RDC : en Ituri, la guerre interminable des milices communautaires

RDC : en Ituri, la guerre interminable des milices communautaires

La majorité des groupes armés actifs dans la province de l’est du pays refuse la démobilisation et le processus gouvernemental de désarmement.

Il est l’un des rares à avoir répondu à l’appel. Souriant, Olivier Ngabu Songambele se tient les mains croisées dans le dos dans l’enceinte du camp de démobilisation de Diango, à environ 10 kilomètres de Bunia, la capitale de la province de l’Ituri, une région minière de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Il y a encore quelques mois, le général autoproclamé et ses quelques dizaines d’hommes combattaient au nom de la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco), l’un des groupes armés les plus meurtriers de la province.

« On nous ordonnait de tuer, de piller, de voler. Quand on croisait quelqu’un, on l’assassinait, même si c’était un frère », se souvient l’ancien milicien. Un « frère », en d’autres termes un Lendu, la communauté que la Codeco dit défendre contre une autre, celle des Héma. La milice est régulièrement accusée de massacres de civils, y compris de femmes et d’enfants, par des associations de défense des droits humains et par l’ONU. Des exactions d’une violence rare commises par endroits à la machette, en décapitant ou en brûlant vif des villageois, toujours « avec l’objectif de déshumaniser », détaille le gouverneur militaire de la province, le lieutenant général Johnny Luboya Nkashama.

Devant la grange aménagée en dortoir, les anciens combattants débraillés paraissent inoffensifs. Au total, 101 ont accepté de déposer les armes lors du lancement, le 17 avril, du programme gouvernemental de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (P-DDRCS), en Ituri.

Tous ne sont pas des anciens de la Codeco. Certains se réclament du Front patriotique et intégrationniste du Congo (FPIC), l’une des factions de groupes armés parmi la dizaine active dans l’est de la RDC, selon le Baromètre sécuritaire du Kivu (qui cartographie les conflits dans la région). « Le travail de désarmement commencera réellement dès que les fonds – 3 millions de dollars – seront décaissés », justifiait le gouverneur fin avril.

Des démobilisés qui retournent à l’agriculture

Sur le site de Django, des haricots ont été semés et beaucoup de démobilisés ont retrouvé leur métier d’antan : l’agriculture. Revenant sur ses années passées au sein de la Codeco, Olivier Ngabu Songambele assure avoir intégré par « contrainte » ce mouvement mystico-religieux. « C’est comme une église. Les pasteurs ou les féticheurs sont ceux qui ont le plus de pouvoir. Ils organisent des rites avant les attaques pour protéger les combattants des balles », explique-t-il. Selon le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), ces pratiques s’inspireraient du « godza, un esprit déjà actif lors du conflit précédent », précise le rapport de 2021.

Les deux communautés, dont l’antagonisme remonte à la colonisation belge puis à la politique de « zaïrisation » du président Mobutu Sese Seko, qui a favorisé les Hema lors de la redistribution des biens appartenant aux étrangers, se sont déjà violemment affrontées par milices interposées pendant la seconde guerre du Congo, de 1999 à 2003. Après quatorze ans de paix relative, le conflit a repris fin 2017.

Les attaques sont attribuées à la Codeco à partir de l’année suivante, alors que l’association n’est à l’origine qu’une coopérative agricole fondée dans les années 1970. C’est aussi en 2018 que le nom du leader du groupe, Justin Ngudjolo, émerge, bien que jusqu’à aujourd’hui le fonctionnement interne du mouvement reste opaque.

« Quand notre chef est mort [en mars 2020], le groupe s’est divisé », rapporte Olivier Ngabu Songambele qui a pris la tête d’une des factions dissidentes, l’Armée des révolutionnaires pour la défense du peuple congolais (ARDPC). Les différents groupes ont commencé à agir en ordre dispersé. Une autre branche, l’Armée de libération du Congo (ALC), s’est même attaquée à la prison de Bunia, en septembre 2020.

