Le sommet États-Unis-Afrique s’ouvre mardi 13 décembre à Washington, les dirigeants de 49 pays africains et de l’Union africaine étant conviés pendant trois jours dans la capitale américaine, pour parler sécurité, économie, santé ou encore changement climatique. Les États-Unis veulent réaffirmer leur intérêt pour le continent africain, après la présidence de Donald Trump.
Le président américain se livre à un exercice de rattrapage, estime une source ouest-africaine. Si chaque pays a ses propres attentes, indique cette même source, l’ensemble du continent se réjouit du retour de Washington. Pendant son mandat, le prédécesseur de Joe Biden, Donald Trump n’avait en effet jamais caché son désintérêt pour l’Afrique. Il s’agit du deuxième sommet après celui organisé par Barack Obama en 2014, rapporte notre envoyée spéciale à Washington, Magali Lagrange.
Les sujets de discussions de ces trois jours sont variés : lutte contre le terrorisme, contre le changement climatique, sécurité alimentaire, économie ou encore Agoa, du nom de l’accord visant à faciliter les exportations africaines vers les États-Unis, et qui est prolongé jusqu’en 2025.
Du côté américain, il y a une volonté de se rapprocher de l’Afrique, au moment où d’autres partenaires ont pris plus d’importance sur le continent, comme la Chine ou la Russie. Les États-Unis veulent aussi mettre l’accent sur l’importance des voix africaines sur la scène internationale.
Un dialogue « ouvert » et « même avec ceux avec qui il y a des divergences »
Ayant invité 49 pays ainsi que l’Union africaine (UA), les États-Unis veulent un sommet « ouvert », « même avec ceux avec qui il y a des divergences », insiste la secrétaire d’État adjointe en charge de l’Afrique Molly Phee. Elle ajoute que « cela reflète l’engagement du président et du secrétaire d’État américains à mener des discussions respectueuses ».
Un forum des affaires aura également lieu avant le point culminant de la réception à la Maison Blanche jeudi 15 décembre. Pour l’administration américaine, il s’agit avant tout de se rapprocher du continent. Le changement de ton se veut complet : dialogue, priorités et intérêts partagés sont les éléments de langage qui reviennent, selon notre correspondant à Washington, Guillaume Naudin.
Un contexte géopolitique tendu
On y parlera sans doute du contexte géopolitique, même si l’administration Biden se garde bien de mettre ces préoccupations en avant. Elle s’inquiète de la présence militaire russe et de l’influence économique grandissante de la Chine sur le continent.
Les conflits et les points de tension ne manquent pas. En particulier au Sahel, où les États-Unis coopèrent militairement avec la France, notamment en fournissant du renseignement par leurs drones. Mais l’armée française a quitté le Mali, et sa présence au Burkina Faso est en question. Les États-Unis doivent donc s’adapter à un nouvel environnement.
« En août de cette année, les États-Unis ont émis une stratégie pour l’Afrique », explique Paul-Simon Handy qui dirige le bureau de l’institut d’études et de sécurité à Addis-Abeba. « Un document innovant en ce sens que pour la première fois, on voit les États-Unis se projeter, définir des intérêts stratégiques en Afrique, développant une vision qui va au-delà des intérêts de stabilité à court terme, qui ont été finalement le crédo des États-Unis, comme de plusieurs pays occidentaux, européens en particulier, en Afrique. Stabilité à court terme qui a mené notamment à la durée de certains régimes autocratiques en Afrique avec les conséquences que l’on sait aujourd’hui. Donc, ils essaient aujourd’hui de définir leur propre vision stratégique, tout en restant un allié stratégique de la France ».
