Ces soldats ivoiriens avaient été officiellement condamnés par la justice malienne pour, notamment, « complot contre le gouvernement » et « atteinte à la sûreté extérieure de l’État. » Les informations dévoilées aujourd’hui par RFI montrent que c’est bien dans le cadre de la Minusma que ces soldats sont arrivés au Mali, à la demande du contingent allemand.
Dès leur arrestation, Abidjan affirmait que ses 49 militaires étaient des NSE (National Support Element), des éléments appuyant les casques bleus de la Minusma (communiqué du Conseil national de sécurité du 12 juillet). Ce que la Mission onusienne avait elle-même déclaré dès le 11 juillet, avant de faire mystérieusement machine arrière trois jours plus tard (déclaration d’un porte-parole du siège onusien à New-York diffusée sur RFI le 14 juillet).
Cette volte-face avait conduit à l’expulsion par Bamako du porte-parole de la Minusma moins d’une semaine plus tard, et ouvert un boulevard aux autorités de transition pour accuser les soldats ivoiriens d’être venus déstabiliser le Mali. Le feuilleton durera six mois, les Nations unies appelant à la libération des 49 sans jamais préciser clairement leur statut réel. Selon plusieurs documents internes onusiens que RFI a pu se procurer, c’est pourtant bien la Minusma qui a fait venir les 49 militaires ivoiriens, et plus précisément le contingent allemand de la mission onusienne.
Les vols qui avaient permis aux soldats ivoiriens d’effectuer leurs rotations le 10 juillet dernier ont été soumis aux autorités maliennes comme devant servir au transport de troupes du contingent allemand. Depuis juillet 2019, date de la signature d’une convention entre Abidjan et les Nations unies (un MOU, Memorandum of Understanding), sept contingents ivoiriens s’étaient succédé à Bamako et étaient considérés comme des NSE.
Les 49 soldats arrêtés constituaient la huitième relève. Or, selon les documents consultés par RFI, c’est le contingent allemand de la Minusma stationné à l’aéroport de Bamako qui a fait les demandes de cartes d’identification de ces soldats ivoiriens. Dans certains cas, des noms allemands et ivoiriens apparaissent même sur la même liste. Et c’est à la demande du contingent allemand que les prédécesseurs des 49 avaient été décorés, par le commandant de la force onusienne lui-même, le 10 juin dernier, un mois tout juste avant l’arrivée des 49 qui devaient leur succéder. Une cérémonie dont les images avaient été diffusées comme preuve de leur bonne foi par les autorités ivoiriennes qui n’avaient cependant pas précisé l’origine de la demande de décoration.
471 NSE en soutien au contingent allemand
Dès le début de l’affaire, la Côte d’Ivoire avait mentionné un contrat liant son armée à la compagnie privée SAS (Sahel Aviation Service) qui avait alors précisé être « mobilisée » sur le cas des soldats ivoiriens, sans donner davantage de précision. Le contrat portait, selon Abidjan, sur la sécurité et la logistique d’un site à l’aéroport de Bamako. De source onusienne, ce site abrite les NSE du contingent allemand et n’est pas géré par la Minusma elle-même.
En juin 2022, le contingent allemand déclarait auprès de la Minusma que 471 soldats soutenaient ses activités avec le statut NSE, sans préciser leur nationalité. Un chiffre pléthorique, largement supérieur aux 50 théoriquement autorisés par les règles onusiennes (« Policy on NSE » de 2015), sauf raison exceptionnelle.
Comment l’Allemagne justifie-t-elle le recours à 471 NSE ? Les soldats ivoiriens étaient-ils comptabilisés dans ce chiffre ? Existe-t-il un lien contractuel entre l’Allemagne et la compagnie Sahel Aviation Service ? Dans une note adressée aux autorités maliennes, la Minusma indiquait fin juillet ne pas être informée d’un contrat passé entre l’Allemagne et des tiers pour la sécurisation de ses NSE basés à Senou (aéroport de Bamako). La Minusma était-elle informée du contrat signé entre Abidjan et la société Sahel Aviation Service ?
Jusqu’ici, seule la partie ivoirienne a reconnu « des manquements et des incompréhensions » dans l’arrivée au Mali de ses 49 militaires, sans pour autant en préciser la nature. C’était en septembre dernier, lors de la libération de trois soldates parmi les 49 arrêtés. En dépit de ce qui avait alors été présenté comme un « geste humanitaire » consenti par Bamako, ces trois soldates ont finalement été condamnées à mort par contumace le mois dernier par la Justice malienne.
Ni confirmé ni démenti par l’ONU
Sollicitées par RFI, les Nations unies n’ont ni confirmé, ni démenti toutes ces informations. Dans sa réponse, le siège onusien à New York estime qu’« il ne serait pas approprié pour les Nations unies de transmettre des informations relatives à des sujets opérationnels et administratives (sic) internes ainsi qu’aux correspondances diplomatiques afférentes avec les autorités maliennes et les autorités des États membres qui ont fourni du personnel à la Minusma. » Quant aux autorités allemandes – ambassade à Bamako et ministère de la Défense à Berlin –, elles n’ont pas donné suite.
Ces nouvelles informations confirment à la fois que les soldats ivoiriens arrêtés, condamnés puis libérés sont bien venus au Mali dans le cadre de la Minusma, mais avec de nombreuses irrégularités administratives dont ni le contingent allemand, ni la Mission onusienne elle-même, n’ont pris leur part de responsabilité. Du moins publiquement. Le 14 juillet dernier, quatre jours après l’arrestation des 49 soldats ivoiriens, le Mali avait suspendu tous les vols de la Minusma. Ces vols n’avaient pu reprendre qu’un mois plus tard, après une remise à plat entre les deux parties du protocole d’autorisation des rotations par les autorités maliennes.