Le chercheur Mouloud Boumghar estime que « le régime a changé de nature », redoutant que la rue ne remette en cause sa survie.
Mouloud Boumghar est professeur de droit public à l’université de Picardie-Jules-Verne. Il a notamment travaillé sur la construction de la notion d’ennemi dans le droit pénal algérien et ses effets sur la restriction des libertés. Il estime que le régime se durcit car sa base sociale a fondu.
Le pouvoir algérien est en pleine escalade sécuritaire. Comment le caractériser aujourd’hui ?
C’est un régime qui est nettement plus autoritaire qu’avant. Il était autoritaire, mais avec des marges de manœuvre pour les libertés. Aujourd’hui, nous sommes entrés dans une phase dictatoriale pour plusieurs raisons : la remise en cause du pluralisme, l’instrumentalisation politique de l’accusation de terrorisme, définie très largement, et un contexte politique marqué par une militarisation et un chauvinisme conservateur assumés. D’abord, le pluralisme, qui était formel mais qui avait une sorte d’ancrage [dans la vie politique], est à peine toléré. Il y a une remise en cause progressive de ce pluralisme par des procédures de dissolution qui ont été engagées contre plusieurs partis politiques et associations. On voit aussi une pression très forte s’exercer sur les médias indépendants. Pour le régime, ces médias libres doivent se soumettre ou disparaître. C’est le premier élément. Le deuxième marqueur de ce changement de la nature du régime est la révision de la législation sur le terrorisme. Cette révision « enrichit » un arsenal législatif répressif déjà largement utilisé dans un contexte de répression constante, avec plusieurs centaines de détenus d’opinion et un nombre important de poursuites pénales et autres interdictions de sortie du territoire dont le motif réel est purement politique.
Le pouvoir accuse ses opposants de faits de terrorisme, pourquoi ?
En juin 2021, une révision de l’article 87 bis du Code pénal, qui définit l’infraction pénale du terrorisme, est intervenue par ordonnance présidentielle. Elle introduit deux nouveaux éléments parmi ses faits constitutifs. Le premier, c’est « œuvrer ou inciter, par quelque moyen que ce soit, à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels ».