Dans un Etat parfois surnommé « la Corée du Nord de l’Afrique » en raison de son régime ultra-répressif, hommes et femmes sont, dès leurs 18 ans, assujettis au service militaire illimité.
Comme beaucoup d’Erythréens, le fils de Selam* a fui la mobilisation générale dans son pays. Il ne se trouvait pas chez elle, à Asmara, quand des agents du gouvernement ont débarqué, en octobre 2022, pour le recruter de force. En représailles, c’est la mère qui a été punie : expulsée du domicile familial malgré sa maladie chronique et son âge avancé, et livrée à elle-même dans les rues de la capitale de l’Erythrée.
Le cas de la septuagénaire est loin d’être isolée. Depuis l’automne, les proches des déserteurs sont systématiquement ciblés par les autorités, souligne Human Rights Watch (HRW), dans un rapport publié jeudi 9 février. Dénonçant un système de « punition collective autour la campagne de conscription forcée », l’organisation de défense des droits humains réclame des sanctions ciblées contre des dirigeants érythréens.
Dans un Etat parfois surnommé « la Corée du Nord de l’Afrique » en raison de son régime ultra-répressif, hommes et femmes sont, dès leurs 18 ans, automatiquement assujettis au service militaire illimité. En 2016, la Commission d’enquête des Nations Unies sur les droits de l’homme en Erythrée avait qualifié ces pratiques de « mesures d’asservissement » de la population.
L’armée érythréenne, par ailleurs accusée par HRW d’avoir perpétré des « crimes de guerre et crimes contre l’humanité » au Tigré, a été pleinement engagée dans le conflit qui a déchiré le nord de l’Ethiopie, de novembre 2020 à novembre 2022, aux côtés des forces fédérales éthiopiennes. Pour soutenir l’effort de guerre, le gouvernement du président Isaias Afwerki a déclaré la mobilisation générale à l’été 2022. Même les hommes de plus de 55 ans ont été sommés de rejoindre l’Armée populaire (« Hezbawi Serawit »).
L’utilisation des coupons de rationnement
Depuis, raconte l’ONG qui s’appuie sur les témoignages de vingt-cinq citoyens érythréens, les réfractaires et les fuyards sont traqués sans relâche. Lors de visites inopinées chez les particuliers, les soldats utilisent le registre des coupons de rationnement pour déterminer si l’un des membres du foyer manque à l’appel. « Ce type de répression n’est pas nouvelle, assure Amanuel Ghirmai Bahta, journaliste au sein de Radio Erena, un média érythréen basé à Paris. Les tickets de rationnement sont souvent utilisés comme moyen de contrôle de la population. »
Même des personnalités proches du pouvoir en font les frais. Issac Mehari, présentateur de EriTV, l’unique chaîne de télévision nationale appartenant au ministère de l’information, a été détenu et sa maison confisquée après la disparition de l’un de ses fils. « Les jeunes qui s’échappent font en sorte de se terrer dans les campagnes ou de fuir à l’étranger par les chemins de contrebande », précise Amanuel Ghirmai Bahta.
Après la signature d’un accord de paix entre le gouvernement éthiopien et les insurgés du Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) le 2 novembre 2022, les forces érythréennes quittent progressivement la région éthiopienne. De retour en Erythrée, les réservistes reviennent à la vie civile. Pour combien de temps ? « Jusqu’à la prochaine conscription forcée », redoute le journaliste en exil.
Human Rights Watch demande aux autorités érythréennes de « mettre fin aux punitions collectives infligées aux proches de ceux qui refusent d’obtempérer et de se concentrer plutôt sur la réforme de son impitoyable système de service militaire à durée indéterminée ». L’organisation appelle de ses vœux un examen approfondi sur la question par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples.