Trois mois après son démarrage, où en est la transition au Tchad ? Sitôt la mort d’Idriss Déby annoncée le 20 avril, les militaires mettaient en place le Conseil militaire de transition, censé mener cette transition en 18 mois. Le Conseil national de transition, lui, est toujours attendu, de même que le dialogue inclusif, ce qui interroge quant au respect du délai fixé.
La transition a débuté dès le lundi 19 avril, alors que la dépouille d’Idriss Déby a été ramenée à Ndjamena mais qu’il n’est pas encore annoncé réélu à la présidence. La journée est chargée au palais présidentiel : Mahamat Idriss Déby est placé à la tête d’un Conseil militaire de quinze membres, dans des circonstances encore incertaines. Officiellement, le président de l’Assemblée nationale Haroun Kabadi a volontairement refusé d’assumer la charge dévolue par la Constitution. Celui-ci est officiellement devenu mi-juin le secrétaire général du MPS, le parti de l’ancien président.
Mahamat Idriss Déby n’est pas le fils le plus connu du « Maréchal ». Avant lui, Zakaria fut un temps dans les pas de leur père, avant d’être nommé ambassadeur dans le Golfe, pour « l’éloigner » disent les critiques. Son petit frère Abdelkerim, cadet de la prestigieuse académie militaire de West Point, polyglotte au physique avenant, avait rejoint le cabinet présidentiel et attisé la curiosité des observateurs. Mais c’est bien lui, Mahamat dit « Kaka », le directeur général de la DGSSIE, la garde présidentielle, général de corps d’armée, qui obtient la confiance des cadres de l’appareil militaire et sécuritaire tchadien, pour en assurer la préservation.
La Constitution suspendue
Le 20 au matin, la Constitution est suspendue, le Conseil militaire de transition (CMT) est mis en place. Le lendemain, une charte est publiée. Elle prévoit à côté du CMT, un CNT, Conseil national de transition, de 93 membres « issus de toutes les classes de la société », chargé du pouvoir législatif et d’examiner le projet de nouvelle Constitution. La charte prévoit aussi un gouvernement de transition, et fixe une durée de 18 mois pour adopter une Constitution et organiser des élections. Délai renouvelable une fois en cas de blocage. Dès l’annonce de la charte, opposants et société civile doutent de la sincérité des militaires.
Le 27 avril, Mahamat Idriss Déby s’adresse pour la première fois à ses compatriotes, qui pour la plupart découvrent le son de sa voix. Dans un français hésitant, il assure que « les membres du CMT sont des soldats qui n’ont d’autre ambition que celle de servir loyalement et avec honneur leur patrie ». Après une matinée marquée par des manifestations dont la répression a fait une dizaine de victimes, il promet un « gouvernement de réconciliation nationale » et un dialogue national inclusif qui « n’éludera aucun sujet d’intérêt national ». Il réaffirme l’objectif d’« organiser des élections démocratiques, libres et transparentes dans les meilleurs délais » avant de conclure par un appel à « l’union sacrée ».
Comme Premier ministre, son choix s’est porté sur Albert Pahimi Padacké. Un homme qui a longtemps servi son père avant de s’y opposer, et de concourir à la dernière présidentielle. Son gouvernement, formé le 2 mai, s’ouvre au-delà de la précédente majorité, intégrant notamment l’opposant Mahamat Ahmat Alhabo à la Justice, la candidate à la présidentielle Lydie Beassemda, et des membres de l’UNDR de Saleh Kebzabo.
Où en est la transition aujourd’hui ?
Pour ce qui est du CNT, sa création est toujours attendue. Les opposants ayant joué le jeu de la transition espèrent y influer sur les débats sur la prochaine Constitution, et sur l’organisation des élections. Il en va de même pour le « dialogue national inclusif ». Un décret du 2 juillet dernier en fixe les modalités : les organisations intéressées (partis, syndicats, organisations de la société civile, confessions religieuses, chefferies traditionnelles, organisations de femmes, de la diaspora ou de personnes handicapées) doivent en ce moment rencontrer le ministre en charge de la Réconciliation Acheikh Ibn Oumar et transmettre leurs candidats aux quelque 70 places du comité de pilotage, selon la clé de répartition fixée par le décret.
Mais la progression de ce dialogue ne convient pas à tous : la coordination Wakit Tama, formée durant la campagne présidentielle et initiatrice des rassemblements dispersés violemment le 27 avril, l’estime « exclusive ». Elle s’interroge aussi sur la capacité du gouvernement à le mener, alors que le décret prévoit que presque toutes les nominations se feront « après avis du président du Conseil militaire de transition ».
C'est très très mal parti. Tous ceux qui sont actuellement aux affaires, c'est une continuité en réalité.
Ce que les Tchadiens pensent de la transition
Aurélie Bazzara
Parmi les membres de Wakit Tama, Succès Masra, leader des Transformateurs, parti tout juste régularisé par les autorités, estime qu’on a « recommencé avec les mêmes qui étaient au dialogue de 2018, les mêmes qui avaient validé la Constitution, les mêmes veulent être aux manettes de la transition. Les Tchadiens savent bien que les mêmes causes produisent les mêmes conséquences ».
Le CMT doit mettre un coup d’accélérateur et ouvrir le dialogue, estime pour sa part Saleh Kebzabo, président de l’UNDR : « Il y a des points de rupture qui ne sont pas arrivés, on attend encore, mais je ne pense pas qu’on puisse attendre plus longtemps. Certains gestes forts doivent être pris rapidement. Notamment la mise en place du CNT, même si elle est controversée, et surtout un chronogramme pour le dialogue ».
Pour la plupart des politiques, le dialogue ne sera réussi que si tous les acteurs y participent. Jean-Bernard Padaré, porte-parole du MPS, met toutefois les choses au clair : « Le dialogue, c’est de dire qu’est-ce qui ne va pas et comment tirer le Tchad vers le haut. Si c’est venir faire le procès des trente ans, je crains fort que ça vire à la foire d’empoigne ».
Des doutes sur la tenue des délais
Mi-juin, à Jeune Afrique, Mahamat Idriss Déby assurait : « Notre souhait est de ne pas aller au-delà (des 18 mois), mais il y a deux conditions pour que ce délai soit respecté. La première est que nous, Tchadiens, soyons capables de nous entendre pour avancer au rythme prévu. La seconde est que nos partenaires nous aident à financer le dialogue et les élections, car il est évident que le Trésor tchadien ne pourra pas supporter seul un tel coût. Si on s’entend et si l’on nous aide, les 18 mois sont à notre portée. Dans le cas contraire, ce sera très difficile ».
Dans la même interview, Mahamat Idriss Déby répondait à l’autre interrogation lancinante : celle de savoir s’il pourra être candidat à échéance de la transition. « Les membres du CMT ne se présenteront donc pas à l’élection […] c’est un engagement qui a été pris devant le peuple », dit-il, non sans laisser planer un léger doute. « Cela dit, en tant que croyant, je pense qu’il faut laisser à Dieu la part qui lui revient. Dieu décide de tout, du destin comme du pouvoir ».
Ce sera au futur dialogue de trancher la question de l’éligibilité, mais d’ores et déjà, de hauts responsables tchadiens assurent qu’il sera « pratiquement impossible » de respecter le délai de 18 mois au vu des tâches qui doivent être accomplies. Ils refusent également de s’engager clairement sur la non-éligibilité des membres du CMT.