Selon les résultats provisoires, le parti du président Talon obtient une forte majorité avec 81 sièges sur 109 que compte le Parlement.
Sous un hangar de la cour où siège la Commission électorale nationale autonome (CENA), des dizaines de sacs sont entassées les uns sur les autres. A l’intérieur se trouvent les bulletins de vote, les tampons, les registres et les flacons d’encre indélébile ayant servi aux élections législatives organisées dimanche. Sous escorte militaire, l’ensemble du matériel électoral a été acheminé à travers le Bénin jusqu’à Cotonou, la capitale économique. Dans une pièce de la CENA située à côté du préau où sont entreposés les sacs volumineux, Sacca Lafia, président du conseil électoral, a égrainé les résultats du scrutin mercredi 11 janvier.
Après quatre ans d’absence, l’opposition fait son retour à l’Assemblée nationale. Avec 24,2 % des voix, Les Démocrates (LD) raflent 28 sièges, autant que le Bloc républicain (29,17 % des suffrages), mais quasiment deux fois moins que l’Union progressiste-Renouveau (53 sièges ; 37,5 %). Ces deux dernières formations, proches de la mouvance présidentielle, confirment la mainmise du président Patrice Talon sur l’échiquier politique depuis sa première élection en avril 2016. Mais, avec un taux de participation de 38,6 %, le scrutin n’a pas mobilisé les Béninois.
Pour Les Démocrates, le parti cofondé par l’ancien président Thomas Boni Yayi, cette entrée au Parlement est capitale, mais elle ne contente personne. En attribuant 28 sièges au mouvement, la CENA « a provoqué notre surprise et notre désaccord, ont-ils fait savoir dans un communiqué publié dans la nuit. Le parti rejette ce verdict qui ne reflète pas la volonté du peuple de faire des Démocrates la première force politique du pays ». Le principal parti d’opposition, qui dénonce « une corruption massive des électeurs à travers la distribution de billets de banque et les flagrants délits de bourrage d’urnes », a déposé des recours auprès de la Cour constitutionnelle qui doit rendre définitifs, vendredi, les résultats. « Le parti exhorte les militants au calme et à la sérénité en attendant son avis, ont écrit les responsables du mouvement. Il les invite à se tenir prêt pour tout mot d’ordre qui conviendrait face à la situation. »
« Intimidations et menaces »
Même si Les Démocrates s’imposent dans les villes de Cotonou et de Parakou, la déception est à la hauteur des espoirs que leur liste avait suscités. En 2019, à cause d’un nouveau cadre législatif, l’opposition n’avait pu se présenter, donnant lieu à un Parlement « monocolore ». Ces législatives avaient été marquées par des violences faisant au moins deux morts, une abstention record (plus de 70 %) et une coupure d’Internet, des faits rares dans un pays réputé pour sa stabilité et sa vigueur démocratique.
Quatre ans plus tard, Les Démocrates avaient reçu le 18 novembre 2022 le récépissé définitif qui les autorisait à participer au scrutin de dimanche après un véritable marathon administratif, la liste ayant d’abord été rejetée (à cause d’attestations fiscales manquantes pour quatre candidats), avant d’être repêchée in extremis par un arrêt de la Cour constitutionnelle puis d’obtenir le feu vert de la CENA.
Tous les espoirs étaient alors permis. Selon ses propres estimations, le parti devait devenir « le premier du Bénin », promettait même Eric Houndété, président des Démocrates, lors d’une conférence de presse organisée au lendemain du vote. « Les législatives se sont déroulées dans un climat apaisé malgré les intimidations et les menaces, déplorait toutefois l’ancien vice-président de l’Assemblée nationale, qui espérait conquérir une soixantaine de sièges au Parlement. Le parti suit avec une grande attention le déroulement du processus post-scrutin. »
Avec 28 sièges, Les Démocrates (LD) pourront-ils peser sur la vie politique ? Seuls l’Union progressiste-Renouveau (UP-R), le Bloc républicain (BR) et LD se partageront les sièges du Parlement, tous trois ayant recueilli plus de 10 % des suffrages, le seuil exigé pour entrer à l’Assemblée nationale. Les négociations avec les deux autres partis s’annoncent complexes, le premier objectif de l’opposition étant de faire voter une loi d’amnistie pour les prisonniers politiques. Reckya Madougou, ancienne ministre de la justice et ex-candidate des Démocrates à la présidentielle de 2021, a été condamnée à vingt ans de réclusion pour « financement du terrorisme ». La CRIET, une cour spéciale que les adversaires du président jugent instrumentalisée, a également condamné le constitutionnaliste Joël Aïvo à dix ans de prison pour « complot contre l’autorité de l’Etat ».
« Une insulte à l’intelligence »
« Le peuple en a ras le bol de la gouvernance du président Talon, a écrit Nadine Okoumassoun, porte-parole des Démocrates, sur sa page Facebook. Il n’est pas question pour moi d’accepter ce résultat qui constitue une insulte à l’intelligence des Béninois. »
Patrice Talon a lancé de vastes projets de développement dans son pays, dans des secteurs aussi variés que le sport, le tourisme ou la numérisation de l’administration. « Le scrutin consolide notre place de leader, se félicite Orden Alladatin, membre de la direction exécutive nationale de l’UP-R. Il montre aussi que la classe politique qui soutient le président Talon est majoritaire puisqu’elle obtient 81 sièges [sur 109, dont 24 réservés aux femmes selon le nouveau Code électoral]. Les Démocrates ont participé à cette élection et c’est une bonne chose, car il n’y a pas de démocratie sans opposition. Je leur demande maintenant de respecter le résultat des urnes et le jeu démocratique. »
Ces législatives interviennent alors que le mandat des six juges de la Cour constitutionnelle s’achève cette année, et que la prochaine présidentielle aura lieu en 2026. Trois de ses membres sont nommés par les députés, trois autres par le président. Patrice Talon a annoncé qu’il ne se représenterait pas et a même fait graver dans la Constitution qu’un président ne pouvait effectuer plus de deux mandats. La nouvelle forte majorité que son parti a obtenu au Parlement pourrait-elle le faire changer d’avis ? « Tout ce qu’il fait est pour encourager le développement du pays, répond Orden Alladatin. Ces élections montrent que le peuple soutient les réformes qu’il a engagées. Il n’est pas question de troisième mandat. Il ne faut pas spéculer sur cela. »