Le Burkina Faso a décrété “la mobilisation générale et la mise en garde” afin de “donner à l’Etat tous les moyens nécessaires pour faire face à la situation sécuritaire” que traverse le pays depuis 2015.
“Il s’agit surtout à travers ce décret de donner un cadre juridique, légal à l’ensemble des actions à mettre en œuvre pour faire face à la situation que vit le Burkina Faso”, explique un communiqué de la présidence, publié en amont du Conseil des ministres.
La prolifération de groupes armés liés à Al Qaida et à l’État islamique, mais aussi d’autres groupuscules locaux, semant la terreur dans cette région de l’Afrique, occasionnent de nombreux morts et des déplacement massifs de populations.
Après avoir instauré l’État d’urgence – en vigueur dans 8 des 13 régions pays – en 2018, le Burkina Faso vient de passer une autre étape en décrétant que ‘le salut de la nation repose sur un sursaut national de l’ensemble des filles et des fils en vue de trouver une solution’, a indiqué le ministre d’État, ministre de la Défense et des Anciens combattants, le colonel-major Kassoum Coulibaly.
Une première parmi les pays du Sahel engagés dans cette lutte.
Que faut-il retenir de cette décision et quelles en sont les implications ?
Menaces sur les libertés individuelles ?
Au lendemain de la publication, les autorités militaires de Ouagadougou ont donné quelques précisions sans définir, pour autant, de contours précis sur l’impact de ce décret sur les libertés individuelles.
“En général, la mobilisation générale est couplée à la mise en garde qui elle consiste en certaines mesures propres à assurer la liberté d’action du gouvernement, à diminuer la vulnérabilité des populations et des équipements principaux et à garantir la sécurité des opérations de mobilisation et de mise en œuvre des forces armées nationales.
La mobilisation générale telle que prévue dans nos textes, comporte un certain nombre de dispositions à prendre par les autorités, leur conférant des pouvoirs, notamment celui de requérir les personnes, les biens et les services (…), le droit d’appel à l’emploi de défense à titre individuel et collectif”, précise le directeur de la justice militaire, le lieutenant-colonel François Yaméogo dans une vidéo de la Présidence du Faso publié par le média en ligne Faso7.
Restrictions des droits ?
Qu’en est-il du droit international ? Le Burkina Faso est signataire de la plupart des textes liés aux droits de l’homme comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) qui comprend les droits et libertés qui protègent les particuliers contre les ingérences de l’État, comme le droit à la vie, l’interdiction de la torture, de l’esclavage et du travail force, etc.
“Le pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit que en cas de danger exceptionnel de menace contre l’existence d’une nation, que l’État puisse prendre des mesures exigées par la situation”, a rappelé le lieutenant-colonel François Yaméogo, directeur de la justice militaire du Burkina Faso.
“Sous l’angle de ce pacte, les droits et libertés individuelles peuvent être restreints. Mais il est évident que pour un État civilisé comme le Burkina Faso, le droit à la vie demeure un droit sacré” a-t-il précisé.
Qu’en pense l’opinion nationale ?
Simon Gongo, correspondant de la BBC à Ouagadougou, estime qu’il y a plusieurs groupes de pensée.
“Des juristes estiment que c’est une bonne chose pour le président d’avoir un cadre juridique pour pouvoir prendre ses actions ou ses décisions. Depuis pratiquement 2020, il y a des mesures qui se prennent sur le terrain à travers par exemple des couvre-feux ou des interdictions de circulation de certains engins. Ce sont ces mesures dont il s’agit et ce décret devrait permettre au président et au gouvernement d’avoir plein pouvoir pour décréter ce genre de mesures à travers le territoire nationale”, précise le journaliste.
“D’un autre côté, les défenseurs des droits humains et les médias qui estiment que c’est plus une occasion de restreindre les libertés publiques, d’interdire par exemple les journalistes de pouvoir faire leurs activités et surtout d’interdire les citoyens d’émettre des opinions critiques à l’encontre des autorités en place”, ajoute-t-il.
Une mesure justifiée ou un trop lourd sacrifice ?
“Une mesure aussi poussée et aussi précise” est une première au sein des États du Sahel”, estime l’expert en sécurité Soumahila Lah.
“Cela fait des années que dans le Sahel”, continue-t-il, “nous apportons une réponse au péril sécuritaire qui n’est pas la bonne réponse. Nous sommes toujours dans les tours militaires, nous sommes beaucoup dans l’institutionnel et très peu dans l’opérationnel. Il faut aller vers une dimension holistique aujourd’hui. La sécurité aujourd’hui, c’est un tout, et ce tout inclus une vision stratégique en termes de développement dans les zones occupées”.
Le Burkina Faso, théâtre de deux coups d’État militaires en 2022, est frappé par une insurrection qui dure depuis une dizaine d’années.
Le premier défi, selon l’expert, “est de convaincre les gens de la nécessité d’une telle mesure. Très souvent, quand les gens ont l’impression qu’on leur impose des choix, ils se braquent. Ce sera difficile surtout que les ressources sont maigres, les gens ont déjà du mal à joindre les deux bouts. Par amour du pays, par volonté de retour de la paix, par sacrifice, certains y verront un bon instrument, mais d’autres y verront un moyen de défier l’autorité de l’État”.
La violence a forcé près de deux millions de personnes à quitter leur foyer.
En début d’année, des groupes armés ont enlevé une soixantaine de femmes qui cherchaient de la nourriture dans le nord du pays. Les corps de 28 personnes abattues ont été retrouvés dans la ville de Nouna, dans le nord-ouest du pays. Elles ont depuis été libérées.