Marginalisation foncière

Près de trois ans plus tard, il ne reste aucune trace de cette tentative de libération des prisonniers. Au « royaume de Gbadalajara », surnom donné au quartier des adultes, s’entassent plus de 2 000 prisonniers pour 500 places, dont des miliciens Codeco. « Mais personne ne l’avouera ici », ironise celui en charge de la sécurité intérieure que l’on appelle « le roi Sauzaire ». Aux côtés de son garde rapproché, le « lieutenant général Tigre », qui parade avec son grade inscrit sur son tee-shirt, le détenu en chef se fraye un chemin dans l’allée centrale bondée, imposant le garde-à-vous aux autres prisonniers.

Parmi eux, Maximilien – qui a souhaité taire son nom de famille – se déplace difficilement avec sa béquille entre les seaux placés sous les gouttières pour récupérer l’eau de pluie. « J’ai perdu ma jambe en 2003 en sautant sur une mine », indique-t-il. C’est un ancien du Front des nationalistes intégristes (FNI), l’un des groupes lendu actifs pendant la seconde guerre du Congo. A 58 ans, le vétéran avoue avoir été accusé de complicité avec la Codeco mais refuse d’en dire plus.

Tout comme Amos, vêtu d’une blouse jaunâtre et défraîchie, l’uniforme de la prison. Le quinquagénaire semble lui aussi ne pas comprendre le conflit dans lequel il est engagé. Mais celui qui se présente comme un commerçant se justifie par la marginalisation, notamment foncière, dont est victime son peuple depuis la colonisation. « C’est nous que l’Etat enferme, mais les Héma, eux aussi, ont des armes », insiste Amos.

Lorsque s’est enclenchée la nouvelle vague de violences en 2017, les leaders héma ne semblaient pas soutenir l’idée d’un réarmement d’anciens groupes communautaires. Mais progressivement, le Front populaire d’autodéfense en Ituri (FPAC), autrement appelé « Zaïre », qui dit défendre les Héma, a fait son apparition.

Contrôle de certains sites miniers

Même s’il continue à agir dans l’ombre, depuis 2022, son mode opératoire s’est transformé « passant d’opérations de représailles ou de légitime défense à des attaques à grande échelle », indique le rapport des experts des Nations unies de juin 2022. Les Zaïre n’ont pas participé au processus de paix lancé à Nairobi en décembre 2022, contrairement à la principale faction de la Codeco, l’URDPC, avant que celle-ci ne soit éjectée par les autorités congolaises.

« Tout porte à croire que certaines élites sont à la manœuvre de part et d’autre », admet Christian Utheki, président du G5, une association regroupant cinq communautés qui se disent victimes de la Codeco. Parfois présenté comme une branche politique des Zaïre, le G5 est accusé dans le rapport de décembre des experts de l’ONU de « mobiliser des ressources financières par des contributions volontaires et forcées destinées à financer les activités du groupe ».

Mais au-delà du conflit identitaire, les intérêts semblent aussi économiques. Tous cherchent à asseoir leur contrôle sur certains sites miniers, principale source de financement de deux milices rivales. Des activités illégales d’extraction d’or « dans lesquels étaient impliqués des éléments de l’armée congolaise », selon les experts de l’ONU.

Sur le terrain, il est difficile de différencier les milices des forces régulières. Ils ont les mêmes armes, les mêmes uniformes dépareillés et rançonnent parfois la même voiture à des checkpoints situés à quelques mètres les uns des autres. Les opérations militaires contre les groupes armés sont à l’arrêt puisque la majorité des soldats congolais ont été envoyés sur un autre front au Nord-Kivu, contre les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23). Depuis, « des pans entiers de l’Ituri ne sont pas couverts », assume un officier qui espère que les renforts arriveront rapidement pour éviter que la situation ne s’aggrave encore un peu plus.