CRISE. Après des mois de confinement et au milieu d’une troisième vague de Covid-19, les tensions ont atteint leur paroxysme sur fond de frustrations économiques.
Le roi Misuzulu Zulu, autorité morale des Zoulous, ethnie majoritaire en Afrique du Sud, a beau tenter d’appeler à l’apaisement, affirmant que les violences de ces derniers jours « font honte » à ceux qui les commettent, rien n’y fait. Au sixième jour d’un chaos qui a déjà fait 72 morts selon les chiffres officiels, sur fond de chômage record (32,6 %) et d’une troisième vague de Covid-19, la peur désormais de manquer d’essence, de nourriture ou de médicaments a gagné le pays le plus inégalitaire au monde.
Résultat, dès l’aube, les files se sont allongées devant les stations essence et devant les magasins d’alimentation, notamment à Durban, dans le Kwazulu-Natal, à l’Est, rapporte l’AFP.
Blocage et pillages
La veille, la plus grande raffinerie du pays a fermé son usine dans la région, qui fournit environ un tiers du carburant consommé dans le pays. Certaines stations sont déjà à sec, d’autres rationnent à la pompe. Des pénuries sont à craindre « dans les prochains jours ou semaines », a prévenu l’Association des automobilistes.
Des agriculteurs ont affirmé ne plus pouvoir acheminer leurs marchandises, les principales route et voie de chemin de fer reliant la capitale économique Johannesburg et l’Est étant entravées ou peu sûres. « Nous allons faire face à une crise humanitaire massive », a mis en garde le directeur de la principale organisation agricole AgriSA, Christo van der Rheede.
Plusieurs régions pourraient « bientôt manquer de produits de première nécessité », nourriture, carburant et médicaments à cause des difficultés d’approvisionnement, a affirmé le bureau du président Cyril Ramaphosa dans un communiqué.
Dans la nuit, le centre commercial de Vosloorus, à une trentaine de kilomètres au sud de Johannesburg, a été dévasté et en partie incendié. Plusieurs corps y ont été retrouvés. Dans l’après-midi, des chauffeurs de taxi armés ont décidé de s’en mêler et ont fait fuir les pillards.
Abattu, Mike de Freitas, 45 ans, gérant d’une boucherie, vient faire constater l’étendue exacte des dégâts. « On passe notre vie à servir une communauté et voilà ce qu’on obtient en retour. Ça me brise le cœur de voir que ce que j’ai construit est complètement détruit », confie-t-il à l’AFP.
Dans le Kwazulu-Natal, des champs de canne à sucre ont été brûlés. Ailleurs, du bétail volé. « Les gens ont pillé les magasins, et maintenant qu’ils n’ont plus de nourriture, ils vont commencer à s’attaquer aux fermes », prévient M. van der Rheede.
« Les personnes qui pillent en ce moment vont en faire les frais, avec les pertes d’emploi mais aussi les retards d’approvisionnements », a mis en garde l’économiste Lumkile Mondi.
Selon l’organisme de régulation des biens de consommation, plus de 800 magasins ont été pillés.
Montée en puissance des forces de l’ordre
Le gouvernement a indiqué que 208 incidents impliquant des pillages et du vandalisme ont été recensés mercredi, alors que 5 000 soldats, un nombre qui a doublé mercredi, ont été déployés en renfort. La ministre de la Défense Nosiviwe Mapisa-Nqakula a indiqué plus tard devant le Parlement qu’elle avait « soumis une requête pour le déploiement d’environ 25 000 » soldats. Elle n’a pas précisé quand ces renforts pourraient être opérationnels.
Les premiers incidents ont éclaté au lendemain de l’incarcération, la semaine dernière, de l’ex-président Jacob Zuma, condamné à quinze mois de prison ferme pour outrage à la justice. Une étincelle nourrie ensuite par les frustrations économiques, la pauvreté. L’Union africaine (UA) a condamné « avec la plus grande fermeté la flambée de violence qui a entraîné la mort de civils et des scènes effroyables de pillage », appelant « à un rétablissement urgent de l’ordre ».
« Je demande à la nation zouloue d’arrêter tout pillage », a déclaré le jeune roi Misuzulu Zulu, âgé de 46 ans, qui a succédé à son père décédé en mars. « Nous sommes les témoins d’une vague terrifiante qui a déferlé sur le Kwazulu-Natal et sur l’ensemble du pays, je crois que cela donne l’image d’un peuple qui a perdu sa dignité », a-t-il regretté dans un discours alternant entre zoulou et anglais, évoquant un contexte de chômage et de pauvreté. « Le peuple de mon père est en train de se suicider », a ajouté le jeune roi, qui règne symboliquement sur près de 12 millions de Zoulous, l’ethnie majoritaire dans ce pays de 59 millions d’habitants.