Après le Sahel, c’est le Ghana et ses voisins du Golfe de Guinée qui pourraient devenir le terrain de chasse des jihadistes dont les violences se rapprochent de plus en plus.
A deux pas du lit asséché de la rivière qui marque une partie de la frontière du Ghana, Alima scrute son village de l’autre côté, au Burkina Faso. Il paraît si proche, à moins de deux kilomètres. Mais l’année dernière, des jihadistes ont débarqué, semant la terreur. Alima et ses fils se sont cachés avec les femmes et les enfants pendant que les coups de feu déchiraient la nuit. Les familles n’ont eu d’autre choix que de fuir au Ghana voisin.
“Nous restons ici pour l’instant”, insiste Alima. “Là-bas, il n’y aucune sécurité.”
L’arrivée des réfugiés burkinabè a confirmé ce qu’Accra savait déjà : le Ghana et ses voisins du Golfe de Guinée sont en passe de devenir une nouvelle ligne de front du conflit jihadiste au Sahel.
Ses voisins, ivoirien d’abord et désormais togolais et béninois, font face au débordement des violences de groupes armés se dirigeant désormais vers le Sud. Cotonou a ainsi confirmé avoir enregistré plus de 20 incursions armées depuis 2021. Pour l’heure, le Ghana a échappé à une attaque directe.
Mais selon les experts, le pays d’Afrique de l’Ouest (33 millions d’habitants) partage avec ses voisins des caractéristiques propices à l’infiltration, au financement et même au recrutement de jihadistes parmi les locaux, à savoir des frontières poreuses, une présence faible de l’Etat dans le nord, des réseaux de contrebande et des tensions intercommunautaires.
Le gouvernement a choisi de renforcer la présence militaire et de sensibiliser les communautés pour apaiser les tensions et soutenir les populations locales, disent les experts.
Le retrait des militaires français du Mali, sur fond d’impopularité des troupes étrangères sur le terrain et de différends avec la junte au pouvoir, a amené les partenaires occidentaux à regarder davantage vers les pays du Golfe. Le président ghanéen Nana Akufo-Addo a appelé à une coopération locale entre les pays voisins, notamment à des opérations militaires conjointes et un partage des renseignements.
Pendant ce temps, les autorités et riverains du nord du Ghana évoquent le danger croissant des groupes jihadistes opérant à quelques kilomètres. “La menace est réelle, on est vraiment proche de la frontière”, a déclaré à l’AFP Stephen Yakubu, ministre ghanéen de la région Nord-Est.
Le commerce affecté
Malgré les opérations multinationales, le conflit au Sahel s’est étendu du Mali au Niger et au Burkina Faso voisins. Depuis 2015, les violences ont fait deux millions de déplacés et des milliers de morts, rien qu’au Burkina.
Les actions meurtrières des groupes liés à Al-Qaïda et à l’Etat islamique au Burkina sont en partie à l’origine de deux coups d’Etat dans le pays en 2022. Ces violences n’ont cessé de se multiplier ces derniers mois notamment dans l’Est, qui partage des frontières avec Bénin, Togo et Ghana.
Cette propagation de la violence vers les pays côtiers du Golfe de Guinée était attendue, les opérations militaires ayant incité les groupes jihadistes sahéliens à se diriger vers le Sud, a affirmé en décembre le ministre ghanéen de la Sécurité nationale, Albert Kan Dapaah. “Le paysage de la menace change constamment”, a-t-il ajouté.
Dans la zone frontalière de Bawku, dans le nord du Ghana, les villageois craignent l’avenir. Avec un accès facile au Burkina, au Togo, au Bénin et au Niger à proximité, leur frontière est exposée.
Bawku est une zone vitale pour le commerce transfrontalier notamment pour les produits agricoles et le bétail. Mais les violences ont déjà réduit les échanges, à cause des attaques côté Burkina. Un exemple parmi d’autres: Bittou, à 45 minutes de route de la frontière, a été frappée en décembre par une attaque jihadiste qui a fait six morts.
Face à la menace, l’armée établit des bases avancées le long de la frontière, a assuré M. Yakubu, le ministre régional. La menace se rapproche : l’année dernière, les autorités ghanéennes soutenues par Ouagadougou ont capturé deux jihadistes présumés qui avaient trouvé refuge au Ghana, après avoir été blessés à la frontière.
“Zone de repos”
Que le Ghana ait pour l’instant été épargné par les violences tient notamment au fait que les jihadistes sont aujourd’hui plus près du Bénin, explique Saurea Stancioff de l’ONG Promediation.
Dans un rapport publié l’année dernière, la fondation Konrad Adenauer et Promediation estimaient qu’environ 200 Ghanéens avaient été recrutés par des jihadistes côté Burkina, sans que l’on sache exactement combien d’entre eux étaient revenus.
“Le Ghana semble être une zone de repos et on peut penser que les groupes veulent qu’il en soit ainsi, du moins pour l’instant”, soutient Mme Stancioff. “C’est aussi une grande zone de trafic, peut-être ne veulent-ils pas mettre cela en danger.”
Les autorités ghanéennes redoutent que les jihadistes exploitent le vaste secteur informel de l’extraction de l’or dans le pays. Si Bawku n’a pour l’heure pas subi d’attaque, certains craignent que les tensions entre deux ethnies locales – les Kusasi et les Mamprusi – profitent aux jihadistes.
Près de la frontière, la forte présence militaire et policière témoigne des risques. Un poste-frontière et l’autoroute sont gardés par les forces armées et des agents de l’immigration, qui surveillent les camions en direction du nord.
Mais dans les zones encore plus rurales, les familles burkinabè déplacées franchissent aisément la rivière asséchée, regagnant leur pays natal pour s’occuper des champs la journée. Les enfants vont toujours à l’école de ce côté de la frontière. Tous rentrent au Ghana, avant la nuit tombée.
“On entend qu’ils (les jihadistes) tuent encore des gens. On ne sait pas ce qui va arriver donc nous restons”, lâche le chef de communauté burkinabè, Dauda Wahabu.
Le chef de communauté ghanéen Abdullah Zakaria affirme que l’armée est à proximité. Mais dans les campements frontaliers, l’inquiétude grandit. “Nous avons peur qu’ils viennent ici et qu’ils nous attaquent”, confie M. Zakaria. “Cela va empirer. Cela ne va pas s’arrêter.”