Depuis le mois d’août, une coalition qui allie l’armée somalienne à des milices claniques est à l’offensive et continue de regagner du terrain sur le groupe jihadiste. La dynamique est inédite, mais elle n’est pas sans risques.
De notre correspondante à Nairobi,
Sourire aux lèvres et la main sur le cœur, le Premier ministre somalien Hamza Abdi Barre arpente les rues de la localité d’Adan Yabaal, sous les applaudissements de quelques habitants. La photo, prise le 14 décembre, circule en Somalie, abondamment relayée par les médias d’État. Cela faisait plus de dix ans qu’Adan Yabaal, à 200 km au nord de Mogadiscio, était sous le joug des islamistes shebabs. Début décembre, une coalition de forces spéciales somaliennes alliées à des milices locales a fini par les en chasser.
Adan Yabaal est une ville stratégie. Il s’agissait du quartier général des shebabs dans la région d’Hirshabelle. Sa prise constitue une avancée significative dans le cadre de l’offensive menée depuis août dernier. À l’origine, il s’agit d’un soulèvement de milices paysannes, baptisées Ma’awisley – porteurs de ma’awis, le sarong des fermiers somaliens – contre le joug shebab. Mais le gouvernement de Mogadiscio, récemment élu, a su tirer parti de cette contestation clanique, en envoyant ses forces spéciales à l’appui ainsi que des munitions.
Tournant
Les soulèvements locaux de milices claniques contre les shebabs ne sont pas un phénomène nouveau. Mais leur alliance avec l’armée fédérale est elle, en revanche, inédite, et pourrait de l’avis de plusieurs analystes constituer « un tournant ».
« Le gouvernement a su sentir que c’était le moment de tirer profit de ce soulèvement. Nous avons donc d’un côté des milices claniques qui maîtrisent parfaitement le terrain et les dynamiques locales, et de l’autre des forces spéciales somaliennes qui leur fournissent munitions et soutien », analyse Samira Gaid, directrice de l’Institut de recherche Hiraal, et ancienne conseillère du Premier ministre. Entamée en Hiraan, l’offensive s’étend et permet à la coalition de grignoter peu à peu du terrain sur les islamistes dans le centre du pays, grâce aussi à des frappes de drones menées en appui par les Turcs et les Américains.
« D’ici à quelques semaines, deux États seront entièrement libérés des shebabs. Déjà, nous avons coupé certaines de leurs lignes d’approvisionnement et ils ne peuvent plus circuler partout comme autrefois », se félicitait, vendredi dernier, le président Hassan Cheikh Mohamoud, interviewé par Al Jazeera.
Après les années d’inertie face aux groupes jihadistes qui ont marqué le second mandat du président sortant, l’attitude offensive d’Hassan Cheikh Mohamoud, au pouvoir depuis mai, tranche. Elle suscite espoir et soulagement dans les chancelleries. « Ils avancent vite. C’est à se demander ce qu’ils faisaient avant », souligne une source diplomatique.
« Pas de plan pour la suite »
« Le changement est tangible. C’est encourageant. Mais cette nouvelle stratégie présente aussi des limites et des risques », avertit un expert régional.
Parmi les défis qui se posent à Mogadiscio : celui de « tenir » les territoires récemment reconquis. Mi-novembre, après avoir ardemment combattu pour reprendre Wabho, dans le Galmudug, les forces spéciales somaliennes et leurs milices alliées ont dû se retirer pour poursuivre l’offensive. Quatre jours plus tard, les shebabs revenaient à Wabho pour planter leur drapeau. Ni l’armée nationale ni la police ne sont en nombre suffisant pour occuper les localités libérées du joug des islamistes.
« Le président somalien a su saisir l’opportunité que représentait cette révolte clanique, mais il n’a pas de plan pour la suite », déplore une source humanitaire. « Les milices claniques ne sont pas une solution miracle », dit-il. « Il est facile de faire la guerre. Il est difficile de construire des institutions », abonde une source diplomatique.
Pour installer durablement son autorité sur les territoires reconquis, Mogadiscio sait qu’elle va devoir offrir aux populations qui y vivent, une administration et des services. « Mon gouvernement fera tout ce qu’il peut pour rétablir […] les services de santé, les écoles, l’eau potable et l’électricité », déclarait mi-décembre le Premier ministre Barre en visite à Adan Yabaal. Les besoins sont immenses. Mais le budget de la Somalie reste très limité. Mogadiscio est en discussion avec ses partenaires pour trouver les moyens de financer ce travail de « stabilisation ».
La question des milices claniques
Un autre risque, souvent pointé du doigt, concerne le rôle et le devenir des milices claniques. « Armer des miliciens est toujours dangereux », prévient une source au sein de la mission de l’Union africaine en Somalie. Le gouvernement somalien s’en défend. Il assure qu’elles combattent avec leurs propres armes – qui circulent facilement dans le pays – et ne leur fournir que des munitions. Quoi qu’il en soit, en chassant les shebabs, « ces milices vont être vues comme légitimes et pourraient ensuite réclamer leur dû » prévient un analyste. Autrement dit « refuser de se plier au pouvoir central ». Le risque est aussi que ces opérations « renforcent l’idée qu’il est possible de défaire les shebabs militairement », poursuit cette source. Un « leurre » selon lui.
Actuellement, les opérations se concentrent dans l’État du Hirshabelle et, dans une moindre mesure, celui de Galmudug. Mais leur « modèle » semble difficilement transposable à l’ensemble des zones sous contrôle shebab dans le pays. « La dynamique des clans n’est pas la même dans le reste du pays », explique Omar Mahmoud, spécialiste de la Somalie à l’International Crisis Group.
« Le paysage clanique y est beaucoup moins homogène », abonde Samira Gaid. « Dans le Jubaland par exemple, il sera beaucoup plus difficile de convaincre les clans de travailler ensemble pour se soulever contre les shebabs », estime la chercheuse. Dans ces zones, un travail politique de réconciliation des clans s’impose au préalable. D’autant que le groupe jihadiste est passé maître dans l’art d’attiser les rivalités entre clans pour maintenir son avantage. Elles existaient avant lui et ont constitué l’un des terreaux de son expansion.