Le chef du mouvement tunisien islamo-conservateur Ennahda, Rached Ghannouchi, un des principaux opposants au président Kaïs Saïed, a été arrêté lundi, a indiqué son parti. Il avait affirmé ce week-end que la Tunisie serait menacée d’une “guerre civile” si l’islam politique y était éliminé.
En Tunisie, les autorités ont arrêté lundi 17 avril le chef du mouvement islamo-conservateur Ennahda, Rached Ghannouchi, un des principaux opposants au président Kaïs Saïed accusé de dérive autoritaire, a indiqué sa formation. Rached Ghannouchi, 81 ans, qui dirigeait le Parlement dissous en juillet 2021 par Kaïs Saïed, est l’opposant le plus en vue à être arrêté depuis ce coup de force.
L’homme a été arrêté par des policiers à son domicile à Tunis, a affirmé Ennahda dans un communiqué, en dénonçant “ce développement extrêmement grave” et appelant à sa “libération immédiate”. Le vice-président d’Ennahda, Mondher Lounissi, a affirmé lors d’une conférence de presse que Rached Ghannouchi avait été emmené dans une caserne de police pour un interrogatoire et que ses avocats n’avaient pas été autorisés à y assister.
Son arrestation survient après des déclarations rapportées par des médias, dans lesquelles Rached Ghannouchi a affirmé ce week-end que la Tunisie serait menacée d’une “guerre civile” si l’islam politique, dont est issu son parti, y était éliminé. Une source au ministère de l’Intérieur citée par les médias tunisiens a confirmé que l’arrestation de Rached Ghannouchi était liée à ces déclarations.
L’arrestation de Rached Ghannouchi a eu lieu au moment de l’iftar, le repas de rupture de jeûne du ramadan et quelques heures avant la célébration par les fidèles de la nuit sacrée “du destin”.
Plus de 20 opposants incarcérés depuis février
Rached Ghannouchi avait comparu en février au pôle judiciaire antiterroriste à la suite d’une plainte l’accusant d’avoir traité les policiers de “tyrans”. L’opposant, bête noire du président Saïed, avait également été entendu en novembre 2022 par un juge du pôle judiciaire antiterroriste pour une affaire en lien avec l’envoi présumé de jihadistes en Syrie et en Irak.
En juillet de la même année, il avait aussi été interrogé pour des soupçons de corruption et blanchiment d’argent liés à des transferts de fonds depuis l’étranger vers une organisation caritative affiliée à Ennahda.
Depuis début février, les autorités ont incarcéré plus de vingt opposants et des personnalités parmi lesquelles des ex-ministres, des hommes d’affaires et le patron de la radio la plus écoutée du pays, Mosaïque FM. Ces arrestations, dénoncées par des ONG locales et internationales, ont visé des figures politiques de premier plan du Front de salut national (FSN), principale coalition d’opposition dont fait partie Ennahda.
“Nouvelle phase”
Le président Saïed, qui s’est arrogé les pleins pouvoirs depuis son coup de force de juillet 2021, a qualifié les personnes arrêtées de “terroristes”, affirmant qu’elles étaient impliquées dans un “complot contre la sureté de l’État”.
“L’arrestation du chef du plus important parti politique au pays, et qui a toujours montré son attachement à l’action politique pacifique, marque une nouvelle phase dans la crise”, a réagi lundi soir auprès de l’AFP le président du FSN, Ahmed Néjib Chebbi. “Cela relève de la vengeance aveugle contre les opposants”, a-t-il ajouté.
Après son coup de force, Kaïs Saïed a fait réviser la Constitution pour instaurer un système ultra-présidentialiste aux dépens du Parlement, qui ne dispose plus de réels pouvoirs, contrairement à l’Assemblée dissoute dominée par Ennahda.
“Démocrate musulman”
Opposant de premier plan sous les régimes de Habib Bourguiba et Zine El Abidine Ben Ali, le retour au pays de Rached Ghannouchi après vingt ans d’exil passés à Londres, à la suite de la chute du dictateur en 2011, avait été célébré par des milliers de personnes. Mais son étoile a progressivement pâli depuis la révolution, ses détracteurs l’accusant d’être un manœuvrier pragmatique prêt à tout pour se maintenir au pouvoir.
À défaut de pouvoir réunir une majorité absolue, il s’est toujours arrangé pour qu’Ennahda soit incontournable dans les différentes coalitions depuis la révolution. Quitte à passer des alliances contre nature avec le parti libéral Qalb Tounes de l’homme d’affaires Nabil Karoui, ou avec l’ancien président Beji Caid Essebsi, en arguant de la nécessité d’un “consensus” nécessaire à la transition démocratique.
Au début de son parcours, il s’était d’abord inspiré des Frères musulmans égyptiens, avant de se réclamer du modèle islamiste turc de Recep Tayyip Erdogan. Il a ensuite fait muer Ennahda en mouvement civil, censé depuis 2016 n’être consacré qu’à la politique, et s’affiche depuis comme un “démocrate musulman” défendant des valeurs conservatrices sans dogmatisme.