Au Soudan du Sud, des milliards sont dépensés pour le maintien de la paix et les autorités se veulent optimistes. Mais la réalité est plus sombre : dans le plus jeune Etat de la planète, la loi et l’ordre s’étendent rarement au-delà de la capitale.
“Le Soudan du Sud demeure sensiblement pacifique”: ces quelques mots du gouvernement figurent sur une fiche d’information distribuée aux visiteurs et à la presse en février pour la visite historique du pape François dans le pays.
Las, lors de son premier jour à Juba, la capitale sud-soudanaise, alors que le souverain pontife saluait la foule de fidèles, des fosses communes étaient creusées à seulement 100 kilomètres pour 27 civils tombés sous les coups d’armes automatiques.
Car quelques années après la fin, en 2018, d’une guerre civile qui a fait environ 380.000 victimes, les violences armées continuent d’ensanglanter ce pays riche en pétrole mais où la majorité de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Le président Salva Kiir et son rival Riek Machar ont formé un gouvernement de transition et sont tombés d’accord pour unir leurs forces en une seule armée afin de protéger la population qui a connu ces dernières décennies la guerre et les catastrophes climatiques. Mais ces intentions sont restées lettres mortes et les violences se poursuivent, en toute impunité.
Selon des experts spécialistes des droits humains, les pires atrocités observées entre 2013 et 2018 durant la guerre civile, comme l’esclavage sexuel ou les famines orchestrées, n’ont pas cessé.
“Au niveau de la violence dans le pays, nous ne constatons aucune amélioration”, a déclaré aux journalistes Barney Afako, un expert des droits humains de l’ONU, après sa visite au Soudan du Sud en février. “Juba est plus sûr, mais nous sommes préoccupés par ce qu’il se passe en dehors”, s’est-il inquiété.
Guerre sans fin
En février, la mission des Nations unies au Soudan du Sud (Minuss) a averti que des groupes armés étaient à nouveau actifs dans la région du Haut-Nil, où l’artillerie a pilonné des villages lors d’offensives majeures impliquant des milliers de soldats.
À Jonglei et dans le Grand Pibor, des jeunes lourdement armés ont kidnappé des femmes et des enfants lors de raids sanglants. Des dizaines de milliers de personnes ont fui dans des bases de l’ONU, aggravant ce qui est déjà la pire crise de réfugiés en Afrique.
“Ceux qui suggèrent que la guerre civile est terminée ont tort”, a déclaré ce mois-ci à l’AFP Ken Scott, ancien commissaire aux droits humains de l’ONU sur le Soudan du Sud et consultant pour Global Rights Compliance, un cabinet d’avocats demandant à La Haye d’enquêter sur des hauts responsables pour de possibles crimes de guerre.
Accord de paix
Le chef de l’Etat a affirmé au pape que la présence de Machar comme vice-président était la preuve que l’accord de paix tenait. En février, les deux dirigeants ont personnellement assuré aux millions de personnes qui ont fui la guerre qu’ils pouvaient rentrer chez eux en toute sécurité.
Selon les experts, les combats à grande échelle entre les forces du président et du vice-président se sont toutefois calmés depuis l’accord de paix. Les affrontements sont souvent décrits comme “intercommunautaires” – des violences sur fond de griefs ethniques ou locaux, détachées de la politique nationale.
“Lancez une fléchette sur une carte du Soudan du Sud et vous trouverez un conflit qui a une dynamique politique ou des moteurs politiques”, nuance un chercheur basé à Juba qui a requis l’anonymat. “L’accord de paix n’a pas mis fin à cela”, poursuit-il.
Les critiques disent que la Minuss dresse un tableau parfois contradictoire de la situation. En novembre, elle s’était ainsi dite “encouragée” par la baisse du nombre de victimes civiles. Mais deux mois plus tôt, elle avait affirmé que des forces armées soutenues par le gouvernement avaient brûlé vif des personnes et violé collectivement un enfant à mort. Interrogée, la Minuss n’a pas donné suite aux sollicitations de l’AFP.
La mission de l’ONU a signalé en février que les violences avaient fortement cru fin 2022 en raison du conflit dans l’Etat du Haut-Nil, et a accusé les responsables locaux d’y être directement impliqués.
Avec un budget d’environ 1,2 milliard de dollars par an, la Minuss est l’une des missions les plus coûteuses au monde.