Les autorités maliennes de transition ont annoncé l’ouverture d’une enquête judiciaire contre la mission d’établissement des faits des Nations unies « et ses complices » pour « espionnage », « atteinte à la sûreté extérieure de l’État », et « complot militaire. » Annonce faite samedi soir par communiqué, en réaction à la publication vendredi dernier d’un rapport des Nations unies sur le massacre de Moura, en mars 2022. Rapport affirmant qu’au moins 500 personnes ont été exécutés par l’armée malienne et ses supplétifs russes au cours de cette opération dite « antiterroriste. » Sur quoi doit porter précisément ce travail d’enquête annoncé par les autorités maliennes de transition ?
Ce travail « va concerner les aspects liés à la prise des images par les satellites utilisés par la commission d’établissement des faits des Nations unies, explique Mahamadou Konaté, docteur en droit public, spécialiste du droit international et du droit humanitaire à l’université de Bamako. Donc il s’agirait pour l’enquête de déterminer si ces satellites ont violé l’espace aérien malien ou pas. Il y a bien sûr une certaine hauteur qui rentre dans l’espace souverain de l’État. Dans la pratique, généralement, c’est 22km au-dessus du territoire. Au-delà, c’est considéré normalement comme l’espace aérien international. »
Les enquêteurs des Nations unies n’ont pas été autorisés par les autorités maliennes de transition à se rendre dans le village de Moura. Ils ont donc procédé, notamment, en recueillant les témoignages de victimes ou d’habitants du village de Moura. L’enquête judiciaire malienne pourrait-elle également concerner ces témoignages ?
« Peigne fin »
« Oui, répond encore le chercheur Mahamadou Konaté, qui a également enseigné pendant plusieurs années à l’École d’état-major nationale de l’armée du Mali. Je pense qu’ils peuvent toujours écouter des témoins qui ont collaboré avec les enquêteurs des Nations unies, pour vérifier leurs propos. Certains mettent en doute la crédibilité des faits rapportés, donc tout cela doit vraiment être passé au peigne fin par notre propre justice, pour donner rapidement la version soutenue et officielle du gouvernement malien. »
Mais Ousmane Diallo, lui, n’attend absolument rien de cette enquête. Chercheur au bureau régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest, à Dakar, il a lui-même travaillé sur le massacre de Moura et publié ces derniers mois, avec Amnesty, des conclusions qui concordent avec celles du rapport onusien. Pour lui, l’annonce par Bamako d’une enquête portant sur le travail des enquêteurs onusiens est à lire « dans le cadre du bras de fer que mènent les autorités maliennes contre les Nations unies et en particulier la Minusma. »
« Stratégie d’intimidation et de frustration »
« Cela va dans le cadre d’une stratégie d’intimidation et de frustration qui a lieu depuis les premières allégations par rapport à Moura, assène Ousmane Diallo. Les autorités maliennes avaient entravé l’accès à Moura pour les enquêteurs de la Minusma . Ils avaient aussi intimidé certains des rescapés et ressortissants de Moura qui étaient interviewé par les enquêteurs de la Minusma, donc par cette fameuse mission d’établissement des faits. C’est de la politique ! Les autorités maliennes doivent répondre à un auditoire national, c’est-à-dire que la stratégie de discours martial contre les partenaires extérieurs, ce discours souverainiste, populiste, leur permet d’assoir une légitimité qu’elles n’ont pas au point de vue démocratique. Nous allons aussi assister au renouvellement du mandat de la Minusma dans un mois, l’objectif des autorités étant de limiter le mandat des droits humains de la Minusma et de faire de la mission une mission qui ne soit pas en charge de la question des droits humains ou de la justice mais plutôt une mission en support des objectifs politiques et militaires des autorités maliennes. »