Les deux provinces du Nord-Kivu et d’Ituri, dans l’est de la République démocratique du Congo, sont en proie à la violence d’une centaine de groupes armés. France 24 revient sur les trajectoires complexes de quatre des principaux groupes, le M23, les FDLR, les ADF et la Codeco.
Instables depuis des décennies, les deux provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, situées dans la région frontalière dans l’est de la République démocratique du Congo, sont placées en état de siège par le gouvernement de Félix Tshisekedi depuis mai 2021.
Cent-vingt groupes armés s’y affrontent, selon le baromètre sécuritaire KST. Cherchant à contrôler des territoires pour des motifs ethniques et/ou à en extraire les riches ressources minières, ils font régner la terreur parmi les populations civiles et les camps de déplacés. Ils sont combattus par l’armée congolaise, avec l’appui des forces de l’ONU, et par des groupes armés locaux maï-maï. Une coalition militaire, envoyée par les pays voisins et placée sous la tutelle du Kenya, est, enfin, elle aussi présente pour faire appliquer les processus de paix décidés à Luanda en novembre et à Nairobi en décembre 2022.
France 24 revient sur l’histoire des principaux groupes armés qui entretiennent le chaos dans l’est de la RD Congo.
Le M23, ou Mouvement du 23-Mars, multiplie les attaques contre les civils et tend les relations entre la RD Congo et le Rwanda
Ce mouvement à dominante tutsie est en guerre contre le gouvernement de Kinshasa et a conquis de larges pans de la région de Rutshuru, dans la province du Nord-Kivu, frontalière avec l’Ouganda et le Rwanda. Fondé une première fois en 2012 et de nouveau actif au Congo depuis la fin de l’année 2021, il s’inscrit dans une histoire longue, et notamment celle du génocide au Rwanda.
En 1994, face au génocide perpétré au Rwanda par le régime hutu contre la communauté tutsie, une colonne armée tutsie part d’Ouganda et traverse l’est du Congo pour atteindre Kigali et mettre fin au massacre, recrutant au passage des Tutsis congolais. Trois ans plus tard, des troupes menées par Laurent Désiré Kabila partent du Rwanda pour marcher sur Kinshasa et y renverser le président Mobutu. Certains des combattants en profitent alors pour régler leurs comptes avec les génocidaires rwandais, majoritairement hutus, réfugiés au Nord-Kivu.
Le M23 est l’un des héritiers de cet épisode de la première guerre du Congo, et s’inscrit dans la continuité des mouvements rebelles tutsis : créé une première fois en 2012, il est maté un an plus tard par l’État congolais, appuyé par une force d’intervention de l’ONU. Ses combattants se réfugient alors au Rwanda et en Ouganda.
Fin 2021, certains d’entre eux, rentrés au Congo, accusent le gouvernement de Félix Tshisekedi de ne pas respecter un accord de démilitarisation conclu en 2009 et réactivent le M23. Celui-ci parvient depuis à infliger des défaites régulières à l’armée congolaise. Des massacres de civils lui sont également imputés, comme celui de Kishishe et Bambo en novembre dernier, où au moins 131 villageois ont été tués, selon une enquête préliminaire des Nations unies, dont les experts n’ont pas encore pu se rendre sur place. De son côté, le M23 nie son implication dans ce massacre.
La proximité historique, ethnique et géographique du M23 avec le régime rwandais poussent les autorités de la RD Congo à accuser son voisin de le soutenir, ce que Kigali dément. Depuis la reprise du conflit, le groupe armé est donc au cœur des tensions entre les deux pays. Les liens entre le Rwanda et le M23 ont néanmoins été accrédités par un rapport confidentiel de l’ONU, et plusieurs diplomaties, dont celles de l’Union européenne, des États-Unis, de la Belgique, de l’Allemagne et de la France, ont appelé le Rwanda à cesser d’aider le M23 en décembre 2022.
Les combattants du M23 se nourrissent aussi des frustrations causées par la mauvaise gouvernance congolaise ; et, s’il est, historiquement, composé de Tutsis, le groupe est de moins en moins homogène en termes ethniques.
Les FDLR, ou Forces démocratiques de Libération du Rwanda, combattent le M23 aux côtés de l’armée régulière congolaise dans une alliance de circonstance, selon l'ONU
Ce groupe, composé à l’origine de génocidaires hutus ayant fui le Rwanda après le changement de régime en 1994, est, lui aussi, présent au Nord-Kivu depuis sa création dans les années 2000. Il est responsable de la diffusion, dans l’est du Congo, d’une idéologie anti-tutsie. Liées à une multitude de groupes à dominante hutu congolaise, les FDLR sont actuellement composées de combattants congolais et rwandais qui contrôlent certaines zones du Nord-Kivu.
Face au retour en force du M23 dans la région, le groupe, sur le déclin, s’est allié, selon l’ONU, aux forces régulières congolaises dans une alliance de circonstance, ce que Kinshasa dément.
Plus au nord, la province de l’Ituri, frontalière avec l’Ouganda, connaît, elle aussi, ses propres conflits.
Les ADF, les Forces démocratiques alliées, une violente rébellion d’origine ougandaise liée au groupe État islamique, en lutte contre les armées congolaise et ougandaise
Considérées comme le groupe le plus violent de la région, les Forces démocratiques alliées (ADF) sont à l’origine un mouvement armé d’opposition au président ougandais Yoweri Museveni. Marginalisés dans les années 1990 en Ouganda, ses combattants se sont réfugiés au Congo voisin.
Depuis 2014, et le début d’une forte campagne de répression à leur encontre menée par le Congo et l’Ouganda, son usage de la violence a explosé : on lui impute le massacre de milliers de civils et de nombreux attentats.
Musulmans depuis les années 2000 et liés au groupe État islamique (EI) depuis 2015, ces combattants promeuvent une foi salafiste dans un Congo majoritairement chrétien. Ils sont notamment tenus pour responsables de l’attentat à la bombe ayant fait au moins 10 morts mi-janvier dans une église de la cité de Kasindi, revendiqué par l’EI. Dans le même temps, ils sont très insérés en Ituri, et leur lutte est donc également liée à des conflits locaux et à des tensions régionales.
La Codeco, un mouvement disparate se présentant comme le protecteur de la communauté Lendu, contre les Hemas et l’armée congolaise
Cet ensemble de groupes armés affirme protéger, depuis 2017, les intérêts de la communauté Lendu, majoritaire dans la région en Ituri, face à la communauté Hema. Nommé en référence à une entreprise agro-religieuse disparue appelée “la Coopérative de développement économique du Congo”, le mouvement est divisé en plusieurs factions plus ou moins institutionnalisées et commet de nombreuses exactions. Ils sont ainsi soupçonnés d’être à l’origine de la mort de plus de 80 personnes depuis début janvier, dans les territoires de Djugu et de Mahagi.
Initié par la colonisation belge, qui avait favorisé les Hemas au détriment des Lendus, ce conflit intercommunautaire ancien recouvre aussi des tensions liées à la gestion du pouvoir local et à l’utilisation de la terre, les seconds étant plutôt agriculteurs et les premiers plutôt éleveurs.
Il serait néanmoins trop simple de le résumer ainsi : un rapport du Governance in Conflict Network, publié en avril 2021, affirme qu’”un examen plus approfondi suggère que cette binarité est fluide”. Le conflit est donc complexe et se situe à plusieurs niveaux dans l’ensemble de l’Ituri.