Un an après avoir lancé une nouvelle offensive, le chef du M23 vient de retirer ses troupes de Bunagana. Portrait d’un « général » qui a pris part à toutes les insurrections qui secouent l’est de la RDC depuis trente ans.
Partout, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), cet homme a marqué les esprits. Partout, les habitants des collines du Nord-Kivu racontent son parcours à qui veut l’entendre. Dans son territoire natal de Rutshuru, Sultani Makenga est aussi connu que discret. « Je l’ai vu une fois l’année dernière et de loin », se souvient un agent administratif de la localité. « Il est passé devant moi dans sa voiture mi-mars, escorté par d’autres soldats », renchérit un agriculteur.
Lors de ses rares apparitions, son visage est toujours dissimulé sous une casquette kaki. Ses prises de parole sont exceptionnelles : jamais, depuis qu’il dirige l’aile militaire du Mouvement du 23-Mars (M23), le chef de guerre ne s’est adressé publiquement à la population locale. Son groupe a pourtant lancé une large offensive au printemps 2022 contre les Forces armées de la RDC (FARDC) et contrôle depuis une partie des territoires de Rutshuru et de Masisi.
A 49 ans, Nziramakenga Ruzandiza Emmanuel Sultan (son nom complet) n’en est pas à son coup d’essai. Celui qu’on appelle « général » a pris part à toutes les insurrections qui secouent l’est de la RDC depuis le génocide des Tutsi au Rwanda, en 1994. Un événement tragique qui, avec l’arrivée massive de réfugiés au Congo, a bouleversé le fragile équilibre de la région et déclenché une série sans fin de rébellions.
Ancien sergent du Front patriotique rwandais
La dernière en date est celle dirigée par Sultani Makenga. Huit ans après avoir passé un accord de paix avec le gouvernement à Nairobi et avoir mis en sommeil son mouvement, le général a fait renaître le M23 depuis le maquis congolais de Sarambwe. Fin 2021, son armée, alors faible, ne comptait que 400 éléments, selon le Groupe d’experts des Nations unies. Même si aucune estimation fiable n’est disponible, les rapports de Kinshasa et de l’ONU sont formels : les soldats du M23 sont aujourd’hui bien plus nombreux. La rébellion a enrôlé de nouvelles recrues, sans compter l’aide des militaires de l’armée rwandaise. Les preuves de ce soutien direct existent, même si Kigali continue de le démentir.
Au début des années 1990, Sultani Makenga, âgé d’à peine 20 ans, a quitté l’ex-Zaïre pour apprendre à manier les armes au sein de la branche armée du Front patriotique rwandais (FPR), la formation politique au pouvoir depuis 1994 et toujours dirigée par le président Paul Kagame. « Il y était sergent, soit l’un des grades les plus élevés auxquels les Tutsi congolais pouvaient prétendre », détaille Reagan Miviri, de l’institut de recherche congolais Ebuteli.
Mais la relation entre le chef de guerre et Kigali « n’a pas toujours été un long fleuve tranquille », nuance le chercheur. En 1997, Makenga a même été emprisonné sur l’île d’Iwawa pour plusieurs années, selon une biographie publiée par les Nations unies. Le soldat avait refusé d’obéir aux ordres de ses supérieurs de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), la rébellion qui a mené Laurent-Désiré Kabila au pouvoir en 1997, appuyée elle aussi par Kigali. « Quand il y a des divergences, c’est la discorde ; mais quand il y a des intérêts communs, ils sont ensemble », poursuit Reagan Miviri.
Une autre puissance régionale a compté pour le rebelle. Après que le M23 a été défait par l’armée congolaise en 2013, l’Ouganda a accueilli une partie de ses combattants dans un camp à Bihanga (sud-ouest). A l’époque, Sultani Makenga vit entre ce lieu de cantonnement et Kampala, la capitale, où se trouve également Bertrand Bisimwa, aujourd’hui chef de la branche politique du M23. Depuis la résurgence du groupe armé il y a un an, plusieurs hommes politiques congolais ont ainsi dénoncé la « complicité » sur le terrain de l’armée ougandaise.
