Lundi, les autorités maliennes ont donné 72h à l’ambassadeur français à Bamako pour quitter le territoire. La France, engagée militairement au Mali, s’est donné deux semaines pour envisager son avenir dans le pays. Pour Richard Moncrieff, directeur du projet Sahel à l’International Crisis Group (ICG), un point de rupture a été atteint après des semaines de tensions de plus en plus fortes.
RFI : Est-ce que l’on touche à la fin de la relation entre la France et le Mali ?
Richard Moncrieff : Rien n’est définitif dans la vie… Mais c’est quand même une rupture diplomatique très importante. Il est quand même très frappant que les deux pays n’aient pas réussi à régler leur problème en coulisse. Quand cela se fait en public, c’est beaucoup moins facile de revenir en arrière, parce qu’on a l’honneur à sauver. Bamako qui se rapproche de Moscou, qui s’éloigne de l’Union européenne et de la France en même temps. C’est certainement une grande rupture.
Vous pensez qu’il faut voir, dans cette crise diplomatique, un moyen d’éloigner la France et d’obtenir le départ de l’opération Barkhane du Mali ?
Si le Mali veut le départ de l’opération Barkhane, le Mali n’a qu’à le demander. Qu’est-ce qui est derrière la position de la junte ? Ce n’est pas très facile à voir, quelque part. Parce qu’ils jouent à un jeu de poker avec les partenaires internationaux, mais ils sont quand même, cette fois, allés très loin. Donc il est très probable que la junte joue la carte intérieure. C’est-à-dire que leurs positions vis-à-vis de la France ont pour objectif de renforcer leur soutien dans les rues de Bamako, où le sentiment anti-Français est très fort.
Est-ce que vous pensez que la France, avec des phrases qui ont été très dures, joue aussi, peut-être, une carte intérieure dans ses réactions par rapport à Bamako ?
Oui, parfaitement. Je crois que le contexte électoral français n’est pas étranger à la situation. Il faut aussi ajouter que l’opération Barkhane – la présence des troupes françaises – n’a pas donné de bons résultats au Sahel depuis des années. Cela s’était déjà remarqué en France, avant l’escalade récente entre Bamako et Paris.
Il faut, à mon avis, arrêter avec les tribunes publiques, qui n’aident pas à désamorcer une situation.
Dans ce contexte de crise diplomatique actuelle, quelle peut être la réaction française ? Quelles options reste-t-il à Paris ?
À mon avis, l’essentiel est de revenir à la diplomatie de coulisse. Il faut, à mon avis, arrêter avec les tribunes publiques, qui n’aident pas à désamorcer une situation. Le moment n’est peut-être pas propice, parce qu’il est aussi important, au préalable, que les autorités à Bamako règlent leur différend avec la Cédéao.
Le Mali apparaît isolé, en ce moment – en tout cas dans la région –, et donc maintenant s’isole un peu plus… Est-ce que c’est une situation tenable ?
Le Mali n’est pas forcément si isolé que cela, puisque la Cédéao, la région ouest-africaine, est quand même assez divisée. D’une part, ils ont déployé des sanctions. Mais d’un autre côté, il y a des militaires au pouvoir en Guinée et au Burkina – deux voisins directs du Mali – et un soutien accru de Moscou… Donc ils ne sont pas totalement isolés, quand même. Est-ce qu’ils peuvent tenir ce régime de sanctions de la Cédéao ? C’est possible qu’ils puissent tenir des mois, effectivement.
Les Russes ont tendance à se payer sur les ressources du pays.
Le partenariat russe peut-il remplacer celui avec la France ?
Remplacer… Cela dépend ce que cela veut dire. La présence française est plus conséquente, plus soutenue dans le temps, (elle) est financée par la France… La présence russe est toute différente. Les Russes ont tendance à se payer sur les ressources du pays, ils sont moins nombreux… Si on regarde l’exemple de la Centrafrique, ils sont capables de lutter contre les groupes armés un certain temps, dans les villes, autour des sites miniers… Mais ils ne sont pas capables, pas plus capables que les autres, de permettre le retour de l’État dans les zones rurales du pays, ce qui est fortement nécessaire.