RDC : ces meurtres qui inquiètent à l’approche des élections

RDC : ces meurtres qui inquiètent à l’approche des élections

Plus que neuf mois pour que les Congolais se rendent aux urnes pour élire leur président.

Selon le calendrier électoral, l’élection présidentielle se tiendra le 20 décembre 2023 en République démocratique du Congo. Mais au fur et à mesure que l’on s’en approche, le climat sécuritaire se détériore de plus en plus. La guerre et des meurtres presque chaque jour laissent beaucoup de Congolais inquiets sur la suite du processus électoral dans leur pays.

Une chose est de vouloir les élections, une autre est de mettre en place des conditions sécuritaires propices à des élections apaisées. Or, ce n’est pas encore le cas aujourd’hui en République démocratique du Congo. La paix et la sécurité sont jusqu’à présent des denrées rares dans notre pays. Une partie non négligeable du territoire national est entre les mains des rebelles du M23. De nombreuses localités sont à la merci de différents groupes armés dont les rebelles musulmans ougandais ADF.

Forte criminalité à Lubumbashi

Lubumbashi c’est la deuxième grande ville de la RDC. C’est aussi le chef-lieu de l’ex-province du Katanga, poumon économique du pays. Je rappelle que c’est là que logent le cuivre congolais, le cobalt, l’uranium, le lithium… Seulement voilà, à l’approche des élections, on enregistre une criminalité indicible à Lubumbashi. De paisibles citoyens assassinés en série et en pleine ville ; leurs corps emballés dans des sacs et jetés n’importe où. Le mode opératoire donne à croire que c’est le crime organisé.

Ce qui étonne c’est le silence des principaux leaders politiques. Comme s’il n’y avait aucun intérêt. Pourtant, ces gens qui sont tués sont des citoyens congolais et de potentiels électeurs. Hélas, silence radio jusqu’à présent. Pour ceux qui ne le savent pas : le grand Katanga c’est le bastion électoral de Moïse Katumbi et de l’ancien président Joseph Kabila. Tous les deux évoluent aujourd’hui dans l’opposition.

« Ce n’est pas lié aux élections ! »

Gilbert Ngoy (nom d’emprunt) est un habitant de Lubumbashi. Nous lui avons posé la question de savoir si les meurtres enregistrés ces derniers jours dans cette ville seraient liés au processus électoral en cours. Voici sa réponse : « De tels meurtres ne sont pas bon signe. Mais je n’ai pas d’informations qui confirment que ce sont des violences politiques ou électorales. Les jeunes sont tués de la même manière que les vieux.

Je pense que c’est de la criminalité tout simplement. Raison pour laquelle, dans plusieurs groupes WhatsApp dont je suis membre, on nous conseille d’éviter de circuler à des heures tardives à Lubumbashi.

À mon avis, cette recrudescence de la criminalité serait peut-être liée à la crise économique et à la cherté de la vie. Actuellement, un sac de farine de maïs de 25 kilos coûte 60 000 francs congolais à Lubumbashi (environ 30 dollars américains). C’est trop cher pour le citoyen lambda. »

Et d’ajouter : « A propos de la cohabitation entre partisans des leaders politiques (Katumbi, Kabila et Tshisekedi), il est clair que les relations deviennent de plus en plus tendues au fur et à mesure que l’on s’approche des élections. »

Un autre habitant de Lubumbashi qui a requis l’anonymat se dit très inquiet de la tournure que prend l’insécurité à Lubumbashi. Il en parle : « Franchement, l’insécurité nous inquiète. On tue de paisibles citoyens. Il y a un mois, trois corps morts et emballés dans des sacs avaient été retrouvés. Les autorités ont mené des enquêtes et réussi à mettre la main sur 26 personnes présentées comme des bandits à la base de la criminalité dans la ville de Lubumbashi. Ils portaient des armes blanches et des fusils AK47. Malheureusement, après ce coup de filet, on a retrouvé encore un corps sans vie emballé dans un sac et jeté dans un quartier résidentiel. »

En effet, pour cet habitant de Lubumbashi, « rien ne permet d’établir que ces tueries sont liées au processus électoral. Mais, a-t-il dit, il ne faut pas exclure la possibilité qu’il y ait des tireurs des ficelles derrière cette criminalité pour gâcher le climat électoral ».

En 2020, dans la foulée des manifestations de rue contre la désignation de Ronsard Malonda à la tête de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), des corps humains sans vie avaient été repêchés dans la rivière Lubumbashi. Ils ont été identifiés comme d’anciens membres de l’UDPS, le parti de l’actuel chef de l’État, Félix Tshisekedi.

Déplacés de guerre, crise humanitaire…

En effet, la guerre dans la partie Est de mon pays risque de porter un coup fatal au processus électoral. Des centaines de milliers de compatriotes sont forcés de vivre dans des camps de déplacés loin de leurs terres, subissant une crise humanitaire sans précédent. Si cette situation perdure jusqu’aux élections, je me demande dans quelles conditions ils pourront aller voter le 20 décembre.

Je pense que c’est de la responsabilité de l’Etat congolais de restaurer la paix par tous les moyens dans cette partie de notre pays pour permettre à nos compatriotes déplacés de retourner dans leurs villages et d’y mener une vie normale. Ils ne méritent pas le sort qui est le leur aujourd’hui. Et je dis à ceux qui ont choisi la guerre comme moyen d’accéder au pouvoir ou de faire entendre leurs revendications, ils devraient savoir que tôt ou tard, ils répondront de leurs actes.

