Le retrait annoncé de Barkhane est une manière diplomatique pour la France de reconnaître que sa stratégie a échoué au Sahel. Un échec qu’Emmanuel Macron veut maintenant partager avec des alliés européens en mettant la Force Takuba au cœur du nouveau dispositif sécuritaire qui doit être mis en place pour pallier ce retrait progressif. Mais, comme le dit l’adage, à quelque chose malheur est bon. Ainsi pour de nombreux observateurs, notamment ceux de Crisis Group Sahel (CGS, une ONG à but non lucratif oeuvrant pour la prévention et la résolution des conflits armés), ce retrait annoncé est l’idéale opportunité pour les pays sahéliens de repenser leurs solutions à la crise qui déstabilise la région et hypothèque son essor socioéconomique depuis des années.
«La fin de Barkhane est la reconnaissance que la stratégie définie par la France n’a pas fonctionné» ! Telle est la conviction affichée par des experts de Crisis Group Sahel (une ONG à but non lucratif oeuvrant pour la prévention et la résolution des conflits armés)
Profitant du «désordre» créé au Mali par l’éviction du président de Transition et de son Premier ministre en mai dernier, Emmanuel Macron a en effet annoncé une «reconfiguration» de l’intervention française au Sahel. Mais, ce n’est qu’un secret de polichinelle que cette mesure était en préparation depuis plusieurs mois et que Paris attendait seulement le moment propice pour la mettre en oeuvre. A notre humble avis, cette idée lui trotte dans la tête depuis le sommet de Pau (13 janvier 2020 au sud ouest de la France).
Pour les experts de Crisis Group Sahel (CGS), «la France ne se désengage pas du Sahel, mais essaye de se positionner en soutien des Etats sahéliens laissés en première ligne». Autrement, presque huit ans après le lancement de l’Opération Barkhane, l’Hexagone ne souhaite plus porter «la responsabilité première de ce qui apparaît largement comme un échec».
Et nos Etats doivent plutôt chercher à tirer le meilleur profit de cette nouvelle donne qui pourrait leur redonner plus de marge de manœuvre afin de repenser leurs solutions à la crise à l’oeuvre dans la région. Les dirigeants sahéliens pourraient notamment privilégier une approche plus politique, par exemple en s’engageant davantage dans la voie du dialogue avec les groupes jihadistes, solution qui n’a été exploitée que de manière informelle et isolée jusqu’ici.
Déjà, dans un rapport publié en février 2021, cette organisation appelait la France et les Etats sahéliens à repenser leurs stratégies, en les incitant notamment à dialoguer avec les populations rurales et peut-être aussi avec les insurgés. Et nos lecteurs savent que c’est aussi notre position que nous défendons depuis plus de deux ans en ayant pris conscience que la lutte armée peut à la rigueur calmer le front pour un moment, déstabilisant les différents réseaux, mais elle ne saurait être une solution à une crise multidimensionnelle.
Une nouvelle approche réaliste face à un profond mal structurel
Le terrorisme s’enracine dans un malaise profond qui se nourrit à son tour de la pauvreté, de l’absence de justice sociale et d’égalité des chances, du manque d’espoir… Le fléau pose essentiellement une question de développement et ce ne sont pas avec des armes qu’on peut résoudre un tel problème structurel. L’approche privilégiée par la France, au mépris des convictions des dirigeants et des peuples sahéliens, ne pouvait aucunement juguler cette crise sécuritaire qui, malgré la présence de toutes ces forces militaires (armées nationales, Minusma, Barkhane, FC G5 Sahel, Takuba…), continue de s’étendre dans de nouvelles zones. Parallèlement, dénonce CGS, «la frustration des populations vis-à-vis des gouvernements sahéliens s’accentue, comme l’illustrent les troubles qui ont conduit au coup d’Etat d’août dernier au Mali».
Pour l’ONG, et comme nous l’avons toujours préconisé, la France et ses alliés devraient d’abord «apporter des réponses à la crise de gouvernance en encourageant les Etats sahéliens à dialoguer avec les populations rurales et, peut-être aussi, avec les insurgés, à fournir des services sociaux et à adopter des réformes fiscales. Bien qu’elles demeurent importantes, les opérations militaires devront se mettre au service de cette approche».