Le patron des « lions de Sarambwe » a néanmoins toujours nié tout soutien extérieur. « Mes hommes viennent de Rutshuru ou d’autres territoires à proximité, comme Kalele, Masisi ou le Sud-Kivu. Ils combattent ici chez eux, dans leur milieu », a-t-il expliqué début janvier à un journaliste d’Igihe, un média basé à Kigali, dans l’une des rares interviews accordées en français. Le « général » maîtrise bien mieux le kinyarwanda ou le swahili, ses langues maternelles, malgré les dires de son entourage. L’allure toujours sérieuse dans son treillis impeccable, il marche avec une canne depuis qu’il a été blessé par balle au Katanga, dans la partie sud du Congo, pendant la rébellion du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), à la fin des années 1990.
Compagnon d’armes de Laurent Nkunda
Un attribut qui rappelle l’un de ses compagnons d’armes : Laurent Nkunda. Ensemble, ils ont été les leaders du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), une rébellion née en 2004 et accusée de nombreux crimes et exactions contre des civils. Les deux hommes seraient restés proches, même si depuis son arrestation à Kigali en 2009, Laurent Nkunda vit sous haute surveillance dans la capitale rwandaise. « La famille de Nkunda, qui elle est restée au Congo, est soutenue par qui à votre avis ? », ironise le major Willy Ngoma, porte-parole du M23.
Nkunda le volubile et Makenga l’austère avaient pourtant peu en commun, si ce n’est la canne et leur communauté. Les mutins sont des Tutsi congolais et ont mené avec leur groupe rebelle, pendant cinq ans, une guerre contre Kinshasa pour défendre l’intégrité de leur peuple. « A l’époque, les yeux étaient braqués sur le charismatique Nkunda. On accordait peu d’importance à Makenga », se souvient un collaborateur du programme gouvernemental de démobilisation des combattants, qui souhaite rester anonyme : « Personne n’avait compris ce que ce commandant avait en tête. »
Après la chute du CNDP et la signature d’un accord de paix en 2009, Sultani Makenga se range et intègre l’armée congolaise. La pratique n’est pas extraordinaire. Le brassage, le mixage ou l’intégration des insurgés ont toujours été présentés par l’administration congolaise comme une manière de régler les conflits. Makenga connaît bien les rouages des FARDC, puisqu’il a déjà servi dans le Nord-Kivu au début des années 2000. Cette fois-ci, il est admis au grade de colonel et est envoyé dans le Sud-Kivu. Il reste quelques années dans le rang, avant de déserter en 2012, une énième fois, pour rejoindre le M23.
Placé sous sanction onusienne en 2012 pour « meurtres, mutilations, violences sexuelles, enlèvements » et pour recrutement de mineurs, il est aussi accusé par l’ONG Human Rights Watch de « massacres » dans le Nord-Kivu. Le soldat dit pourtant ne « pas aimer la guerre » et justifie ses campagnes militaires par la lutte politique commencée avec son « mentor » Laurent Nkunda, explique une source proche des renseignements congolais. « Nous avons choisi ce chemin parce que tout le reste a échoué. Nous avons au sommet de l’Etat des irresponsables, des bandits, des gens qui croient que le pays leur appartient », décrit-il dans l’interview accordée à Igihe.
Mais ses objectifs demeurent à ce jour mystérieux. Est-il un va-t-en-guerre piloté par Kigali et Kampala ? Un stratège militaire qui a su jouer un rôle dans toutes les rébellions congolaises ? Un opposant politique animé par la protection de sa communauté ? Peut-être un peu de tout cela à la fois. « On a massacré sa communauté et il plaide aujourd’hui pour son peuple. Il doit bien commencer quelque part pour changer le Congo », répond Willy Ngoma. Des velléités de changement qui en moins d’un an, ont jeté plus de 900 000 personnes sur les routes du Nord-Kivu.