Je me souviens que lors de la présidentielle de 2018, nos compatriotes de Beni, Butembo et Yumbi n’ont pas été autorisés à se rendre aux urnes, respectivement en raison de l’épidémie d’Ebola et des violences intercommunautaires. De grâce que cette fois-ci, la guerre et l’insécurité ne fassent pas se reproduire la même situation. Les élections sont une échéance qui n’intervient qu’une seule fois après cinq ans. Donnons à nos compatriotes l’occasion d’accomplir ce devoir civique de choisir leur président par les urnes.

Le gouvernement n’a pas d’excuses. C’est à lui de tout mettre en œuvre pour améliorer la situation sécuritaire dans le pays. D’ici aux élections, il y a encore neuf mois. Et donc, il est possible de rétablir la paix.

L’enrôlement des électeurs impossible dans les territoires contrôlés par le M23

Les compatriotes vivant dans des zones tenues par la rébellion du M23 risquent malheureusement de ne pas obtenir leurs cartes d’électeurs. À moins d’un cessez-le-feu et d’un cantonnement des rebelles. La Commission électorale nationale indépendante (Céni) n’a aucun pouvoir d’implanter ses centres d’enrôlement à Bunagana, Kishishe ou Kitshanga, zones sous administration du M23. Cette réalité est d’autant plus cruelle que la carte d’électeur permettra à son détenteur d’obtenir la carte d’identité congolaise qui sera délivrée aux citoyens pour la première fois en RDC depuis environ trois décennies. Imaginez à quel point cela traumatisera nos compatriotes s’ils ne peuvent avoir ni carte d’électeur ni carte d’identité. Des citoyens sacrifiés ?

Même dans les zones contrôlées par l’État congolais, l’opération d’identification et d’enrôlement des électeurs a été perturbée et même suspendue à certains endroits, toujours en raison de l’insécurité. En territoire de Kwamouth dans la province du Mai-Ndombe par exemple, la Commission électorale a dû reporter l’enrôlement des électeurs en raison des violences inter ethniques entre les communautés Yaka et Teke. Difficile d’ouvrir des centres d’enrôlement dans des conditions qui mettent en danger la vie des citoyens et des agents électoraux.

Au Kasaï-Oriental, l’enrôlement des électeurs a connu une suspension imprévue d’au moins deux jours en territoire de Miabi. Pour cause : un conflit meurtrier de pouvoir coutumier a éclaté dans ce territoire. Les partisans du chef coutumier en fonction Tshilewu Mbuyi Monji wa Ndunga et ceux de son rival Kalonji Kabeya James se sont affrontés à coup de machettes. Il y a eu des morts et plusieurs habitations incendiées. Ce qui avait poussé la Commission électorale à suspendre l’enrôlement des électeurs. Il a fallu que le gouvernement provincial dépêche un renfort d’éléments de la police pour rétablir l’ordre.

Pareil en territoire de Katanda où des coups de feu tirés par des inconnus ont là également perturbé le déroulement de l’opération d’enrôlement des électeurs. Il faut dire que ce territoire de Katanda connait un conflit foncier sanglant depuis plusieurs décennies. Trois communautés tribales, à savoir : Bena Nshimba, Bena Kapuya et Bena Mwembia se disputent la même terre. Jusqu’à présent, aucune solution durable n’a encore été trouvée.

Reporter les élections pour cause d’insécurité ?

Lors de sa conférence de presse conjointe avec son homologue français Emmanuel Macron, le président Félix Tshisekedi a émis des hypothèses qui font craindre le report de la date des élections. Il a déclaré : « Nous avons tiré la sonnette d’alarme en insistant sur le fait que s’il y a risque de dérapage, ce n’est pas à cause des autorités du pays ni des responsables de la Céni. C’est simplement lié au fait que nous sommes un pays agressé par le Rwanda. L’agression qui a entrainé le déplacement massif des électeurs qui ne peuvent pas se faire enrôler parce qu’ils sont loin de leurs bases.

A cause de ça, nous risquons de prendre du retard sur l’enrôlement. Ce qui peut entrainer le retard dans le vote de la loi sur la répartition des sièges pour que nous puissions aller dans un processus électoral crédible.

A ce stade, faut-il stopper le processus d’enrôlement des électeurs en attendant que la paix revienne, avec le risque que cela impacte sur le respect du calendrier ? Ou faut-il continuer le processus en ne prenant pas en compte les populations nombreuses, les déplacés de guerre ? C’est ça qui peut poser problème. »

À mon avis, quelle que soit la raison, envisager de reporter les élections au-delà du délai constitutionnel, serait la plus mauvaise option à choisir. Les conséquences risquent d’être incalculables, car à ce moment-là, le chef de l’État et le gouvernement n’auront plus de légitimité suffisante pour gouverner. Et les pêcheurs en eau trouble pourraient bien en profiter et aggraver l’instabilité. Félix Tshisekedi ferait mieux de ne pas aller en contradiction avec le président de la Céni, Denis Kadima. Il y a quelques mois, ce dernier s’est exprimé en ces termes : « Le glissement de calendrier électoral ne fait pas partie de notre vocabulaire. »

Malgré la guerre, je pense qu’il est important que le chef de l’État organise les élections dans le délai fixé par la Constitution. Il sait que l’opposition congolaise n’est pas prête à le laisser rester un seul instant au pouvoir sans élections. Martin Fayulu, candidat malheureux à la présidentielle de 2018, est catégorique : « Élections ou non, le 23 janvier 2023 à minuit, Tshisekedi devra faire ses valises et partir ! »