«Une réponse appropriée à l’impasse actuelle sévissant au Sahel consisterait à réordonner les priorités des stratégies actuellement en place, de sorte que ces dernières répondent d’abord à une crise de gouvernance plutôt qu’à une crise d’insécurité», préconise l’ONG. Et cela d’autant plus que la crise de gouvernance qui est à l’origine des problèmes du Sahel génère «une hostilité grandissante à l’égard des gouvernements». Elle prend aussi bien la forme d’une insurrection rurale que de manifestations urbaines. Pour le CGH, envisager donc une «approche alternative» fondée sur ce nouveau paradigme n’implique pas «l’abandon de la stratégie multidimensionnelle actuelle, mais plutôt un réagencement de ses priorités».
Cette nouvelle approche privilégierait, en premier lieu, les dialogues locaux afin de permettre le déploiement de l’Etat central dans les zones rurales. Elle préparerait ensuite une réforme plus large de la gouvernance. A l’image de l’expérience du Mali à Farabougou, les partenaires internationaux devraient encourager les Etats à redoubler d’efforts pour négocier des trêves entre les factions locales en guerre et apaiser les différends entre et au sein des communautés ainsi qu’entre celles-ci et les acteurs étatiques.
Ils devraient également accorder bien plus d’importance à l’accès aux services publics, notamment en matière de santé et d’éducation, y compris dans les zones où les forces de sécurité ne sont pas encore déployées. Ils devraient encourager les Etats du Sahel à améliorer la gestion des finances publiques, éventuellement en conditionnant plus fermement certains financements à des réformes.
Utiliser la force pour empêcher les extrémistes d’occuper de nouveaux territoires
Même si les opérations militaires demeurent essentielles, «elles devraient être subordonnées à cette stratégie». Dans certaines zones, les Etats du Sahel et leurs partenaires pourraient par exemple utiliser la pression militaire pour affronter les jihadistes ou les empêcher d’occuper de nouveaux territoires. Ailleurs, ils pourraient suspendre momentanément cette pression pour permettre aux autorités civiles d’initier des efforts de paix à l’échelle locale, voire avec des chefs d’insurrection locaux…
En tout cas, l’histoire nous ramène inexorablement vers la piste de solution préconisée par le regretté Général Amadou Toumani Touré qui a valu à notre pays d’être un moment traité de ventre mou de la lutte contre le terrorisme au Sahel : riposter énergiquement là où cela est nécessaire, négocier avec qui cela est possible et promouvoir partout le développement socioéconomique pour soulager les populations, notamment les jeunes pousser vers l’extrémisme violent à cause du manque d’espoir.
«Nous avons déjà tenté la solution militaire, et nous l’avons estompée depuis dix mois. Nous sommes face à de petits groupes disséminés. Vous pouvez passer des mois à leur courir derrière, avec un nombre très important de victimes. En deux ans, nous avons perdu plus de 60 soldats, dont 10 officiers. Je ne vais pas engager l’armée malienne pour qu’en Occident on dise que je me bats contre le terrorisme alors que ça ne sert à rien», avait répondu le défunt Général dans une interview accordée à «Libération» en octobre 2010.
En bon stratège militaire, le Général Amadou Toumani Touré a toujours défendu que la force militaire n’est pas la riposte la plus appropriée à la menace jihadiste. En effet, le terrorisme est la manifestation et non la racine d’un mal : le sous-développement, la pauvreté, le chômage des jeunes qui manquent ainsi d’espoir, l’injustice sociale… la mauvaise gouvernance ! Comme l’a récemment twitté Fahad Ag Almahmoud (secrétaire général de Gatia), «la lutte anti-terroriste a produit plus de terroristes qu’elle en a tués». Cela est une incontestable réalité dont nos Etats doivent tirer tous les enseignements pour assumer leur responsabilité après l’échec de la France au Sahel !