
Lors de cette visite, la deuxième dans le pays pour la dirigeante italienne en moins de cinq jours, la question d’un accord entre l’Union européenne (UE) et la Tunisie sur le contrôle des flux migratoires vers l’Europe a été posée. La Commission a annoncé le déblocage de 105 millions d’euros pour lutter contre les passeurs, investir dans l’équipement des gardes-côtes ou faciliter les procédures de rapatriement.
Si Tunis collabore officiellement avec Rome depuis 2011 pour permettre le rapatriement de migrants irréguliers tunisiens, le nouveau pacte de l’UE est susceptible de lui imposer la réadmission de migrants y ayant seulement transité. La possibilité de renvoyer des demandeurs d’asile vers un « pays tiers sûr » est prévue dans l’accord obtenu le 8 juin, sous la pression de l’Italie, entre les ministres de l’intérieur des 27 Etats membres de l’UE, dans le cadre du « pacte sur la migration et l’asile ».
es « diktats » du FMI
Ursula von der Leyen avait annoncé dimanche qu’un protocole d’entente entre la Tunisie et l’UE devrait être signé avant la fin du mois pour être discuté lors du prochain Conseil européen, prévu les 29 et 30 juin, sans que le contenu des négociations n’ait été communiqué. « La Tunisie refuse d’être un pays de transit ou un lieu d’établissement », a rétorqué Kaïs Saïed mercredi, estimant que « le phénomène de la migration ne peut être abordé qu’en éliminant les causes et non en se limitant au traitement des conséquences ».
Parmi les annonces faites par la présidente de la Commission, 900 millions d’euros d’assistance financière devraient être débloqués à condition que la Tunisie parvienne à trouver un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) sur un prêt de 1,9 milliard de dollars (1,75 milliard d’euros). L’exécution de cet accord acté depuis octobre 2022 a été reportée à la suite du refus de Kaïs Saïed de se plier aux « diktats » imposés par l’institution financière.
« Les accords de Bretton Woods ne sont pas une fatalité et les diktats [du FMI] ne sont pas acceptables, car s’ils étaient appliqués comme ils l’ont été en 1984, ils menaceraient la paix sociale », a-t-il réitéré lors de son entretien avec Charles Michel (selon le communiqué publié par la présidence tunisienne), en référence aux révoltes du pain qui ont éclaté en janvier 1984 à la suite d’un accord avec le FMI pour augmenter le prix du pain et des produits céréaliers.
La mort plutôt que « l’aumône »
En visite dans le bassin minier de Gafsa (centre-ouest) la veille, le président tunisien a estimé qu’il était préférable de « mourir plutôt que de demander l’aumône aux étrangers », tentant de convaincre des manifestants de mettre fin à leur mouvement de protestation et de permettre la reprise de la production de phosphate, un secteur qui a fortement été ralenti depuis 2011 alors qu’il représentait près de 10 % des exportations. « Il n’y a aucune sourate qui porte le nom du Fonds monétaire », a-t-il asséné devant des dizaines de demandeurs d’emploi regroupés autour de lui.
En plus de la production de phosphate et pour éviter la suppression des subventions sur les produits de base et les hydrocarbures, Kaïs Saïed a proposé début juin de « prendre l’excédent d’argent des riches pour le donner aux pauvres », reprenant une citation attribuée à l’un des premiers califes de l’islam, Omar Ibn Al-Khattab. « Au lieu de lever les subventions au nom de la rationalisation, il serait possible d’introduire des taxes supplémentaires à ceux qui en bénéficient sans qu’ils en aient besoin », avait-il ajouté.
Lourdement endettée à hauteur de 80 % de son PIB et en proie à une inflation galopante (10 % en moyenne depuis le début de l’année et plus de 30 % pour certains produits alimentaires), la Tunisie peine à trouver les financements nécessaires pour combler son déficit budgétaire en l’absence d’un accord avec le FMI. La dégradation, vendredi, par l’agence de notation américaine Fitch Ratings de la note de la Tunisie, passée de CCC + à CCC – (risque élevé de défaut), n’a fait que conforter les craintes sur la santé financière du pays et, potentiellement, sur ses équilibres sociaux.