Joe Biden fera aussi un discours devant les milieux économiques et les dirigeants d’entreprises. De son côté, Jon Temin vice-président des programmes politiques au centre Truman pour la politique nationale, espère qu’il y aura aussi des messages sur ces sujets. « J’espère qu’il va vraiment insister sur la démocratie, les droits humains et la bonne gouvernance autant que les questions économiques et les intérêts du secteur privé. Je crois qu’il y a un fort intérêt à avoir davantage d’entreprises américaines qui investissent en Afrique, ce qui est mutuellement intéressant et les États-Unis sont derrière dans certains domaines de ce point de vue. »
Washington annonce 55 milliards de dollars sur trois ans pour l’Afrique
Peu avant, le conseiller à la sécurité nationale du président américain Jake Sullivan a annoncé que les États-Unis « vont consacrer 55 milliards de dollars à l’Afrique sur trois ans ». Les fonds seraient consacrés à la santé et à la réponse au changement climatique, mais sans donner de détails sur leur provenance ou leur répartition.
Il a assuré que ces financements, et plus généralement l’engagement américain, ne seraient pas liés à l’attitude des pays africains face à la guerre en Ukraine, à l’heure où nombre d’entre eux refusent de condamner ouvertement la Russie.
Au sein de l’UA, une source salue la disponibilité de Washington sur ces thèmes, mais précise que la stratégie du continent consiste à diversifier ses partenaires internationaux, qu’il s’agisse des États-Unis, de la Chine ou de l’Union européenne. Elle précise que les partenariats se mesurent surtout à la réalisation des projets, au-delà des effets d’annonces.
Le Burkina Faso, la Guinée, le Mali et le Soudan absents
Mais plusieurs pays du continent ne seront pas représentés à ce rendez-vous. Le Burkina Faso, la Guinée, le Mali et le Soudan n’ont pas reçu leur carton d’invitation pour le sommet de Washington. Ces quatre pays, qui ont connu des coups d’État, sont sous sanctions de l’Union africaine et les États-Unis disent s’être basés sur la ligne de l’UA. Le Tchad, en revanche, est convié puisqu’il n’est pas sous sanctions de l’organisation continentale.
Deux autres membres de l’UA ne sont pas conviés, indiquent les États-Unis. L’Érythrée – avec qui Washington précise ne pas avoir de relations diplomatiques entières – et la République arabe sahraouie démocratique. Sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis ont reconnu la « marocanité » du Sahara Occidental, une position ensuite confirmée par Joe Biden.
Le président camerounais Paul Biya à Washington après des années de relations tendues
Parmi ceux qui ont répondu présent, le président camerounais Paul Biya est arrivé samedi 10 décembre dans la soirée. À bientôt 90 ans, il participe désormais rarement à des évènements de ce type et ne s’était rendu aux États-Unis depuis une assemblée générale de l’ONU en 2017. Sa présence souligne une certaine volonté de se réconcilier avec Washington après plusieurs années de relations délicates sur fond de crise dans les régions anglophones. Au fil du conflit, débuté fin 2016, Washington a durci le ton à mesure que des accusations de violations des droits de l’Homme ont été portées contre les forces de défense et de sécurité camerounaises.
En février 2019, l’administration américaine a ainsi mis fin à plusieurs programmes d’assistance et de formation militaire, et bloqué une livraison de matériel. Puis, en novembre de la même année, le président Donald Trump a exclu le Cameroun de l’Agoa. Si sur le terrain, le conflit continue, la délégation camerounaise plaidera néanmoins pour un retour du pays dans l’accord au cours de ce sommet axé sur le commerce et les investissements.
La délégation camerounaise, composée de dix membres, cherchera aussi à obtenir davantage de soutien dans la lutte contre le financement des groupes armés séparatistes. Le Cameroun a noté une avancée sur ce sujet avec l’inculpation il y a deux semaines par la justice américaine de trois Américains d’origine camerounaise qui avaient collecté en ligne 350 000 dollars : l’argent aurait servi à acquérir des armes, des explosifs, mais aussi à préparer des enlèvements dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
La presse camerounaise a relayé la possibilité d’un tête-à-tête entre Paul Biya et Joe Biden. Toutefois, les organisateurs assurent que le président américain ne prévoit aucun aparté avec les participants au sommet.